06:00 AM - Mannheim, Allemagne - 2005  

Tweeet, tweeet, tweeet...  

Le réveil-matin diffuse sa lumière dans toute la chambre.  

"- $#@$...!*# !!"  

Une main tremblante sort d'une épaisse couche de couvertures et essaye d'éteindre l'objet récemment offert par un fils aimant mais distant. Le dormeur revient d'un cauchemar. Les souvenirs de l'affaire Wahnfried, réminiscences nauséeuses d'une enquête du début des années 80*. L'inspecteur Hauppmann (Manfred Ribic) gromelle quelque chose à l'attention de la machine qui ne veut décidément plus s'arrêter de tweeeter.  

Par dépit, il lui flanque une claque. La petite boule ronde et rugueuse rebondit sur le sol moquetté et arrête son cinéma. Le silence, enfin - il peut enfin entendre les oiseaux gazouiller au milieu du trafic de la voie rapide toute proche.  

Le vieil homme se tourne vers sa femme qui ronfle encore paisiblement. Les joies de la surdité : ne pas entendre le réveil-matin de son flic de mari.  

Péniblement, Hermann Hauppmann, 65 ans, se remet sur ses jambes - Dieu que la terre est basse. Après quelques ablutions et un café, il s'habille. En se regardant poser devant leur glace de pied, il ne peut s'empêcher de penser à la mort qui le guette. Il le sait : elle le lui a dit. Il observe son ventre désormais proéminent et sourit : ça fait longtemps qu'il n'a plus couru derrière un voyou... et aujourd'hui, c'est le pot de départ. La retraite, la quille.  

Qu'est-ce qu'il va bien pouvoir faire de ses journées désormais ? Il s'interroge encore en sortant du lotissement à bord de sa petite Volkswagen pour rejoindre les habituels bouchons.  

A son arrivée, le poste est en pleine relève. On le salue comme le vieux loup de mer qu'il est. Il prend son service pour la dernière fois. Demain, la pointeuse sera le cadet de ses soucis. D'ailleurs, quelle incongruité d'avoir installé un tel engin ici : tout le monde sait que les membres de la police ne comptent pas leurs heures... Ridicule.  

La mâtinée se passe mollement, Hermann s'intéressant surtout de ranger les papiers de son bureau, de trier les rapports et de les dispatcher dans les différents services. Il n'a plus d'affaire en cours, la dernière c'était il y a trois ans et depuis, on l'avait placé dans ici pour des tâches administratives guère moins ingrates que le travail de terrain - une "promotion", qu'ils disaient. Il s'y était habitué et y avait même fini par trouver quelques avantages. Sa tension avait drastiquement diminué, il ne déplorait plus d'incidents cardiaques (pas comme ses dix années précédentes : trois crises cardiaques, des extrasystoles en pagaille...) et il ne stressait plus pour un rien.  

Ses années d'analyse avaient aussi fait disparaître "Gründ", un esprit qu'il s'était inventé pour résister à des traumatismes du passé. Le passé, il lui avait fait face : il l'avait verbalisé, assumé - son ami imaginaire avait moyennement apprécié cet effort pour revenir à la civilisation des vivants.  

En perdant Gründ, il avait également perdu son remarquable "flair" et les indices que son "esprit" subconscient lui adressait régulièrement de l'autre côté du miroir : il avait ainsi commis quelques erreurs de jugement, était passé du statut de "Meilleur Flic du Länder" à celui de "gratte-papier tatillon au passé prestigieux". Il ne regrettait pourtant pas Gründ. Gründ lui rappelait chaque jour que la mort n'était qu'un voile et qu'il était aisé de le passer, c'était un émissaire de mauvaise augure à l'esprit macabre, à l'humour noir et à la mauvaise foi patente. L'homme, en vieillissant, avait de moins en moins apprécié cet allié intrusif.  

On allait donc fêter le départ de quelqu'un qui avait perdu quelque chose durant ses années de service - et personne ne s'expliquait quoi : Hauppmann restait une sacrée fichue énigme pour ses collègues - et même problablement pour sa propre famille. L'enquêteur nerveux, intelligent, brillant aux déductions foudroyantes qu'il avait été n'était plus que l'ombre de lui-même, fonctionnaire bedonnant et besogneux, râlant pour un oui ou pour un non - un véritable cliché du "flic de bureau"... et qui en était presque fier. Certains parmi ses collègues regrettaient presque qu'il fut rentré en analyse - ou qu'il en soit sorti. Pourtant, Hermann Hauppmann était un homme heureux et ça, on ne pouvait le lui retirer.  

En début d'après-midi, alors que les préparatifs du pot de départ s'avancent "en grand secret", Hermann est appelé par son chef de section. Il le sait, c'est une tradition : il va le féliciter officiellement pour ses états de service, lui remettre un papier du ministère, ça va être un peu le flonflon...  

Une fois dans le bureau, une mine grave lui chante un autre discours. Il s'assoit et écoute : deux flics de la section ont disparu - comment ? pourquoi n'était-il pas au courant ? - et ces disparitions semblent liées à des menaces de mort proférées à l'encontre de Angelica Von Dutte (Anne Brain), top-model très en vue. Rainer Hitzig (Lee Khan), 15 ans de boîte, est chargé de l'enquête et il a expressément souhaité l'implication du vieil investigateur dans les recherches. Mais pourquoi lui - lui qui sera revenu à la vie civile dans moins de quatr... trois heures et demie ?  

C'est qu'en creusant dans le passé d'Angelica, Rainer a découvert une bien étrange ascendance avec d'anciens "médecins maudits" du régime Nazi. Régime dont Hauppmann fut une très jeune victime.  

"- Comme des millions d'autres citoyens, pourquoi MOI ?!?" Sa voix s'est presque transformée en cri rauque - son chef hausse les sourcils.  

Angelica Von Dutte est à Mannheim pour une quinzaine de défilés, elle a reçu des menaces, la police lui fait bénéficier d'un service de protection rapprochée. Or les gens qui en étaient responsables ont disparu depuis 48h00 : n'importe qui aurait pu faire le coup mais les pistes de l'extrême-gauche ou du MOSSAD sont officiellement écartées - Von Dutte n'a pas d'ennemi (sinon les collectifs anti-fourrure, anti-pub et anti-luxe mais ce n'est pas dans leurs pratiques), Rainer pense que c'est un message visant à sortir "le loup du bois".  

Et le loup s'appellerait Hermann Hauppmann.  

"- C'est n'importe quoi !! On m'en voudrait, à moi, en s'en prenant à la police et à une fille dont les grands ou arrière-grands parents auraient commis des atrocités à mon encontre ??!!"  

Hermann, furieux, sort en claquant la porte, bouscule un jeune homme, traverse les bureaux au pas de charge, sort dans le couloir, prend l'escalier de service et s'en va s'offusquer dans le proche jardin public. Il s'écroule sur un banc. La personne qu'il a bousculée l'a suivi. Elle s'assied à ses côtés, sort un paquet de Pall Mall et le lui tend.  

"- Merci, j'ai arrêté...  

- Celle-là vous fera du bien." L'homme lui allume une cigarette et la lui remet.  

"- Hitzig, c'est ça ?!  

- Oui Monsieur.  

Un long silence, à peine perturbé par les familles qui s'égayent sur les pelouses et le gravier. Hauppmann se tourne vers l'inspecteur Hitzig. Un peu atypique : des traits durs, le cheveu fou, regard halluciné, quelque chose dans le comportement qui ne donne pas forcément envie de creuser... Il lui rappelle le Hermann Hauppmann "d'avant". Le futur retraité regarde se consumer la cigarette. Le paquet vient juste d'être entamé.  

Rainer précède sa pensée.  

"- Je ne fume pas, vous pouvez garder le paquet.  

- Ecoutez, Rainer : rien de personnel, mais... Je suis le vétéran du bureau, tout le monde est arrivé à la fin des années 80 en gros. J'ai arrêté le tabac vers 85-86, personne ne savait que je fumais CETTE marque. Alors soit vous avez fait une enquête approfondie sur moi - et je vous signale que ça ne me plaît pas du tout - soit quelqu'un vous a rencardé."  

Rainer Hitzig se contente de tapoter sa tempe de l'index et répondre :  

"- Il y a quelqu'un là-dedans qui m'a soufflé l'info. D'ailleurs, "il" vous passe le bonjour..."  

* voir Ich (2009) de Tristan Kruger, produit par MMP : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=2788  

(Script original, suite du film sus-cité et remake du film produit sur Cannasucre)