Il est dans une pièce humide, exiguë et peu éclairée... Il tousse, crache ses poumons, il a l'impression d'avoir été compressé puis éjecté d'un tube - il hurle, appelle au secours.  

Il se réveille dans un lit moelleux aux côtés de son épouse Janice (Carrie Bremner). Lui, c'est le Docteur Suranayan Noreesh Spade (Aslan Karagül). Il sort de la chambre, descend les escaliers, s'en va remplir un verre d'eau fraîche au réfrigérateur.  

De la fenêtre, il regarde les lampadaires de la rue voisine. Il est là, il est bien. Revenu dans son lotissement, dans sa bonne vieille ville de Heavens, Colorado. Il en était devenu le dentiste attitré après la disparition de son prédécesseur - un homonyme d'ailleurs, ce que tout le monde avait trouvé comique ici. Suranayan n'était pas né ici mais il y avait pris ses habitudes. Son récent séjour à Los Angeles n'avait fait que renforcer ce "mal du pays" qu'il éprouvait chaque fois qu'il quittait ce hâvre de paix.  

Il ne remarquait pas dehors le véhicule noir dont les occupants observaient sa demeure tandis d'une petite pluie fine commençait à humidifier l'atmosphère.  

Le lendemain, remis de ce cauchemar, il en parle à Janice. Celle-ci, troublée, lui conseille d'aller voir un spécialiste. Et d'ailleurs, pendant qu'elle y pense, une de ses collègues au collège lui a conseillé un excellent praticien, le Docteur Leech (Yan Miller), psychanalyste récemment arrivé dans la région et qui se cherche une clientèle. Un CV impressionnant et très très compétent si l'on en croit la presse locale : son agenda de visites plutôt vide pour le moment mais ça ne va pas durer ajoute-t'elle. Suranayan prend rendez-vous pour le lendemain auprès du secrétariat. La journée se passe normalement.  

Le cabinet de Leech est situé au coeur de la vieille ville qui borde l'ancien cimetière, dans une belle maison de maître de style XIXème. Personne sinon l'homme qui l'accueille. Ensemble ils discutent de ses rêves. Suranayan Spade est détendu. Quand soudain, Leech se lève brusquement et s'en va jeter un coup d'oeil à la fenêtre.  

"- Vous êtes venu seul ?'  

Il fait remarquer au jeune homme qu'une voiture banalisée noire s'est garée devant l'officine. Tous deux haussent les épaules. Leech propose à Spade un traitement à base de somnifères et d'hypnose régressive : il est tout-à-fait confiant dans ce style de thérapie qui donnent des résultats rapides - même si parfois un peu durs à supporter pour le patient. Suranayan n'en a cure : pour lui, tout problème a sa solution et ses songes reviennent de plus en plus souvent à la surface, perturbant son repos et sa vie jusqu'ici heureuse et tranquille. On fixe une nouvelle date pour la première session.  

Quand il sort, la nuit tombe rapidement sur la petite communauté - il remarque le véhicule banalisé garé juste derrière sa propre Ford. Il ouvre sa portière quand il ressent un engourdissement au niveau de la nuque. Il sombre dans l'inconscience.  

Il se réveille en sueur. La pluie tombe sur lui, il est étendu sur un gazon fraîchement entretenu. Il se relève douloureusement. Panoramique : il est au coeur d'un cimetière, peut-être l'emplacement Nord de celui d'Heavens - mais il ne pourrait jurer de rien. En face de lui, une tombe solitaire. Quand il se rapproche d'elle à la lueur de la lune il distingue les indications :  

"Wayne Spade, 1960-2014"  

Pris d'une peur panique et d'une inexplicable frénésie, il déplace la stèle et démonte le triste cercueil de pin. Vide - personne n'est enterré ici.  

Derrière lui, caché à l'abri des regards, des observateurs scrutent ses réactions, prennent des notes, photographient la scène.  

"- Tu es sûr que ça va bien ?"  

Janice se fait du mouron. Suranayan lui a raconté son rendez-vous avec Leech, le cimetière, la perte de connaissance... Elle, n'en croit pas un mot : il est revenu directement à son cabinet juste après avoir vu le psy. Et il n'avait déterré personne : il n'était ni grelotant, ni en sueur, ni sale ni mouillé. Elle a d'ailleurs discuté avec Mme Johnston de son bridge qu'il lui a posé ce soir-là. C'était son dernier rendez-vous de la journée et il n'est pas sorti ensuite... De l'avantage de vivre à l'endroit où vous travaillez : "- Si j'avais ta chance, je n'aurais pas à voir ces horribles marmots qu'on appelle mes élèves !" Suranayan ne se souvient plus de ce qu'il a fait après l'exhumation - aurait-il rêvé ?  

Intrigué, il reprend son agenda. Los Angeles, il y a un mois : 25ème Congrès International de Dentisterie, nom de ses contacts, chambre réservée à l'hôtel...  

Il sait qu'il y est allé. Il a commencé à suivre une conférence. Et puis...  

Et puis, quoi ?  

Los Angeles - Hôtel Mansur. Suranayan Noreesh Spade se bat avec trois hommes de couleur dans une chambre d'hôtel - ses techniques de combat ancestrales lui permettent de désarmer ses opposants et de leur briser les os, les bras, la nuque. Pourtant, nul ne hurle ou ne crie : le combat est silencieux, seul le glissements des pas, des corps qui s'entrechoquent et se cassent perturbe le vide de la scène. Chacun évite même de bousculer le mobilier. En 30 secondes, l'affaire est pliée : il a désormais trois cadavres autour de lui. Il se penche, récupère le silencieux de l'un d'entre eux, se dirige vers la salle de bain, toque.  

Une femme en sort (Stephanie Jarred), il la prend par la main, range l'arme dans son élégant veston, enjambe avec elle les corps inanimés et sort de la pièce... Arrivés dans le couloir, il descendent par l'escalier de service. C'est quand ils se retrouvent dans le parking qu'ils sont pris en chasse par trois acolytes.  

Les séances avec Leech se passent bien : les rêves décroissent en intensité et quantité. Suranayan a de plus en plus l'impression qu'avec lui, plus il cherche à expliquer ses songes, plus il a de mal à s'en souvenir. Son hypnose était sensée clarifier les choses, pas les faire disparaître. Mais il faut reconnaître l'incontestable efficacité du bonhomme : d'ici à quelques semaines - mois peut-être, il reprendra une vie normale. C'est tout ce qu'il souhaite.  

En revenant en ville d'excellente humeur, il passe chez le fleuriste, discute avec son ex-partenaire de l'équipe de base-ball locale et rentre dans le lotissement. Il salue Madame Barnes, sa gentille voisine de 80 ans en train de chouchouter ses iris. Un sacré tempérament, cette dame : ça a été la première propriétaire ici et elle a toujours refusé la maison de retraite que ses enfants avaient prévue pour elle. D'ailleurs, ses gosses, Spade ne les a jamais vus. On ne respecte plus les vieux se dit-il tandis qu'il consulte son agenda. En tournant les pages, il tombe sur les ratures rouges dont il a constellé la période à L.A. Ah oui. Ca. Il faudra bien un jour qu'il retrouve ses esprits à ce sujet : il ne faudrait pas qu'il ait fait des conneries...  

Madame Barnes a rendu son galant salut à Suranayan puis s'est rentrée. Décorée avec coquetterie, la petite maison de plain-pied sent un peu la naphtaline. Elle se repose un instant dans son fauteuil-relax, puis ouvre un tiroir de sa commode, en sort un téléphone cellulaire ultramoderne qui auto-compose un numéro. Au correspondant qui décroche, son ordre claque :  

"Sujet M37 à nouveau opérationnel - déclenchez suite des opérations".  

(Script original tourné au Studio Laure Pariseau - séquelle du film Spade vs Spade (2014) produit par MMP : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=6191)