Laure Tally (Tamara Berger) est directrice de l'unité "Fictions" d'un grand groupe audiovisuel accoudé à la plus puissance chaîne de télévision du pays. Revenue de psychanalyse, elle reprend les dossiers en court, parmi lesquels celui - capital - de "La Série de l'Eté". Les scénaristes galèrent - on lui propose des embryons de script, rien de convainquant. Or, nous sommes déjà en novembre - le tournage doit commencer au début de l'année prochaine.

Les impératifs budgétaires étant ce qu'ils sont, Laure propose à la cantonnade une petite histoire qu'elle a écrite : celle d'une jeune fille violentée par son père, en face duquel une mère gardera le silence - la jeune fille en sera à jamais détruite... De l'horreur familiale, de l'émotion, de grands numéros d'acteurs et probablement des récompenses pour l'équipe - donc des ventes à l'international assurées.
L'idée fait son chemin. Faute de meilleurs concepts, on adopte très vite le cadenas proposé et la pré-production se lance d'autant plus facilement que Laure propose des photos d'intérieurs, de maison et participe à l'écriture avec les scénaristes. Une implication qui fait plaisir à René (Michael Wieczorek), son directeur de production - prochainement à la retraite et qui pense laisser son poste à Laure l'année prochaine : elle a vécu des moments difficiles ces derniers mois, et ça lui fait plaisir de la revoir si motivée.

Afin de ménager la sensibilité du grand-public, il n'est pas prévu de montrer trop de violence graphique mais l'on fait appel à un metteur en scène spécialiste de l'intimiste, René Corneau (Gregory Krumholtz). Le pathos est soigneusement entretenu sans pour autant être larmoyant, les aspects trop glauques gommés avec talent, et l'on modifie légèrement la fin par l'addition d'un Assistant Social courageux prompt à dénoncer les sévices vécus par la victime (qui sera finalement sauvée). Un embryon de love-story est également évoqué, mais on en reste là. Un drame rural, plein de tension et de fureur est en train d'émerger. Un teaser est filmé et les dirigeants de l'entreprise et de la chaîne sont absolument ravis.

Février arrive très vite. Laure s'est attelée à d'autres charges et travaille 16 heures par jour, allant jusqu'à camper dans les locaux avec ses équipes surbookées. Quand le metteur en scène lui propose de venir visiter les décors dans lesquels ils tournent, elle hésite un instant - puis se laisse convaincre par René : "Le planning peut bien attendre 24h00."

Arrivée in situ, c'est le choc. Tout a été exactement reconstitué comme elle l'avait imaginé, comme les photos qu'elle avait fournies à la production. Au moment où on lui présente les acteurs interprétant "le père" (Adrian Kordic) et "la mère" (Lucy Rye), l'émotion la submerge et elle a du mal à se contenir. Ce qui n'échappe pas à René.
Revenus en fin de journée dans l'hôtel loué par la production, elle décline le dîner - la fatigue, le stress du voyage... René vient pourtant toquer à sa porte en début en soirée. Elle lui ouvre : le vieil homme est là, face à elle, une plaquette de chocolat et une baguette à la main.

"- Choco-baguette (un petit sourire).
- Très drôle. Tu sais, je suis fatiguée.
- Tu parles. Tu ne t'es même pas changée depuis notre retour. Quand on est fatigué, on se couche et on dort. Là, tu rumines.
- ....
- C'est le tournage, tout ça, cette série - cette histoire ?
- O... Oui.
- Ca t'a rappelé des souvenirs de ta jeunesse.
- Ca se voit tant que ça ?
- Ce n'était pas une question. Tu veux qu'on en parle ? Ca, c'est une question..."

(Script original)