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Loupieau Production France présente
La violoniste

Les oiseaux flânaient le long des toits, qu’ils s’amusaient à frôler du bout de leurs petites pattes. Leurs gazouillis venaient compléter l’atmosphère chaleureuse de cette fin d’après-midi, et se mêlaient au brouhaha ambiant des passants qui traversaient la grande place à larges enjambées. Les habitants étaient de sortie : ils s’affichaient en ville, les femmes en tenues légères et colorées, les hommes décontractés. Chacun profitait de ces délicieux instants que la vie savait si bien offrir, et de ce samedi resplendissant. Tout le monde semblait ravi. Pourtant, à bien y regarder, il y avait bien cette jeune femme, seule dans son coin, adossée au mur d’un grand magasin. Les enseignes lumineuses des galeries contrastaient avec ses vêtements sales et déchirés par endroits, son visage noir de crasse et ses yeux empreints d’une profonde tristesse. Judith ne regardait nulle part ; elle laissait ses yeux errer dans le vague puis s’y poser. Les gens passaient devant-elle comme s’il s’agissait d’un fantôme : personne ne consentait à baisser les yeux afin de constater la déchéance de sa personne. Et, quand un passant s’y résolvait enfin, ce n’était que pour exprimer tout le dégoût que sa vision lui inspirait. Tout cela, Judith le voyait. Résignée, elle ferma les yeux, comme pour oublier sa vie, ses maux. Elle ne lui avait apporté que la mort, la rue et la douleur. Elle s’endormit d’un sommeil agité.  

 

Judith fut tirée de son sommeil par une grosse goûte de pluie qui vint s’écraser sur son visage. Elle leva lentement les yeux au ciel et constata que le soleil avait laissé place aux gros nuages de pluie. Au loin, l’orage grondait sombrement. « La nuit sera horrible, songea-t-elle ». Elle promena ensuite son regard dans la rue, jadis noire de monde. Tout était calme et désert. Les rares passants pressaient le pas en maudissant le ciel. De pauvres employés du samedi ou de riches banquiers, pour la plupart, présumait-elle. Qu’elle enviait leur sort. Judith aurait donné n’importe quoi pour se hâter de rentrer chez soi. Mais chez elle, c’était la rue. Et la rue ne l’abritait ni de la pluie, ni du vent, et encore moins de ses états d’âme. La trentenaire sentit les larmes lui venir, et enfouit prestement son visage dans ses bras, comme pour cacher sa détresse. Mais qui pouvait donc s’en soucier ? Alors que les sanglots la secouaient, son pied heurta la petite gamelle disposée devant elle. Quelques pièces rebondirent sur le sol. Judith se hâta de les mettre dans sa poche. Soixante-dix centimes, c’était toujours ça. Un éclair stria le ciel. « Je ferais mieux de me trouver un endroit au sec », conclut-elle en se levant.  

 

Judith n’aimait guère se rapprocher des galeries marchandes : des hommes comme elle s’y regroupaient la nuit venue, et passaient leur temps à boire de la bière, achetée grâce à l’argent de la manche. Elle n’aimait pas leurs manières et ne se sentait pas en sécurité avec eux. Le gros Peter et sa femme, Marjorie, en particulier, ne lui inspiraient pas confiance. L’homme était un rustre aux manières déplacées, que dix ans de rue avaient rendu plus mauvais encore. Il aimait la compagnie des femmes quand bien même celles-ci ne le lui rendaient pas, et n’était jamais rassasié de bagarre. Judith préférait de loin le calme et la solitude de sa rue déserte, la nuit venue. Mais ce soir, si elle voulait rester au sec, elle n’avait pas le choix que de rejoindre les autres. Judith se leva, et entreprit de rejoindre la vieille galerie abandonnée.  

 

L’orage semblait avoir redoublé d’intensité : les éclairs striaient le ciel dans tous les sens, et le tonnerre résonnait sinistrement. Cela faisait bien longtemps que les oiseaux s’étaient dénichés un abri. Cependant, parmi le vacarme assourdissant de l’orage, Judith percevait autre chose. Un son. Elle s’arrêta subitement de pleurer, intriguée par ce bruit qui croissait à mesure qu’elle avançait. On aurait dit une mélodie. C’était trop beau pour être vrai. Judith se pinça, et constata qu’elle était bien éveillée. La jeune femme se laissa guider par ce bruit lointain. Il avait l’air si parfait, et l’écouter lui procurait un tel réconfort… Bravant la pluie, qui tombait désormais à grosses gouttes, elle avançait encore. Soudain, elle se figea. Ce son… Il lui était familier. « On dirait un violon. Celui qui en joue doit être un véritable virtuose », pensa-t-elle à haute voix. Judith tourna à droite et déboucha dans une étroite artère de la cité. En face d’elle, une boutique demeurait éclairée, et une chose informe semblait danser sous les néons. Judith s’approcha prudemment. Au bout d’un moment, elle distingua le nom de l’enseigne, écrit en lettres dorés sur un fond vert sombre : « Larentowicz’s, instruments de qualité ». Dans la vitrine, un violon s’agitait contre son archet. Il jouait, sans qu’aucune main n’en soit responsable. Comme par enchantement. La porte n’était pas verrouillée. Judith entra.  

 

Dès le lendemain, elle s’installa dans la rue et entreprit de caler le violon entre son épaule et son menton. C’était un bel instrument de bois, aux jolies marbrures et au cachet certain. Il semblait ancien, et Judith lui voua aussitôt une grande affection. Le violon continuait de s’agiter tout seul, et jouait à la perfection. Pour la première fois, les passants s’arrêtèrent, fascinés par ce spectacle peu commun qui divertissait si bien leurs oreilles. On stoppait son chemin, et on l’écoutait. Le temps, en ce dimanche radieux, semblait s’être suspendu au son du violon. Son chant faisait tantôt pleurer, tantôt danser la foule, qui s’était regroupée en un cercle massif autour de la jeune femme. On s’étonnait qu’une miséreuse puisse posséder pareil instrument et pareil don. Bizarrement, les gens se montraient bien plus généreux. Sa petite écuelle devint très vite incapable de contenir toute la monnaie qui s’amassait autour d’elle. « Ce soir, je pourrais enfin manger un repas chaud », pensait-elle tout en continuant sa ruse. Une femme vint même s’asseoir à côté d’elle.  

« Bonjour, jeune prodige. Je suis Anne-Marie Christensen, et je ne vous veux que du bien. » Judith avait levé les yeux vers elle.  

« Un talent tel que le vôtre ne peut rester dans la rue, en proie aux misères du monde. Suivez-moi, et je vous donnerai une place au chaud.  

- Où voulez-vous m’emmener, demanda Judith.  

- Au conservatoire de la ville. Vous serez une artiste. »  

Judith refusa, de peur de voir son secret percé à jour : elle ne connaissait rien à la musique et demeurait bien incapable de jouer du violon.  

 

Au crépuscule du jour, toute la petite ville ne parlait que de la « Femme au violon ». Celle-là même qui hier n’attirait pas la moindre attention concentrait tous les regards sur elle. Judith, dans son for intérieur, priait pour que le violon persiste à jouer le lendemain. Cette journée lui avait rapporté une belle somme d’argent.  

 

Alors qu’elle entreprenait de ranger l’instrument dans son coffret joliment ouvragé, un homme s’approcha d’elle. Judith sentit sa présence dans son dos et se retourna instinctivement. L’homme leva les mains en signe de bonnes intentions, et Judith le reconnu : c’était Peter. Cela ne lui disait rien qui vaille.  

« Eh, petite ! Viens par ici ! », l’apostropha-t-il. Judith ne réagit pas immédiatement, paralysée par la peur. Elle se força à ne pas rester passive.  

« Qu’y a-t-il ?  

- Approches, Judith ! »  

Malgré elle, Judith s’avança.  

« Donne ton violon ! », lui asséna Peter.  

Le gros mendiant le lui arracha violemment des mains, un sourire satisfait aux lèvres. D’un geste impatient, il se débarrassa de son coffret qu’il envoya s’abîmer contre les pavés. Peter tenait à présent le violon entre ses deux mains, et admirait sa beauté avec avidité. Judith se mit à pleurer. Soudain, le violon, comme orphelin de sa véritable propriétaire, se mit à jouer. Un air très triste et empreint de mélancolie. Exactement ce que ressentait Judith en cet instant précis.  

« Il marche ! », s’exclama Peter, soulagé de constater le phénomène de ses propres yeux. Une lumière malveillante, mais où tentait l’espoir, après tant d’années passées à la rue, brillait au fond de ses yeux crasseux. Tout à coup, le violon changea radicalement de ton, optant pour un air plus vif et inquiétant. L’archet frottait les cordes, de plus en plus vite ; la musique s’accélérait. Les cordes, petit à petit, brûlaient les chairs du voleur qui le tenait dans la paume de sa main. L’archet ne frottait plus que les tissus du pauvre homme, qui peu à peu se voyaient découpés par la corde. Peter hurla de douleur, mais demeurait incapable de lâcher l’instrument. L’avidité prenait le dessus sur la raison. Sa main finit par heurter lourdement le sol, alors qu’un incroyable flot de sang jaillissait de son poignet sectionné. Judith s’empressa de ramasser le violon et tourna le dos sans mot dire, non sans jeter un dernier regard noir au voleur.  

 

La nuit tomba, et la pluie ruisselait désormais lentement sur les pavés, s’empourprant au contact de la main inerte du gros Peter qui gisait toujours à même le sol. Judith l’observait se tordre de douleur, au loin, sans qu’aucune compassion ne lui effleure l’esprit.  

 

Le lendemain, Judith entreprit de nouveau de jouer. Mais son esprit demeurait ailleurs, trop occupé à ressasser la scène de la veille. Son violon regorgeait de pouvoirs aussi fascinants que terrifiants, et la jeune femme ne savait trop quelle position adopter. Les pièces se faisaient moindres, aujourd’hui, la faute au gros Peter qui brandissait son moignon dans le but d’apitoyer les gens sur son sort. Ce diable ne perdait donc jamais la face, et il trouvait toujours le moyen de retourner la situation à son avantage !  

Vexée par les gens qui se détournaient déjà de ses mélodies pour s’en aller consoler le gros Peter, et écœurée de constater que le voyeurisme l’emportait sur l’art, Judith, le soir, reprit le chemin du magasin de musique. À vrai dire, elle ne savait pas véritablement ce qu’elle espérait y trouver. La même lumière éclairait la vitrine vide. Judith s’approcha : la porte demeurait toujours ouverte. Elle pénétra dans la maison, et tomba nez à nez avec un homme.  

 

L’homme aimait visiblement se parer de ses plus beau habits, et faisait la part belle aux costumes trois pièces. Celui qu’il arborait se coir était un costume gris, auquel pendait une montre à gousset aux motifs étranges et couverte d’or. Nulle surprise n’avait semblé agiter ses traits lorsque Judith avait pénétré dans la boutique.  

« Bonsoir, Judith, commença-t-il.  

- Bonsoir Monsieur… ?  

- Monsieur Larentowicz.  

- Vous êtes le propriétaire de ce magasin, n’est-ce pas, demanda-t-elle avec une gêne non-dissimulée.  

- C’est exact. »  

La peur s’empara de Judith. L’homme devait savoir que son violon avait disparu, et voilà qu’il le retrouvait dans ses mains crasseuses ! Qu’allait-il donc bien pouvoir lui faire subir ? Judith s’imaginait déjà finir au commissariat, ou pire, violée et rouée de coups. Prise de panique, elle s’exclama :  

« Je n’ai jamais voulu voler votre violon, M. Larentowicz ! D’ailleurs, je suis venue vous le rendre. »  

Elle joignit le geste à la parole et reposa le violon à sa place, dans la vitrine. M. Larentowicz sourit, et se gratta la barbe nonchalamment. C’était un bel homme brun, la quarantaine.  

« Inutile de t’excuser. Ce violon t’appartient.  

- Je ne comprends pas.  

- C’est pourtant simple. Si ce violon t’a guidé jusqu’à lui, c’est qu’il avait décelé ton potentiel. Maintenant, moi aussi je le perçois, expliqua-t-il.  

- Quel genre de potentiel ?, s’enquit Judith.  

- Le plus noble. »  

 

L’étrange homme l’attira plus encore dans sa demeure, et la fit asseoir dans l’un de ses confortables fauteuils. « Je reviens dans une minute », lâcha-t-il en se précipitant à l’étage. Il redescendit en tenant dans ses mains un volume poussiéreux, qu’il tendit à son invitée. Judith s’en empara et contempla la couverture, un peu vieillotte. Dessus, un jeune garçon étrangement vêtu semblait jouer de la flûte, suivis par une armée de rats. Le titre de l’ouvrage, « Hamelin », n’évoquait rien à Judith. Une aura fantastique semblait émaner de son interlocuteur. Cela la mettait mal à l’aise. Et se leva soudain, et, remerciant rapidement son hôte, regagna la rue à grands pas. Sur le seuil de la porte, M. Larentowicz eut à peine le temps d’hurler dans la nuit :  

« N’oublies pas ta mission, petite Judith. Cette ville a besoin de toi ! »  

Mais Judith était déjà loin, elle courait, courait, quand soudain elle heurta une passante. Elle la reconnut aussitôt : c’était la femme du conservatoire ! Judith se releva promptement et ramassa le violon qui était tombé au sol. Elle fut soulagée de constater qu’il n’avait rien. Alors que Mme Christensen s’excusait de sa maladresse, une fureur inouïe s’empara de Judith. Le violon se remettait à jouer le même air qu’avec le gros Peter. Cette-fois, l’archet trancha la gorge de la pauvre femme, qui tomba à même le sol sans arracher le moindre remord à Judith. Le violon ralentit le rythme et se mit à jouer une douce musique.  

 

Ce ne fut que le lendemain, lorsque Judith se réveilla, qu’elle prit conscience de son acte de la veille. Elle était partagée entre inquiétude et fascination. Ce violon était si puissant… C’était un peu sa revanche sur le monde que de posséder pareille arme. Elle ne pouvait se résoudre à s’en défaire. Pourtant, elle savait parfaitement que le violon devenait de plus en plus incontrôlable. Au fond d’elle-même, Judith se demandait qu’elle serait la prochaine étape. Et surtout, quel était ce rapport avec cet étrange livre ?  

Scénario : (1 commentaire)
une série A fantastique (drame) de Ante Rasic

Hamid Dehouli

Maire McGrath

Daniel Egger

Bianca Jagger
Avec la participation exceptionnelle de Anne-Martine Vandervelt
Musique par Grant Glass
Sorti le 10 juillet 2043 (Semaine 2010)
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