1975. Sam (Joshua Berger) vient de rentrer dans son rade "favori". Il vit à côté, dans un mobil-home pourri loué au proprio de l'établissement. Ici, on a pas l'air de le regarder trop bizarrement. C'est qu'il a pris ses habitudes : il passe son temps et sa maigre pension de Viêt-vet' à siroter des bières jusqu'à la nuit en matant Siu du coin de l'oeil.
Siu, c'est une ado que Sam a ramenée de là-bas, comme une promesse faite à un ami disparu. Depuis, elle vole de ses propres ailes. Oh, elle n'est pas partie bien loin, à travailler dans ce "truck-stop" en contrebas de l'autoroute, avec un beau-père libidineux qui lui conseille d'arrondir ses fins de mois avec les meilleurs clients dans les chiottes ou l'arrière-boutique de l'établissement. Siu prend ça avec le sourire, et Sam sait : elle ne tombera jamais là-dedans...

Sam, il en a vu des horreurs là-bas en Asie, des choses qui lui reviennent tous les matins au galop ou en pleine nuit, histoire qu'il ne les oublie jamais. Comment pourrait-il d'ailleurs ? Il a été blessé : malgré la chirurgie et les drogues, il a perdu sa virilité. Alors il boit pour oublier, pour se sentir prêt à bondir si jamais quelqu'un devait toucher à un seul cheveu de sa protégée. Ici, entre Salt Lake City et Denver, le danger est moins présent mais il se méfie, reste aux aguets. Il guette aussi la prochaine hallucination qui lui fera revoir les charniers du Nam - en général, il les sent venir et s'éclipse discrètement. A ce moment-là, nul ne sait de quoi il est capable.

Siu doit récupérer sa gosse, le bus de l'école vient de passer. Elle sort du routier, se prépare à traverser la route. Sam continue à regarder, l'air de rien par les vitres panoramiques qui laissent rentrer toute la lumière de juillet.
C'est alors qu'il perçoit le danger :
La petite fille s'avance vers sa mère en courant.
Elle n'a pas vu le semi. C'est celui d'un habitué - on dirait qu'il a un problème de freins dans sa descente, il tente une manoeuvre désespérée.
Les 18 roues du véhicule crissent.
La petite fille s'arrête brusquement pour regarder l'immense machine hurlante déferler sur elle.

Le choc.

Puis le silence.

Siu hurle comme une possédée. Sam est resté tétanisé sur sa chaise tandis que les employés et clients du relais sortent en masse. Cette souffrance, ce cri, les morceaux du petit corps sur l'asphalte brûlante et la carosserie du monstre mécanique... C'en est trop.

Dans le resto vide, il sent soudain ses pieds humides. Il barbotte dans l'eau. Autour de lui remonte une végétation qu'il connaît bien, une odeur de chair brûlée, la chaleur, une sensation d'étouffement et des cadavres...

C'est parti. (Script original, adaptation du roman de Charles Nécrorian, Fleuve Noir 1986)