- Allez, Lily, ne fais pas ta mauviette ! Suis-moi, nous ne risquons rien à nous balader sur la plage.  

Lily (voix de Laura Lee Land) jeta un coup d’œil derrière elle, comme pour se persuader que son ami Finn (voix de Johnny Anderson) disait vrai. La petite fille, craintive de nature, n’avait pas pour habitude de s’éloigner de la ville. Depuis qu’elle avait rencontré ce garçon, sa vie s’était accélérée au grès des aventures dans lesquelles il l’entrainait. Ces excursions l’excitaient autant qu’elles l’apeuraient, et elle n’aurait su dire lequel de ces sentiments prenait alors le dessus.  

- Mais on pourrait se faire surprendre par la marée Finn !, objecta-t-elle sans espoir.  

- Aucune chance, la mer est si basse que quelques bateaux pourraient bien toucher le fond. Tiens, qu’est-ce que je te disais !  

Finn pointait son index en direction de la mer qui petit à petit se retirait. Une tâche sombre marbrait l’océan : un navire, à n’en point douter ! Il semblait en difficulté. Les enfants décidèrent de s’approcher de plus près, pour en avoir le cœur net.  

Et de fait, le navire demeurait bel et bien en difficulté. Sa coque sombre, aux reflets chocolat, semblait brisée par endroits. L’on avait tenté de la rafistoler avec les maigres moyens du bord, mais à l’évidence, cela ne parvenait pas à en assurer l’étanchéité. L’embarcation prenait l’eau. Un loup coiffé d’un tricorne n’avait de cesse de s’agiter sur le pont, qui d’ailleurs semblait avoir été amputé d’une bonne partie de lui-même.  

- Remuez-vous la glace bande d’incompétents ! Ne voyez-vous pas qu’en dépit de nos réparations, notre navire prend l’eau ? Écopez !, hurla-t-il.  

- Écopez ? Je ne voudrais pas couper court à vos intentions, capitaine, mais je ne vois pas en quoi les pains au chocolat pourraient nous aider.  

- L’Ourse (voix de Tracy Barron) ?, beugla le capitaine.  

- Oui capitaine ?  

- Tu es ma seconde.  

- Un instant je vous prie.  

- Suffit ! Tu es ma seconde, mais diable, montre-le un peu ! Fais usage de ta cervelle, idiote. Écopez, ça veut dire « sortez l’eau de ce satané navire », pas « achetez moi des pains au chocolat à dix centimes » ! Maintenant, écope.  

- Moi, je préfère dire chocolatine, pensa tout haut un glacillion.  

- Arghhh !!!  

Soudain, alors que le capitaine, hors de lui, était occupé à pourchasser la moitié de son équipage dans le but avoué de le faire taire pour de bon, un bruit sourd résonna sur cette vaste étendue d’eau désertée par les mouettes.  

- Capitaine, on touche le fond, s’écria la vigie (voix de Salome Hanson).  

- Une vigie pirate qui me dit qu’on touche le fond. On aura tout vu. Échoués, nous sommes de nouveau échoués.  

Le capitaine, las, se laissa choir à même le sol de son navire. Rajustant son tricorne, il déclara que désormais, mieux valait attendre que l’eau s’écope d’elle-même avant de réparer le navire.  

Dissimulés par les rochers situés quelques dizaines de mètres plus loin, Finn et Lily n’avaient rien perdu de la scène. Les deux enfants avaient les yeux qui brillaient. La peur reprenant naturellement le dessus, Lily s’entendit demander à son compagnon d’aventure :  

- Crois-tu qu’ils sont vraiment des pirates ?  

- Quoi, tu n’as pas reconnu leur capitaine ? Mais c’est Barbe de Glace (voix de Chris Armstrong), le pirate le plus givré des océans !  

Lily se rembrunit. Si elle n’éprouvait aucune honte à ne pas pouvoir mettre un nom sur ce vieux loup de mer, ses craintes se trouvaient justifiées. C’était bien des pirates !  

- Allez, viens, on va s’approcher encore plus près !, lui chuchota Finn.  

Et sur ces paroles, le garçon sortit sans un bruit de sa cachette rejoindre le sable humide, en direction de la frêle embarcation échouée. Lily demeura seule quelques instants, paniquée. Que devait-elle faire ? La raison lui conseillait de faire demi-tour et de rentrer sagement à la maison. Sa mère, d’ailleurs, devait l’y attendre, une tasse de chocolat chaud à la main. Peut-être même aurait-elle pensé à y ajouter de la chantilly – son péché mignon. D’un autre côté, Lily ne désirait pas passer pour une poule mouillée auprès de Finn. Elle redoutait de le décevoir. Lorsqu’enfin elle prit la décision de le suivre sur la plage, son cœur tambourinait. Et cela était tant dû à l’angoisse qui s’emparait d’elle qu’au sentiment naissant qu’elle éprouvait envers son jeune ami.  

L’épave n’était située qu’à quelques mètres de leur planque ; aussi les deux jeunes intrépides arrivèrent tout aussitôt à sa portée. Finn, tapi tout contre la proue du navire, tachait d’épier Barbe de Glace sans se faire repérer. Se tournant vers Lily, il porta l’index à sa bouche pour lui intimer le silence. Sur le pont avant, l’Ourse s’affairait à coordonner les tâches, dans la plus grande cacophonie. Soudain, Finn aperçut Barbe de Glace. Le capitaine venait de s’avancer tout à l’avant du navire, et, sortant sa longue vue, il entreprit d’examiner le large. Surexcité, le jeune garçon fila un coup de coude à sa camarade. Pourtant, celle-ci ne pouvait dérober son regard de la coque trouée qui gisait à même le sable. Un œil la regardait fixement à travers l’ouverture.  

- Capitaine, on tente de nous aborder !  

- Nous saboter ? Nous sommes bien assez forts pour le faire nous-mêmes.  

- Non, nous aborder !  

- Quoi ? Des pirates ? Amélie ? Glacillions, à l’abordage ! Pas de quartier pour la vermine de cette renarde rouquine.  

À ces mots, les glacillions se dérobèrent tous à l’ingrate tâche qui leur était dévolue, et, dans un concert de voix, dégainèrent leur sabre. L’Ourse, maladroite, décapita la bouteille de rhum du capitaine, posée sur la table.  

- Je crois que tu sabres le champagne un peu trop vite, ma grande, ne put s’empêcher de soupirer Barbe de Glace.  

Les intrus furent vite capturés. Oh, ils n’avaient pas opposé grande résistance. À vrai dire, Finn était bien trop captivé par le spectacle dont il était l’acteur, tandis que Lily demeurait paralysée par la peur. On avait ligoté les deux captifs au mât brisé qui trônait au milieu du navire. C’était à peine si les pieds de la vigie n’arrivaient pas à hauteur des yeux des enfants. Barbe de Glace s’approcha.  

- Alors, voilà donc tout ce qu’Amélie a sous la main ? Deux gosses ! Finalement, le perdant de la dernière bataille n’est peut-être pas celui que l’on croit.  

- Euh, capitaine, dois-je vous rappeler que la moitié de notre bateau est parti en fumée et que les marmottes d’Amélie se sont empressées de dévorer les canons de « La Terreur des Océans en Chocolat », sans même prendre le soin de les emballer dans le papier d’aluminium ?, intervint l’Ourse.  

- L’Ourse ?  

- Oui ?  

- Je te préfère sotte, réflexion faite.  

- Bien, capitaine.  

Barbe de Glace se retourna de nouveau vers les prisonniers.  

- Bien, reprenons. Alors comme ça…  

- Vous êtes Barbe de Glace ! Le légendaire pirate des océans gelés. Wouah, c’est un rêve de vous rencontrer enfin, l’interrompit Finn. Je croyais qu’Amélie vous avait coulé.  

- Bah moi aussi, petit, mais faut croire que le chocolat, même plein de trous, ça flotte un peu.  

- Tiens, ça me rappelle l’histoire du gruyère, coupa l’Ourse. Plus il y a de gruyère, plus il y a de trous, mais d’un autre côté, plus il y a de trous, et moins il y a de gruyère. Donc, si je raisonne bien, plus il y a de gruyère, moins il y a de gruyère.  

- Pas bête l’Ourse, approuva un glacillion (voix de Bradley Jarre).  

- Arrêtez vous autres, hurla Barbe de Glace ! Le prochain qui ouvre son caquet pour déblatérer pareille bêtise, je le prends et je le cogne sur l’Ourse !  

Barbe de Glace dut se contenir une pleine minute pour ne pas exploser de rage. Enfin, il reprit.  

- Donc, cette grognasse d’Amélie nous a infligé une sévère défaite la dernière fois. Depuis, je panse mes blessures et je soigne l’allure de mon navire. C’est la deuxième mise à l’eau que je tente, aujourd’hui.  

- Et force est de constater que votre projet est tombé à l’eau, répartit Finn.  

- Assez petit ! Tu ne vas t’y mettre, toi aussi ! Bref. J’ai essayé de colmater les brèches comme je peux. Seulement, le scotch n’adhère pas au chocolat. Ce qu’il me faudrait, c’est du chocolat. Sauf que ça ne court pas les mers, cette denrée là. La sottise, par contre, s’exclama-t-il en regardant l’Ourse méchamment.  

Pour la première fois depuis le début de la conversation, Lily intervint.  

- Et si vous utilisiez vos glacillions comme flotteurs, le temps de trouver du chocolat ?  

- Et comment diable ?  

- Selon la poussée d’Archimède, tout corps plongé dans un fluide subit une force verticale dirigée de bas en haut et opposée au poids du volume de fluide déplacé.  

- Gné ???, objecta l’Ourse.  

- Ta poussée cérébrale est trop fluide pour elle, traduisit Barbe de Glace.  

- En d’autres termes, les glacillions flottent puisqu’ils sont de glace. Cela pourrait permettre à votre navire d’être à flot plus tôt que prévu.  

- Et ainsi, à nous l’océan ! Amélie ne perd rien pour attendre, j’aurais ma revanche. La vengeance est un plat qui se mange froid.  

- Ça ne se réchauffe pas au micro-onde, ça ?, demanda l’Ourse.  

- En tout cas, je connais un certain nombre de micro-céphales, ici.  

- Ça c’est falot.  

- L’Ourse ?  

- Oui ?  

- Je te préfère muette, réflexion faite.