- Vous connaissez Gérard Cousin Prod® ?  

- Heu... J'leur ai envoyé mon CV y'a cinq ans...  

- J'étais sûr que vous étiez l'homme de la situation.  

- ...  

- J'avais besoin d'un homme comme vous pour mener à bien ce projet de grrrrrande envergure.  

- Moi ?  

- Oui. Vous. Hum. Oublions cette petite histoire gênante de plagiat et concentrons-nous sur ce qui vous amène ici.  

- Je vous écoute.  

- Les Flims Plalstique peinent à se faire de la place au sein des grandes majors de Gérardmerveille. Vous irez, avec une équipe d'élite triée sur le volet, enquêter chez nos principaux concurrents. Vous interviewerez les plus fameux producteurs de notre belle cité et tâcherez de comprendre leurs plus grands secrets de réussite. Quoi de mieux que Gérard Cousin Prod® pour commencer cette belle aventure ? Hein ? Hein ?  

Andreas Adler (Superboy, Eros Center) resta circonspect. Face à lui, le visage grassouillet de Ronan Cartalitanesto, le producteur des Flims Plalstique, se figea dans un sourire forcé. Le réalisateur savait bien qu'il n'avait pas vraiment le choix. Son dernier film remontait à février 2031 et l'agence pour l'emploi commençait à le menacer de mort.  

À l'extérieur du cube blanc en préfabriqué qui servait de bureau à Cartalitanesto, un van volkswagen à la peinture défraîchie était garé. Celui-là même qui avait déjà servi au tournage de La Piste Rouge, la dernière production des Flims Plalstique (toujours en salle !!). Adossé au capot, en train de fumer une cigarette, se trouvait justement la vedette de La Piste Rouge. Jenny McCole (Dark Claw : Heroic shadow, La Piste Rouge (forcément)) semblait rêveuse. Elle restait sur un petit nuage depuis la cérémonie du 3ème Festival du film d'Horreur de Gérardmerveille. Son arrivée en combinaison de ski y avait fait son petit effet (et lui avait permis de perdre quelques kilos superflus). Du coup, elle avait accepté dans la foulée le nouveau projet de Cartalitanesto. Rencontrer les plus gros producteurs de la ville ? Elle aurait payé de sa poche, s'il avait fallu ! Enfin, sa carrière allait décoller !  

Au volant du van, Lukas Hart (Sang Secret, Cibola La Cité des Morts) scrutait la porte du préfabriqué. Il se surprit à espérer que le réalisateur minable réponde favorablement. Le jeune acteur repensa aux raisons qui l'avaient fait accepter le job. Son rôle dans Cibola lui avait fait croire que le plus dur était fait. Lukas avait même été persuadé que Gérard Cousin ferait rapidement de nouveau appel à lui. Tu parles... En quelques mois, l'acteur avait eu le temps de nourrir une rancœur solide envers le producteur. Ainsi, quand Cartalitanesto lui proposa de retourner sur place et lui fit la promesse d'un premier rôle récurrent dans une franchise de films d'action, Lukas Hart signa des deux mains.  

****************  

Le van dévala l'avenue de Mountain Hill. Déjà les studios de Gérard Cousin Prod® apparaissaient au loin. À l'avant, Jenny et Lukas semblaient sereins et déterminés alors qu'à l'arrière, Andreas Adler commençait à transpirer à grosses gouttes. Le silence pesant qui avait suivi sa question sur la légitimité de l'espionnage industriel n'y était pas pour rien. De plus, à ses côtés, la présence de Ronan Cartalitanesto qui lui lançait un regard désapprobateur (et un peu lubrique par la même occasion) ne le rassurait guère. Le producteur brisa le silence en désignant l'entrée du studio, une grande arche coiffée d'un chapeau de cow-boy.  

- Garez-vous ici Mr Hart. Bien. Nous sommes dans la place. Équipez-vous chacun d'une de ces caméras embarquées discrètement sur ces montures de lunettes. Superbes. Vous êtes superbes. Voila le topo. Pour maximiser vos chances, vous entrez chacun séparément et vous tâchez de récolter le maximum d'information. Moi... vaut mieux que je reste ici. Mes... heu... dernières tentatives pour entrer furent pour le moins douloureuses. Go !  

Les deux acteurs bondirent illico du véhicule. Jenny accéléra le pas et se dirigea vers le gardien qui était en faction devant la barrière qui empêchait tout passage à l'entrée du studio. En un coup de bluff magistral, elle lui fit avaler qu'elle venait pour le casting de la nouvelle saison de Lost Shadows, et put ainsi franchir le premier obstacle. De son côté, Lukas se dirigea vers une porte dérobée qui donnait accès à l'entrée des employés. Rapidement, il fut interpellé par un agent de la sécurité qui lui proposa, en toute amitié, de se bouger son sale cul de négro pour aller prendre un balai et nettoyer la cour. Enfin, sous les yeux pleins d'espoir de Ronan Cartalitanesto, Andreas s'approcha timidement du garde qui venait de laisser passer Jenny. Tout de go, Andreas demanda à voir Gérard Cousin en personne. L'homme éclata de rire et le réalisateur en profita pour tenter de franchir la barrière en l'enjambant. Malheureusement, il se prit les pieds dans un barreau et chuta lourdement sur le sol. Presque aussitôt, un agent en costume noir, puis deux, puis trois, le plaquèrent au sol et l'immobilisèrent. Andreas fut rapidement traîné vers le poste de sécurité à quelques mètres à peine de l'entrée principale. Dans le van, le producteur des Flims Plalstique se frottait les mains en voyant que les trois bourdons étaient entrés dans la ruche...  

****************  

Jenny McCole prit le soin de baisser les yeux lorsqu'elle croisait un technicien qui transportait un stégosaure en carton-pâte ou un costume de rabbin drag-queen. La jeune actrice fut impressionnée par l'agitation qui régnait dans les studios de Gérard Cousin Prod®. Au coin d'un char d'assaut en formica, Jenny fut tout à coup persuadée d'apercevoir John Mears. LE John Mears. Un frisson la fit tressaillir entièrement et elle se mit à sautiller en direction de l'homme. Elle le perdit rapidement de vue mais elle tomba sur une succession de bâtiments qui formaient un ranch somptueux. La jeune femme y pénétra timidement et fut saisie par la richesse des lieux : une statue en diamant crachait du champagne, le sol était du marbre le plus pur alors que des rideaux en satin d'or pendaient négligemment aux fenêtres. Un petit homme assis derrière un bureau en acajou jeta un coup d’œil en direction de Jenny.  

- Moui ?  

- Je... voudrais parler à Mr Cousin.  

- Mmh. Je vois. Décidément, la libido de Mr Cousin n'a d'égale que sa mégalomanie. C'est par là.  

De son côté, Lukas entra au hasard dans un hangar. Il longea un décor de science-fiction où l'on tournait une bataille géante uniquement composée de femmes en lingerie fine qui se tiraient les cheveux. L'acteur repéra une porte en retrait qui était trop bien dissimulée pour ne rien avoir à cacher. Il la franchit et découvrit un escalier en métal qui s'enfonçait profondément dans le sol. Il prit une grande inspiration et descendit prudemment les marches. Après quelques minutes qui lui semblèrent interminables, Lukas déboucha sur un petit couloir faiblement éclairé par une ampoule qui clignotait imperceptiblement. Une première porte se présenta à lui. Il la poussa légèrement et y glissa la tête. Il ne put cacher son étonnement. La pièce était plutôt grande et basse de plafond. Sur quatre longues planches en bois posées sur des tréteaux, une trentaine de chinois travaillaient au pinceau sur de larges feuilles de papier. Leur dextérité et leur rapidité étaient étonnantes. Lukas comprit rapidement que Gérard Cousin Prod® produisait ici-même ses fameuses affiches ! Il referma discrètement la porte et en découvrit une nouvelle quelques mètres plus loin. Il la poussa, se rendit compte que personne ne se trouvait derrière celle-ci et entra rapidement. La salle était beaucoup plus petite mais chacun des murs était recouvert d'étagères sur lesquelles reposaient des milliers de manuscrits. Lukas attrapa le premier à portée de main et le détailla rapidement. Un scénario inédit de Western Union ! Ses yeux s'écarquillèrent. L'acteur était tombé dans la caverne d'Ali Baba... Chacun de ces livrets contenait un film qui n'était pas encore produit et qui serait forcément un immense succès dans l'avenir. Lukas se mit à trembler d'émotion.  

Andreas fut menotté et on le força à s'asseoir dans une petite pièce où se trouvait un grand miroir, probablement sans teint. L'agent de sécurité qui lui faisait face ne semblait pas commode. Après quelques questions d'usage qui ne reçurent que des réponses balbutiées et peu cohérentes, l'homme quitta la salle d'interrogatoire. Andreas en profita pour retirer ses lunettes-caméra et chercha s'il existait un moyen quelconque de contacter les autres sur la monture. Tout à coup, l'homme revint en courant dans la pièce, défonçant presque la porte d'un coup d'épaule.  

- C'est quoi ça ? J'en étais sûr ! T'es un putain d'espion !  

Andreas se leva brusquement et, renversant le garde, se dirigea vers la sortie. Presque immédiatement, une sonnerie d'alarme retentit et vrilla les tympans du pauvre réalisateur. Ainsi, celui-ci, pensant enfin avoir accès sur l'extérieur, fonça bêtement sur une baie vitrée. Il tomba inconscient sur le sol.  

Jenny attendait patiemment dans le bureau de Gérard Cousin. Du coin de l’œil, elle repéra un post-it sur un coin de l'écran d'ordinateur avec la mention "IMPORTANT" écrite en rouge. Il ne fallut que quelques minutes pour que la voix imposante et caverneuse du célèbre Gérard Cousin se fasse entendre au loin. Le producteur semblait en colère et Jenny comprit qu'il était en train de licencier plusieurs de ses collaborateurs pour une histoire de tâche malencontreusement placée sur le titre d'une affiche. Tout à coup, une sirène d'alarme se mit à résonner dans tout le bâtiment. Sans demander son reste, Jenny comprit qu'il était temps de déguerpir et s'enfuit à toute vitesse, bousculant presque sur son passage l'homme imposant au physique d'ours des montagnes qui lui hurla qu'elle était virée, elle aussi.  

Lukas se mit à trembler. À quelques mètres de lui, bien en vue, se trouvait l'exemplaire de Cibola 2. Il savait pertinemment que ce manuscrit valait des millions, mais pour lui, la valeur était ailleurs. Enfin, il allait savoir si Gérard Cousin comptait sur lui pour ce nouvel opus. Dans ce carnet, se trouvait la réponse à la plus grande des questions sur son propre futur. Et au pire, il pourrait toujours le modifier s'il n'y était pas. Alors qu'il allait s'en saisir, une alarme digne d'une sirène des pompiers se mit à sonner et, pris de panique, Lukas attrapa un tas de manuscrits qui traînaient devant lui et s'enfuit tel le voleur qu'il était devenu.  

Les deux acteurs se retrouvèrent dans la cour principale des studios et purent saisir la panique qui régnait alors. Des acteurs et des techniciens couraient dans tous les sens en hurlant et en se tamponnant les uns aux autres. Quelques coups de klaxon retentirent et Jenny désigna le van qui fonçait au milieu de la foule avant de stopper dans un crissement de pneus. Jenny et Lukas sautèrent à l'intérieur et Ronan Cartalitanesto, qui était au volant, remit les gaz et conduisit le véhicule à l'extérieur des studios de Gérard Cousin Prod®, sans avoir besoin, cette fois-ci, de défoncer la barrière qui obstruait le passage.  

Au bout de quelques minutes de conduite effrénée, Ronan stoppa le van dans une petite ruelle hors de vue. Il souffla un grand coup et se retourna vers les deux comédiens, affichant un visage rougeaud et soulagé.  

- Et bien, les copains, on s'en est bien sorti cette fois-ci. Après on enchaîne, j'ai déjà rentré les coordonnées des studios de Pitbull Production GM® dans mon GPS. Allez, montrez-moi ce que vous avez découvert ! J'ai hâte !  

Le vieil homme bondissait d'impatience, tel un gamin le matin de noël. Jenny lui tendit un post-it, celui qui s'était trouvé auparavant dans le bureau de Gérard Cousin.  

- Y'a le nom de Gaia Williams avec un numéro de portable. Désolée, j'ai pas trouvé mieux.  

- Mais... c'est... génial ! Je vais enfin pouvoir la contacter directement pour lui proposer ce projet de western coquin qui me trotte dans la tête depuis un moment.  

Mais Jenny se garda bien de préciser qu'elle avait recollé un autre post-it. Avec la mention "IMPORTANT" en rouge ainsi que le nom de Gaia. Sauf qu'elle avait écrit son numéro de portable à elle. Qui sait, sur un malentendu...  

Lukas, lui, cachait plus difficilement son malaise. Il repensait à Cibola qui s'était trouvé juste devant lui. Si seulement...  

- J'ai pu récupérer ceci. Ce sont des scénarios originaux qui n'ont pas encore été tournés. Il y en avait des centaines. Avec un peu plus de temps...  

- Mais c'est déjà très bien, mon garçon. Alors, voyons voir. Les Balloches de Gavroche. Le Ninja de Brooklyn. Les Pets d'l'Ex-Calibre Dur. El Santo et Martine petits rats de l'opéra.  

Le regard lancé par le producteur fut éloquent. La profondeur de sa déception était abyssale. Et Lukas n'en menait pas large non plus.  

- Bien. Disons que vous n'avez pas eu de chance et que... Attendez une minute... Heu... Vous n'étiez pas trois, au départ ?  

Andreas se réveilla avec un mal de crâne qui résonnait dans tout son corps. Très vite, il se rendit compte qu'il avait les mains et les pieds ligotés et qu'il était couché sur une table, incapable d'esquisser le moindre mouvement. Il ignorait où il se trouvait, mais il n'était certainement plus dans la salle d'interrogatoire. La pièce était sombre et la peinture des murs s'effritait. Des bruits de pas se firent entendre et Andreas distingua une silhouette qui s'approchait. Bien que mal éclairé, il discerna les contours d'un colosse, aux épaules carrées.  

- Alors comme ça, t'es un espion ? On va voir si t'as encore des choses à cacher...  

L'homme se rapprocha et se positionna sous le seul néon qui éclairait la pièce. Et Andreas se mit à hurler quand il reconnut Steven Cigale qui était en train d'enfiler un long gant en caoutchouc, avec un sourire sadique.  

Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite. Sauf un ou deux.  

Le producteur tient également à préciser qu'il sait très bien que Lost Shadows n'est pas produit par Gérard Cousin Prod®.