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Drexl Production présente
L'Entre-deux

C'était un après-midi chiant d'un dimanche pluvieux, comme il y en avait tant en cette année 2030. Alcide Lepage, dans sa chaise berçante, regardait par la fenêtre d'un oeil morne, plongé dans de vieux souvenirs de temps meilleurs. Il se rappelait avec nostalgie l'époque de sa jeunesse où il s'imposait partout où il mettait les pieds. D'un homme fringuant et respecté, il était devenu un vieillard amer qui passait son temps assis sur une vieille chaise à regarder la pluie tomber. Il se sentait terriblement seul, abandonné tel un vieil électro-ménager qui n'a plus son efficacité d'antan.  

Dehors, une vision particulière tira Alcide de sa torpeur contemplative. Un homme à vélo venait de se faire renverser par une voiture qui n'avait pu freiner à temps pour éviter la collision. Avec la chaussée détrempée, les accidents du genre étaient commun. Les gens, toujours plus pressés, ne voulaient plus prendre en compte leur environnement. Il leur fallait aller toujours plus vite, peu importe les circonstances, peu importe les conséquences. Alcide était définitivement devenu un vieux grincheux. Il oubliait que lui-même avait été autrefois un hyperactif nombriliste complètement obsédé par la réussite et la vitesse. Combien de fois avait-il manqué de renverser des piétons en voulant arriver le premier sur une scène de crime, pour prendre le cliché que personne d'autre ne pourrait se permettre ? Ces souvenirs, Alcide ne les conservait pas. Il ne s'attardait qu'à ceux qui lui rappelait à quel point il avait été un homme bon, responsable et productif.  

 

Dehors, une ambulance emportait le malheureux cycliste et sa jambe fracturée. L'événement de la journée était déjà chose du passée. Alcide avait manqué la plupart des détails, trop occupé à penser à lui-même, encore une fois. Il se tourna et appela Agnès d'une voix rocailleuse qui lui rappelait à nouveau son âge avancé. Il désirait se lever et regagner sa chambre pour y faire une sieste. Même pour les tâches les plus simples, Alcide avait besoin d'un coup de main. Agnès l'aida à se remettre sur pied avec un sourire bienveillant que ne lui rendit pas le vieillard. Elle le guida tout de même lentement jusqu'à sa chambre puis elle partit lui chercher un verre d'eau tiède qu'elle déposa sur sa table de chevet. Alcide ne tarda pas à plonger dans un sommeil sans rêve, bercé par le bruit des goûtes de pluie frappant doucement contre sa fenêtre.  

 

***  

 

La jeune femme courait pour sauver sa vie, regrettant d'avoir fait annuler son abonnement au gym sous prétexte qu'elle manquait de temps pour s'entraîner. Encore deux-cents mètres avant d'atteindre cette fichue porte et la sécurité qu'elle offrait. Un bruit sourd se fit entendre derrière elle et une brique éclata tout près de sa tête, sur le mur du bâtiment. Cette dernière balle l'avait manqué de peu. Elle accéléra en tentant de zigzaguer pour compliquer le travail de l'homme qui en voulait à sa vie. C'est finalement à bout de souffle qu'elle atteignit la porte qui était déjà grande ouverte. Elle se referma pourtant derrière elle dès qu'elle l'eut franchi. C'était moins une. La jeune femme se laissa tomber dans l'herbe fraîche en poussant un râle de contentement. Elle avait l'intention de rester coucher là pour le reste de la journée. Elle méritait de se reposer.  

Un coup de pied dans les côtes lui coupa le peu de souffle qu'il lui restait. Sa soeur n'était pas du genre à s'accorder une pause dans un endroit aussi fragile. Elle se montra sans pitié, relevant la jeune femme et la poussant en avant sans le moindre ménagement. Il leur fallait rejoindre l'autre portail le plus rapidement possible. Joanna craignait un effondrement soudain. Elle avait entendu un grondement suspect pendant qu'elle attendait le retour de Geneviève et de l'artefact. Le type de grondement qui vous détruisait un univers et chamboulait l'Entre-deux durant des mois. Jo ne souhaitait pas rester coincer dans cette lande herbeuse si ça arrivait, pas après avoir vu les conséquences que ça avait sur la psyché d'une personne...  

 

Les deux soeurs parvinrent rapidement à la seconde porte qui les remmènerait chez elles. Il s'agissait davantage d'un panneau coulissant que d'une porte pour dire la vérité. Il était fait d'un bois solide et foncé, marqué par le temps. Les inscriptions gravées sur sa surface n'étaient quasiment plus discernables mais elles n'avaient de toute façon aucun intérêt, à moins de savoir lire un langage éteint depuis quelques milliards d'années à peine.  

Le panneau qui semblait tenir en équilibre dans l'herbe coulissa doucement à l'approche des soeurs, comme s'il reconnaissait les deux jeunes femmes comme étant issu du monde qui se trouvait derrière lui. Il répondait en fait aux ordres de l'artefact que détenait Geneviève. Il y était étroitement lié depuis le début des temps et rien ne changerait jamais cet état de fait. Les soeurs passèrent de l'autre côté sans un regard en arrière et aboutirent dans une petite pièce éclairée par une minuscule fenêtre derrière laquelle tombait une pluie froide et constante. Gen se laissa de nouveau tomber par terre avec un soulagement évident tandis que Jo s'accordait enfin un sourire. Elle gratifia même sa soeur d'une claque bien sentie sur les fesses, signe ultime de sa reconnaissance. Elles restèrent cloîtrée dans la pièce exiguë jusqu'à ce que dehors le soleil commence à se coucher. Personne ne devait les voir quitter cet endroit.  

 

Quelques heures plus tard, Jo était accoudée au comptoir d'un pub chaleureux, sirotant une bière maison bien amère, comme elle les aimait. Le barman lui faisait clairement de l'oeil depuis son arrivée mais la jeune femme avait l'esprit ailleurs. Naviguant sur son téléphone, elle se renseignait sur l'artefact que sa soeur avait récupéré dans l'autre monde. Il s'agissait d'une couronne simple en bronze, démunie d'ornement hormis quelques inscriptions ésotériques que Jo avait pris la peine de traduire sans toutefois en comprendre le sens. Sa provenance était inconnue, mais elle avait été remise entre les mains d'un marchant d'antiquité qui l'avait ensuite revendue à un collectionneur honnête d'objets anciens de toute sorte. Gen lui avait dérobé la couronne sans le moindre scrupule et avec une facilité déconcertante, usant de ses talents pour berner le pauvre homme qui s'était entiché d'elle. La suite de l'opération s'était avérée plus compliqué. Jo ignorait qui était l'homme qui avait cherché à arrêter Gen, mais elle savait qu'il n'était pas à la solde du collectionneur. Un nouveau mystère s'ajoutait à la longue liste d'événements étranges que vivait Joanna depuis un an.  

Sans rien trouver de pertinent concernant l'artefact sur le web de cet univers, la jeune femme rangea son téléphone et tourna son regard vers le barman qui remplissait des pintes avec une passion évidente pour son métier. Jo songea à ce qu'elle pourrait faire de cet homme visiblement en bonne forme physique. Cela faisait un moment qu'elle ne s'était pas permis une folie. Elle engagea la conversation sans laisser voir son intérêt, prenant l'attitude détachée qui lui garantissait du succès auprès des hommes. Elle passa le reste de la soirée dans le pub à boire et à discuter, puis elle raccompagna le barman à son appartement. Ce fut une nuit particulièrement torride pour Joanna Lepage.  

 

De son côté, Geneviève n'arrivait pas à dormir malgré toute la fatigue accumulée au cours des derniers jours. Elle avait menti à sa soeur en prétendant ne pas avoir réellement craint pour sa vie, là-bas dans cet autre monde. En vérité, elle n'avait cessé de penser depuis son retour à ce que sa mort aurait apporté comme conséquence à l'échelle universelle. Son père ne l'avait pas spécialement éduqué dans la foi catholique mais elle croyait tout de même profondément au concept de la vie après la mort dans un endroit appelé Paradis. Qu'arriverait-il à son âme si elle se faisait descendre dans un monde situé à une distance si énorme qu'il était impossible de la quantifier ? Ces questions sans réponse troublaient Geneviève mais elle ne voulait pas partager ce sentiment avec Jo, qui n'aurait pas compris.  

Gen décida finalement d'aller faire une marche nocturne pour se changer les idées. Elle regrettait de ne pas être aller au pub, finalement. Elle s'engagea sur un trottoir d'une rue bordée de chaque côté par des logements au loyer astronomique. Avec l'argent qu'elles gagnaient maintenant, les soeurs se payaient un peu de luxe en plus de la commodité d'être près d'un centre-ville vivant et bondé de clients potentiels. À cette heure tardive toutefois, le trottoir était désert. Gen marchait sans se presser lorsque quelque chose la força à s'arrêter. Il lui semblait entendre un grondement particulier, comme un tremblement de terre mais distant, étouffé. La jeune femme ressentit alors une faiblesse dans ses jambes et elle s'écroula lâchement au sol sans comprendre ce qui lui arrivait. Elle tenta aussitôt de se relever, mais sans succès. Tout le bas de son corps semblait paralysé. Elle allait crier à l'aide lorsque devant elle, au milieu de la rue, apparue une porte en fer, tenant en équilibre sans le moindre point d'appui. Paniquée, Gen prit son téléphone et appela sa soeur, mais elle tomba tout de suite dans la boîte vocale. Le message qu'elle y laissa n'était pas tendre mais il disait l'essentiel : une porte vers l'Entre-deux venait d'apparaître et elle ne pouvait fuir. Elle allait probablement mourir ici.  

 

Tandis que l'univers entier semblait avoir cessé de bouger, la porte s'ouvrit lentement, émettant un léger grincement. De l'autre côté, Gen pu voir un paysage auquel elle ne s'attendait pas. Plutôt qu'une plaine herbeuse, la porte donnait sur l'intérieur d'un vaste hangar militaire, bondé de véhicules blindés et de soldats en alerte. L'un d'eux, très calme, fit un pas en avant et franchit la porte, posant le pied sur l'asphalte d'un monde qui n'était pas le sien. Gen tenta de se relever alors que le militaire s'approchait précautionneusement d'elle, la visant d'un pistolet. Elle ne parvenait pas à utiliser ses jambes et dû donc se résigner à fixer l'homme de son regard le plus menaçant. Celui-ci lui demanda si elle détenait toujours la couronne. Gen ne pensa pas à jouer l'ignorante. C'était inutile. Elle déclara qu'elle avait déjà revendu l'objet à son client et qu'elle ne pouvait révéler son identité. Le soldat dévoila ses dents blanches dans un sourire sarcastique, puis il se retourna et fit un signe à ses semblables de l'autre côté du portail. Celui-ci se referma et la porte disparu aussi soudainement qu'elle était apparu. Sans se montrer intimidée, Gen demanda à l'homme comment il s'y était pris pour ouvrir un passage direct entre les deux univers. "La magie", se contenta de répondre celui-ci avant d'asséner un coup de crosse sur la tempe de Geneviève, l'envoyant dans les vapes.  

 

***  

 

Joanna se réveilla le lendemain avec un sentiment désagréable. Certes, elle avait passé une bonne nuit, mais cet impression d'être passé à côté de quelque chose d'important l'envahissait. Elle remarqua que Carl, le barman, dormait toujours profondément. C'était le bon moment pour filer en douce, rejoindre son appartement, prendre une bonne douche et subir ensuite les quolibets de Gen... À l'extérieur, il pleuvait à verse. Jo ne pu s'empêcher de penser que c'était pareil tous les dimanche en cette année 2030. Elle sortie son téléphone et constata que sa soeur lui avait laissé un message à quatre heure du matin. Jo l'écouta et passa tout près de s'effondrer en entendant la voix paniquée de Gen qui l'appelait à l'aide. L'événement s'était produit quatre heures plus tôt. Quelle poisse!. Jo tenta de retourner l'appel sans véritable espoir. Elle tomba dans la boite vocale et y laissa un message malgré les faibles chances que Gen puisse jamais l'entendre. Joanna héla ensuite un taxi et prit la direction de son appartement. Si un Passeur avait ouvert un portail dans l'Entre-deux, ça ne pouvait qu'être dans le but de récupérer l'artefact. Gen avait certainement révélé l'emplacement de celui-ci sous la menace. Elle n'allait pas risquer sa vie pour un objet de ce genre.  

 

Arrivée à l'appartement, Joanna trouva celui-ci dans un désordre complet. On l'avait fouillé de fond en comble et sans prendre les gants blancs. Certains murs étaient défoncés, les matelas et les coussins avaient été transpercés et vidés complètement. Aucune trace de Gen et de l'artefact. Un tel grabuge aurait dû éveiller l'attention des voisins et attirer la police, mais ce n'était pas le cas. Jo hésitait elle-même à alerter les autorités. Mieux valait sans doute demander de l'aide à ses contacts clandestins, qui comprendraient la situation et ne chercheraient pas à l'interner dans un hôpital psychiatrique. Mais d'un autre côté, avouer la disparition de Gen et de la couronne à quiconque risquait aussi d'alerter son client. Celui-ci n'hésiterait sans doute pas à éliminer Jo s'il apprenait son échec. Il avait déjà payé cinquante pour cent de la valeur de l'artefact et il n'était pas du genre à accepter un remboursement.  

 

À court de solution, Joana pris place sur un fauteuil en ruine et se força à réfléchir. Si le Passeur détenait l'artefact, il n'y avait aucune raison pour lui de s'attarder en ce monde. Il avait dû regagner son univers tout de suite après, emportant Gen avec lui pour qu'elle ne puisse le poursuivre. Comment alors la récupérer ? Joanna ne connaissait aucun autre Passeur dans ce pan de l'univers. Il était écrit dans les anciennes tablettes de l'Entre-deux qu'il ne pouvait y avoir qu'un seul Passeur par dimension. Geneviève était ce Passeur. Joanna, elle, ne pouvait franchir que le premier portail, jamais le second.  

La jeune femme eut soudain un éclair de génie. Ce don qu'elles détenaient, sa soeur et elle, provenait bien de quelque part. Jo n'y avait jamais vraiment songé. Pour elle, les Passeurs étaient des êtres surnaturels façonnés par l'univers lui-même. Toutes ses innombrables lectures racontaient la même légende à laquelle elle s'était pris à croire fermement. Les univers, cherchant à communiquer entre-eux, produisaient de temps à autres des Passeurs, capable de franchir l'Entre-deux et porteurs d'un équilibre nécessaire à la cohésion du multivers. Pourtant, la capacité qu'avait Joanna de fouler la plaine de l'Entre-deux démentait en partie cette théorie. Le don pouvait-il se transmettre de façon héréditaire, ne serait-ce que par accident ?  

 

Joanna ne perdit pas une seconde de plus. Le temps jouait contre elle et la survit de Geneviève était en jeu. Elle sortit dans la rue et grimpa dans sa voiture qu'elle n'utilisait qu'en cas d'urgence. La chaussée était détrempée mais Joanna n'y prêta pas d'attention. Il lui faudrait peut-être une heure pour traverser la ville et ses embouteillages et atteindre la banlieue où se trouvait la résidence. Il semblait à Jo qu'elle regrettait presque toutes les actions qu'elle avaient posées récemment : faire de la contrebande d'artefacts provenant d'autres univers, coucher avec ce barman qu'elle ne reverrait sans doute jamais et placer son vieux paternel dans une maison de retraite à l'extérieur de la ville. Pas de doute, Joanna Lepage était incapable de prendre les bonnes décisions.  

 

***  

 

Alcide ne dormait que depuis une dizaine de minutes lorsqu'on osa frapper à la porte de sa chambre. Le vieil homme émit comme seule réponse un borborygme intestinal. On frappa de nouveau. Cette fois, Alcide lança une imprécation haineuse en direction de la porte, qui s'ouvrit sans invitation. C'était Agnès. Elle se répandit en excuse et prétexta qu'une personne souhaitait lui rendre visite. Le vieil homme n'eut pas le temps de protester qu'une jeune femme au teint blafard entra dans sa chambre et referma la porte au visage d'Agnès qui ne s'en formalisa pas. Alcide ne reconnut pas tout de suite sa fille aînée. Il faut dire qu'elle était complètement détrempée, de la tête au pied, et qu'elle ressemblait davantage à un chien battue qu'à une femme. Elle s'approcha du vieil homme en lui faisant signe de ne pas se lever. Elle tira une chaise près du lit et prit une gorgé du verre d'eau qui traînait sur la table de chevet. "Uhmm, tiède". Elle posa une main sur le torse d'Alcide. "Je suis contente de te voir, P'pa. J'ai heurté un type à vélo juste devant la résidence. Il s'est cassé la jambe le pauvre. Tu m'as toujours dit que je conduisais comme une quille...." Elle retira sa main et prit un grande respiration. "Dis, papa, ça t'arrivais souvent de traverser l'Entre-deux, à l'époque ?"  

 

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Genevière Lepage - Yaelle Fillion  

Joanna Lepage - Renee Bartek  

Le Passeur - Chris Armstrong  

Alcide Lepage - Jean-Luc Bellot  

 

 

Scénario :
une série B fantastique de Aileen Diamond

Chris Armstrong

Yaelle Fillion

Jean-Luc Bellot

Renee Bartek
Musique par Leila Sansel
Sorti le 24 août 2030 (Semaine 1338)
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