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When my love is away

J'ai longtemps voulu partir, loin, très loin. M’enfuir. Je m’imaginais, agrippé à la coque d’une barque, errant. Qui sait, peut être aurais-je croisé une sirène, qui m'aurait alors mené vers les abysses sans que j’en prenne conscience. Je serai sans doute mort noyé. Mais après tout, n'étais-je pas en train de me noyer dans la langueur des journées pluvieuses, plus qu'abondantes du côté de Birmingham ...  

 

J'avais grandi, je n'étais plus ce gamin cynique. La vie m'avait laissé une chance, et alors, je l'avais saisi avec vigueur. Je sortais de six années d'études de droit. Six ans que je vivais ici, à Birmingham, six ans que j'avais quitté Oswestry, la petite ville où j'avais grandit. Parfois, je prenais plaisir à imaginer ce qu'il était advenu des mes amis. Liam devait désormais être un disquaire reconnu à Liverpool tandis que Tommy, lui, avait surement terminé ses études de lettre depuis quelques années. Mad avait peut être enfin monté sa propre pièce de théâtre à Londres. Alice quant à elle, devait s'être remarié depuis la naissance de Nate, mon filleul ...  

 

Maria, ma belle soeur, la ruskov, était devenue une respectable chargée d'affaire. Et ça, c'était une certitude. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle et moi étions devenus proches ; on ne se voyait qu'en de rares occasions, mais chacune de nos retrouvailles faisait vivement frissonner mon être.  

 

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WHEN MY LOVE IS AWAY  

 

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« Je t’en prie ... ta mère a toujours été frustrée de ne pas être la première femme a tenir la queue de mon père ... »  

 

Ses yeux, d’une noirceur absolue, à peine éclairés par d’infimes et légers reflets, me firent d’abord craindre une dramatique riposte. Mais très vite je vis dans la torsion de ses délicates lèvres, une tentative sournoise de contenir un rire qu’elle laissa finalement éclater quelques secondes plus tard. Maria et moi avions un humour que bien des gens auraient défini comme complètement grossier et malvenu. Nos parents (mon père, sa mère) jusqu’alors époux, se séparaient et je ne dissimulais absolument pas ma joie de voir mon père libéré d’une telle harpie. Maria avait une pleine connaissance du mépris que je portais à sa génitrice et l’acceptait parfaitement, comme je lui pardonnais de ne pas porter mon père dans son coeur. Cette étrange réciprocité nous avait curieusement rapproché et était source de nombreuses de nos discussions et plus encore de mémorables éclats de rire.  

 

Maria était de passage à Birmingham et nous nous retrouvions dans ce pub un peu rustique de Burrow’s Lane dont le nom m’échappe toujours. Nous parlions machinalement des éphémères relations dont nous avions récemment jouis, des groupes de rock que nous avions découvert depuis peu et puis, bien évidemment, nous nous plaignions de nos despotes de patrons.  

Il était déjà 21h. Une fête prévue depuis plusieurs semaines m’attendait. J’allais l’abandonner lorsqu’elle me suggéra de passer la soirée à ses côtés. Elle pouvait m’accompagner à la fête à laquelle j’étais invité, ce n’était pas un problème et c’est d’ailleurs ce que spontanément je lui proposais. Je perçus dans l’immédiat plissement de ses yeux une insatisfaction certaine, qu’elle ne tarda d’ailleurs pas à manifester verbalement :  

 

« Ah, non merci. Je te dérangerai pas davantage, et c’était vraiment pas la peine de te déranger pour moi ... Je ... Je vais te laisser retourner à tes véritables amis ... tes adorables, tes fantastiques junkies d’amis .... »  

 

Elle se leva alors qu’elle débitait ses inepties et je ne lui faisais point obstacle. Muet, je la regardais déclamer un discours qu’elle semblait avoir composé depuis longtemps, comme si d’un coup les reproches qu’elle n’avait jamais osé me porter explosaient, telle l’indomptable éruption d’un volcan resté endormi trop longtemps. Les mots formaient alors une nuée ardente qui, sans que je puisse en réchapper, m’étouffaient violemment. Son aigreur croissait tandis qu’elle observait mon absolue passivité. Les mots commençaient à s’espacer, le vide et le silence s’imposant lentement. Soudain elle se tue complètement. Certainement pour s’assurer que j’étais encore conscient, elle répéta plusieurs fois mon nom. Les timides et perplexes coups d’oeil que je lançais en sa direction lui firent alors comprendre que j’étais complètement clair et éveillé, et que rien ne m’avait échappé. Dubitative et sans doute furieuse, elle enfila son manteau ciré et, dans un silence lourd, s’en alla.  

 

Mais quelle salope. Qui était-elle pour juger ceux qui étaient, quotidiennement, présents pour moi ? Qu’est-ce qui rendait ces personnes moins fréquentables qu’elle, noble et éminente gratte-papier ? Rien, absolument rien. Je n’en revenais pas de l'avoir écoutée ainsi sans ciller. J’aurais dû lui dire que je préférais sincèrement crever qu'entendre encore une fois sa voix nasillarde et snob. Mais voilà, j’étais et je demeure le genre de mec qui ne cille pas quand sa salope d’ex-belle-soeur dit des conneries. Un lâche.  

 

J'avançais machinalement sans porter d'attention aux étroites ruelles que j'empruntais. Mon esprit entier tentait de s'expliquer ce qui s'était déroulé quelques minutes plus tôt. Le chaos régnait, plongeant ma raison dans le tumulte et le trouble.  

Après avoir emprunté une quarantaine de coupe-gorges suintant l'urine et le tabac froid, j'arrivais à destination. Se dressait devant moi un vieil immeuble couvert d'illustrations qui se voulaient assurément modernes et urbaines mais qui n'étaient que futiles et moches. L'édifice vibrait au rythme de basses totalement désaccordées qui assommaient mon coeur, tandis qu'un affreux brouhaha tout aussi peu mélodieux venaient dissoudre mes tympans. J'étais au seuil du lieu le plus couru de Birmingham à cette heure-ci : le Cocoon.  

Ecstasy, speed, mescaline, cocaïne et autres douceurs se trouvaient au centre d'un trafic incessant, sorte d'entonnoir invisible qui finissait toujours par écouler son contenu dans le sang des milliers de personnes présentes chaque nuit. La prise de drogue ne m’attirait nullement, pourtant je me retrouvais régulièrement au milieu de cette foule bouillonnante. L’atmosphère me fascinait. Mais en cette nuit je ne pouvais m’extasier devant la beauté des effets lumineux. Je ne songeais qu’à Maria. Après l’avoir totalement méprisée quand nous étions adolescents, j’avais appris à la connaître pour découvrir aujourd’hui que je ne connaissais rien d’elle. Elle n’avait jamais été que la projection d’un idéal et je n’avais donc fait qu’effleurer la véritable femme qu’elle était. Tout n’avait été qu’illusion, mirage, mensonge.  

 

Soudain je vis Aldred, un ami que j’avais rencontré lors de ma première année à l’Université et qui avait abandonné le droit pour une carrière de disc-jockey. S’il lui arrivait donc de s’occuper du son, il n’était présent ce soir que pour secouer son corps frêle devant les caissons. Son regard vif ayant croisé le mien, Aldred me bondit dessus avant même que je ne prononce un mot. Il me prit la main et me mena au devant de la masse qui ne cessait jamais de remuer. Nous tentâmes d’échanger quelques mots mais ceux-ci se trouvaient dilués dans l’indéchiffrable vacarme ambiant. Une femme qui devait avoir la quarantaine s’approcha. Dans un langage fait de gestes, je lui exprimais combien les symboles dessinés sur son visage à l’encre fluorescente me plaisaient. Elle sembla apprécier le compliment et plongea la main dans son décolleté avant d’en extraire un minuscule sachet. Elle l’entrouvrit et le porta délicatement au niveau de mes yeux ; deux tout petites gélules y logeaient. Je profitais du relatif silence dû à une transition musicale pour demander ce dont il s’agissait.  

 

« Un demi-gramme d’extase » me répondit-elle avec un irrésistible sourire ...  

 

 

La lumière du soleil perçait les nuages pour se frayer un chemin dans l'étroite fente formée par l'écart des volets. Son éclat vif dressait un net sillon en plein coeur de la pièce. Mes yeux fuyant cette incroyable clarté croisèrent le corps nu d'une femme encore assoupie. Elle croisait ses bras, cerclant son corps charnu, tel un épais rôti vigoureusement ficelé. Si je ne trouvais aucun charme aux standards décharnés de mon époque, les formes surabondantes de cette femme ne m’attiraient d’aucune sorte. Le demi-gramme avait fait son effet.  

Soudain, mon téléphone se mit à chanter, faisant raisonner la fragile voix de David Bowie dans l'entièreté de la pièce. Un simple tapotement sur l’appareil réduisit l’icône glam-rock au silence et je pus alors découvrir la cause de cette manifestation musicale : un message venait d'atterrir sur ma boîte vocale ...  

 

« Allo ... c'est ... c'est Alice, Alice Kent ... J'ignore si tu te souviens de moi ... On était au lycée ensemble ... Jt’appelai pour te dire ... t’annoncer que ... que Liam ... que Liam est mort. »  

 

Jamais je ne pu réécouter la voix de Bowie que j’appréciais tant et qui dès lors fut, tel un sinistre croassement, associé au funeste présage.  

 

 

 

Immédiatement après avoir pris connaissance du message, j'avais rappelé Alice. Elle m'avait indiqué, entre deux gémissements, la date et le lieu des funérailles de Liam et aussitôt j'avais pris la direction d'Oswestry, que ni elle, ni Liam n'avaient quitté. Je ne tentais plus d'essuyer les larmes qui s'écoulaient continuellement le long de mon visage morne. Mon regard était insensiblement tourné vers l'horizon qui se dévoilait à travers les vitres du car, mais mes pensées étaient, elles, entièrement dédiées au passé.  

 

Tout était allé si vite. Nathan était mort, et deux mois après, Alice se découvrait enceinte d'un orphelin. On avait tenté d'être là au début. Au début seulement. La vie nous avait appelé, les uns après les autres, les uns suivant les autres.  

Et Alice ?  

Alice était restée, seule, attachée au seul souvenir de son amour vif pour un être qui ne l'était plus. Elle s'était confiée à nous comme un bigot au seigneur et nous, nous n'avions pas hésité à la confier au mal.  

 

Tristesse, colère et amertume se liaient progressivement. Ce qui était autrefois inconscient devenait très clair : je n'avais toujours fait que penser leurs vies, sans jamais m'en soucier. Les histoires que je leur attribuais, songeur, n'étaient que des mirages que je n'avais jamais chassé par peur de bouleverser la douce et belle nostalgie à laquelle je tenais tant. J'avais égoïstement figé ces êtres que j'aimais profondément en de doux souvenirs parce que leur inévitable revers m'épouvantait. J'aurai sans doute fini mes jours sans n'avoir jamais pris de leurs nouvelles, mais la conscience de leur sort m'était désormais insupportable. Alors que j'avais reproché à Maria ses réflexions de petit-bourgeoise, je me découvrais doté d'un atroce égoïsme, jusqu'alors dissimulé derrière une illusoire candeur.  

 

J’avais mille fois ressassé mes moins fameux souvenirs lorsque le car arriva à Oswestry. Je reconnu les plaines verdoyantes dans lesquelles j’avais couru en d’innombrables occasions, l’épicerie responsable de mes premières cuites et cette incomparable pluie parfaitement régulière qui s'abattait présentement sur la ville. Je reconnus la place sur laquelle le véhicule s’arrêta. Je reconnus Alice, malgré les fêlures et les cernes, malgré le temps, malgré la vie. Son regard n’avait pas changé, illuminant un visage pale et un corps quasi cadavérique. Nous échangeâmes une brève étreinte puis quelques mots, quelques sourires désolés avant de nous rendre à son appartement. Celui-ci se trouvait au dessus d’une pizzeria et n’avait qu’une unique fenêtre. Des poutres rongées par l’humidité traversaient le logement de long en large et en différents niveaux ; il fallait parfois lever la jambe pour ne pas trébucher ou, à l’inverse, baisser la tête pour ne pas s'assommer.  

Lorsque nous pénétrâmes dans l'appartement, la télévision diffusait un film d'animation japonais comme il y en avait des tonnes à l'époque. Affalé sur un canapé convertible, un jeune garçon s'était assoupi. Nate n'était plus cet immonde poupon rosâtre dont Alice m'avait fait parrain six ans plus tôt, mais un joli effet de la fuite du temps, six ans plus tard. Il avait grandi, ses lèvres s'étaient dessinées, sa chevelure s'était densifiée. Abandonné aux bras de Morphée, il m’évoquait un sentiment d’absolue quiétude.  

Tandis que j’observais tendrement mon filleul, Alice s’affairait en cuisine. La voyant peler des navets et des pommes de terre, je compris ce qu’elle avait prévu pour le repas : des cornish pasties, sorte de chaussons garnis, dont sa mère, originaire de Cornouailles, était la spécialiste. J’eus un léger pincement au niveau de la poitrine, me remémorant les nombreuses fois où nous nous étions tous retrouvés chez Alice, jouissant des nombreux mets délicatement confectionnés par Mrs. Kent. Mad, Tommy, Nathan, Alice et moi, nous bidonnant en dévorant des scones, c’est le tableau qui se dévoilait à moi, intimement. Mais ce soir-là, nous n’étions que deux à table et aucun rire n’éclata.  

 

Saucissonné dans mon duvet depuis plus d'une heure et ne trouvant pas le sommeil, je commençais à perdre patience. L'enterrement devait avoir lieu dans quelques heures et les souvenirs continuaient d'affluer, obscurcissant mon esprit. Mais soudain, un tendre murmure m'extirpa de mes pensées :  

 

« Tu n'arrives pas non plus à dormir, hein ... ? »  

 

Alice vint s'assoir à mes pieds, sur le rebord du lit. Sans dire un mot, elle porta sa main sur mon torse, qu'elle commença à couvrir de caresses. Elle se courba ensuite au dessus de moi et, sans que je puisse verbaliser mon consentement, m'assena de baisers.  

 

Mêlons nos moiteurs et vivons de torpeur, dans l'impossible facétie d'une possible bonheur ...  

 

 

 

La pluie, la pluie, la pluie. Le cliquetis de l'averse sur la fenêtre semblait mécanique, pareil à une inépuisable mitraillade. Les projections s'élançaient sur la vitre avec une telle impétuosité que l'on pouvait craindre que celle-ci cède. Après m'être longuement étiré, je déployais mes jambes hors du lit pour me lever. J'ouvris délicatement la porte de ma chambre, ne sachant pas si mes hôtes étaient éveillés. Sur le canapé, seul, Nate dormait encore profondément. Sa mère, en revanche, avait du se lever et sortir faire quelques courses. Ne sachant que faire, j'entrepris de préparer la table pour le petit-déjeuner avant qu'un bout de papier ne bouleverse mon programme ; une lettre dont j'étais le destinataire avait été précieusement déposé en plein coeur de la table :  

 

« Tu voudras, à raison, m'enchaîner au pires qualificatifs lorsque tu auras lu ces quelques mots, mais il sera trop tard car je ne pourrai les entendre. J'ai égoïstement pris la décision de fuir. L'odeur de la mort a toujours côtoyé ma vie, je m'en vais donc côtoyer la mort.  

Je n'avais rien à offrir à mon fils, si ce n'est un amour fétide ...  

Prends soin de lui, prends soin de toi.  

Alice. »  

 

La pluie, la mort, l'ennui, la mort.  

Alice s'en était allée, mais pas exactement au Pays des Merveilles. Venu enterrer un souvenir d'enfance, j'étais aujourd'hui condamné à la pénitence.  

 

 

 

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Liam Gray : Landon, le narrateur  

Tabira Baulman-Romkins : Alice  

Trevor Bacon : Nate  

Jenny Connelly : Maria  

 

Suite de "All the lonely people", sorti en 2025 :  

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Scénario : (2 commentaires)
une série B dramatique de Esther Prescott

Liam Gray

Tabira Baulman-Romkins

Trevor Bacon

Jenny Connelly
Musique par Alice Isham
Sorti le 30 octobre 2032 (Semaine 1452)
Entrées : 21 971 653
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