La lumière du jour pénétrait enfin à travers les fenêtres à demi-closes et éclairait l'appartement d'une douce et apaisante lueur. Le couloir était désert, quand Hans surgit d'un coup. Il attrapa sa veste suspendue au porte-manteau d'un geste vif, impatient. Il passa sa main aux longs doigts dans sa belle crinière blonde en bataille, comme pour y remettre un peu d’ordre – en vain. Hans posa la main sur la poignée de la porte et s'apprêtait à l'ouvrir quand il se retourna. Il jeta un ultime regard à la vaste pièce qui fut sa chambre pendant longtemps. Il lâcha la poignée et s'approcha du landau blanc où son tout petit fils dormait à poings fermés. Hans contempla une dernière fois son petit front dégarni, son adorable visage joufflu...Il l'effleura du bout des doigts, et se résolu enfin à partir. Il ne daigna même pas jeter un regard à celle qui fut sa femme pendant tant d'années. Anne (Ruth Galway) gisait tristement sur le sol, le visage ensanglanté.  

Hans referma la porte un peu trop fort à son goût. Peu lui importait : sa vie allait changer. Il n'entendit même pas les cris de Tobias, qui pleurait dans son landau, abandonné.  

Une épaisse fumée blanche s'élevait lentement dans le ciel de Rome, tandis que la foule de fidèles, massés par milliers sur la place Saint-Pierre, laissait échapper sa joie. Le Saint-Siège n'était plus vacant. Les catholiques du monde entier s'étaient trouvé un nouveau guide. Le visage du pape s'affichait désormais sur les écrans géants, ainsi que son nom. Il avait choisi de s'appeler Urbain. Urbain X. Pourtant, il demeurait un parfait inconnu.  

Le pape apparaissait au balcon de son palais, saluant les fidèles du monde entier. Intérieurement, il grimaçait. Il avait espéré son succès plus total. Pourtant, il devait admettre que jamais une foule n'avait été aussi sceptique et froide face à un souverain pontife fraichement élu. Il écarta lentement les bras, ferma les yeux. Il lui paraissait que les rumeurs les plus folles circulaient déjà. Certains touristes parlaient d'erreur de comptage. D'autres, de complot.  

Tobias (Klaus Hughes) arrêta l'enregistrement. Cela faisait maintenant des années qu'il revoyait en boucle cette scène. Il connaissait cet homme. Il lui donnait la nausée. Il pensa avec douleur à sa mère, assassinée, quand son père adoptif arriva dans sa chambre. D'un geste vif, il éteignit la télévision. L'heure de sa vengeance avait sonné.  

Hans (Stjepan Boksic)– ou plutôt Urbain X - se réveilla subitement dans son lit. Il était en sueur. Le Saint-Père avait fait un mauvais rêve. Ce n'est rien qu'un cauchemar, tentait-il de se persuader. Pourtant, un profond sentiment de malaise s'emparait de lui. Ne tenant plus, il se leva d'un bond, enfila un peignoir brodé à ses insignes et ses pantoufles bien moelleuses. Il fallait qu'il fasse un tour.  

Les Illuminati avait toujours été réputés pour être de grands savants opposés aux dogmes de l'Eglise. Hans avait baigné dans ce milieu secret et entouré d'un voile mystérieux et étrange depuis sa prime enfance, ses parents appartenant tous les deux à cette société secrète légendaire. Il avait vite compris que ses membres n'étaient pas des personnes ordinaires. Tous avaient développé des pouvoirs surnaturels – divins -, grâce aux recherches menées. Malheureusement, ses parents étaient morts brutalement, alors qu'il n'avait que douze ans à peine. Un véritable choc. Il s'était dès ce jour promis de continuer et d'achever leur œuvre.  

Le Pape déambulait dans son gigantesque palais, sans nul autre but que de trouver enfin ce sommeil qui le fuyait. Peut-être la prière m'aidera-t-elle, se dit-il. Le souverain pontife se dirigeait désormais vers la basilique saint-Pierre. Il était toujours seul, errant dans les parties sombres de son palais tel un fantôme perdu, une âme égarée. Enfin, il arriva dans la basilique. Tout était calme. La lune projetait à travers les vitraux une étrange lueur bleutée qui mettait quelque peu mal à l'aise Urbain X. Il s'agenouilla au milieu du lieu, et joignit ses mains. Mais il devait bien avouer qu'il ne connaissait toujours aucune prière.  

Et il avait tenu parole. Hans avait trouvé la vérité. Une découverte qui lui conférait un certain pouvoir sur l’Église. Il avait mené ses travaux avec sa femme. Il aurait pu tout révélé au grand jour, mais le pouvoir pontifical était, il fallait bien le dire, bien attirant. Aussi avait-il assassiné sa femme et abandonné son fils. Bizarrement, il n'avait jamais eu aucun remord. Le Pape était mort dans d'étranges circonstances. Hans s'était alors empressé de rencontrer les cardinaux. Avec la preuve qu'il détenait et ses pouvoirs, ceux-ci n'eurent d'autre choix que de le nommer pape. La machination avait réussie.  

Urbain X était toujours seul. Il marchait lentement à travers la basilique, tendant l'oreille, attentif au moindre son. Le souverain pontife en était sûr : il entendait des bruits. Une sorte de courant d'air irréel. Un bruit qu'il ne connaissait que trop bien. Redoutant ce qui allait se produire, il ferma les yeux, et soudain, la porte de l'église s'ouvrit à la volée. On pouvait désormais apercevoir un homme vêtu d'une cape rouge, qui s'avançait calmement dans l'allée. Le pape avait rouvert les yeux, et il restait planté là, terrifié. L'homme accéléra brusquement le pas et se retrouva nez à nez avec son hôte. Il ôta le capuchon noir qui masquait son visage et laissa découvrir une barbe noire, finement taillée. Urbain X n'en croyait pas ses yeux. Il fit volte-face et tenta de s'enfuir. L'homme lui laissa quelques mètres, puis tendit sa main droite devant lui. Le pape s'arrêta net et tomba lourdement sur le sol.  

Quand Urbain X se réveilla, il était allongé à même le sol froid, les mains sur le torse. Il se redressa lentement, du fait de son âge avancé, et s'aperçut qu'il avait revêtu son habit de jour. Il se releva complétement et il entendit une voix lui murmurer dans le creux de l'oreille :  

- Je suis là, Hans.  

- Qui êtes-vous ?  

- Tu le sais. Content de me revoir, Père ?  

Tobias arborait un sourire mauvais autant qu’énigmatique. Un sourire plein de rancœur. Urbain X revenait à ses esprits. Son visage dégoulinait de sueur, ses tempes battaient violemment. Il se sentait faible tout d'un coup, lui qui, toute sa vie durant, avait aspiré à la puissance et au pouvoir, encore et encore. Il tomba à terre. Son fils était plus puissant que lui, désormais. Et il n'osait pas le regarder dans les yeux, il n'osait pas regarder son passé si douloureux, si abject, en face. Pourtant, il sentait bien le regard brûlant, avide de Tobias qui le jugeait et le fustigeait.  

- Relève-toi.  

D'un regard, Tobias obligea son père à se relever.  

- Bats-toi !  

- Non.  

Urbain reçut un coup de poing invisible à l'estomac, qui eut pour effet de le plier en deux.  

- Bats-toi, dis-je !  

Un autre coup partit. Le pape ne faisait rien pour l'esquiver, et d'autres suivirent, de plus en plus violents. Les coups cessèrent soudain. Il cracha du sang sur le sol, et alors il osa enfin regarder son fils dans les yeux.  

- Tu ne vas pas me tuer, mon fils. J'ai consacré toute ma vie à...  

- La recherche du pouvoir. Mais ta vie arrive à son terme.  

Il enveloppa son père d'un drap rouge et l'étendit sur le carrelage. Une détonation sourde s'en suivit, puis, plus rien. La nuit reprenait ses droits, pour quelques heures.  

Le soleil commençait déjà à se lever sur la cité du Vatican. Les pigeons peuplaient encore la place Saint-Pierre, en attendant que les touristes y arrivent en masse. Malgré la sérénité du paysage, encore endormi, on aurait pu presque ne pas voir cette silhouette rouge fuir loin de ces lieux.  

Amélie (Adria Froese), une touriste française, arrivait la première sur la place. Au moins, elle aurait une bonne place pour apercevoir le pape. Soudain, elle aperçut une fumée blanche qui s'échappait dans le ciel...