Le temps semblait aller au ralenti. Kalinka se sentait légère, mieux qu'elle ne s'était jamais sentie depuis des mois. Au-dessus d'elle, la lumière l'éblouissait mais elle parvenait malgré tout à distinguer les flash des appareils photos qui crépitaient autour d'elle. C'était son heure de gloire, elle qui avait quitté son pays avec le rêve de devenir célèbre. Elle se sentait comme flottant au-dessus du sol, flottant au-dessus de son propre corps. Elle se sentait libre, elle se sentait bien.  

Autour d'elle, la foule se bousculait pour la voir, voir qui était cette jeune femme qui allait sans aucun doute faire la une de la presse dès le lendemain. Tous les journalistes étaient là, couvrant l'évènement. En la voyant allongée sur cette civière, difficile de distinguer le sentiment d'apaisement sur le visage couvert de coups de Kalinka, pourtant la jeune femme se sentait bien. Très bientôt, elle espérait être libérée de cette situation dans laquelle elle s'était retrouvée après avoir quitté son pays.  

Abandonnant ses collègues qui emmenaient avec eux plusieurs hommes menottés, le lieutenant Clements rejoignit Kalinka et monta à ses côtés à bord de l'ambulance. Elle devait tenir bon. Il ne pouvait pas avoir fait tout ça pour rien.  

Embarquant à bord du bâteau qui doit la mener à Gérardmerveille, Kalinka (Lisa Edwards) n'arrivait pas à croire que son rêve se réalisait. Elle qui avait toujours rêvé d'être célèbre, et de quitter cette vie misérable qu'elle menait ici, apercevait enfin la possibilité de réaliser ce rêve. Bien sûre elle n'était pas seule, plusieurs autres filles ayant été comme elle recrutées pour devenir danseuse. Mais la seule idée de rejoindre cette ville dont elle rêvait depuis toujours était pour elle une chance énorme. C'est malgré tout avec un petit pincement au coeur qu'elle abandonnait derrière elle sa famille, mais elle se consolait à l'idée qu'elle pourrait peut-être bientôt leur envoyer par courrier de quoi vivre une vie meilleure grâce à ce qu'elle allait gagner à Gérardmerveille.  

Les choses avaient été très vite une fois les auditions effectuées. A peine avait-elle fait quelques démonstration de ses compétences de danseuses, que les producteurs cinélandais venus sur place avaient fait signer un contrat à Kalinka. Le contrat était en anglais, car ces hommes travaillaient à l'international, et la jeune femme tout juste majeure ne pratiquant pas couremment la langue n'avait pas pu lire en détail tous les élements de celui-ci, mais le principal était là : elle allait être danseuse à Gérardmerveille. C'était un rêve de petite fille qui allait se réaliser. Elle avait alors confié son passeport à ces hommes afin qu'ils fassent les démarches administratives nécessaires pour qu'elle puisse quitter le pays, puis elle avait embarqué comme les autres filles à bord de ce bateau.  

Le voyage allait être long, et pour ne pas perdre de temps l'embarquement avait eut lieu dès le lendemain soir. Kalinka avait à peine eut le temps de faire ses au revoir à sa famille, avant de laisser derrière elle sa mère, les yeux remplis de larmes. Le bateau à bord duquel les filles avaient embarqué n'était pas du plus grand confort, mais après tout ces hommes n'allaient pas leur dérouler le tapis rouge alors qu'elles n'étaient pas encore célèbres. Les choses viendraient avec le temps.  

Debout sur la piste de danse, la jeune femme se déhanchait autour de la barre de métal, devant un public sous le charme. Les premiers jours avaient été très durs pour Kalinka, lorsqu'elle avait découvert de quelle danse exactement il était question dans son contrat. Elle avait d'abord refusé en bloc, n'acceptant pas de se livrer ainsi telle de la viande à ces pervers qui n'attendaient que de le voir nue. Elle avait demandé à rentrer chez elle, mais les hommes qui l'avaient emmenée jusque là n'étaient pas du même avis. Elle leur devait beaucoup d'argent pour le trajet, et elle ne récupérerait son passeport qu'une fois sa dette remboursée.  

Il ne tenait qu'à elle de rembourser rapidement cette dette, en donnant de sa personne au maximum. Plus les clients de la boite de nuit seraient satisfaits de ses spectacles, moins ils hésiteraient à lui glisser quelques billets. Et si jamais elle s'y prenait bien, peut-être l'un d'eux serait même-t-il prêt à payer ce qu'il fallait pour une danse en privée dans une chambre de l'étage, et plus encore. D'autres comme Kalinka avaient refusé en bloc. Monsieur Lester, leur patron, avait alors fait un exemple de Daria qu'il avait battue à mort sous les yeux de ses amies. Deux hommes l'avaient ensuite emmenés, puis plus jamais elles n'eurent de nouvelles d'elle.  

Kalinka avait mis plusieurs jours à se jeter à l'eau, mais elle avait fini par y parvenir. Le tout était de faire le vide avant d'entrer en scène. Il fallait presque oublier tous ces hommes qui avaient le regard rivé sur elle. Petit à petit, la jeune femme avait apris à maîtriser cette transe dans laquelle elle entrait lorsqu'elle montait sur scène, aidée par la drogue, sur les conseils d'une "ancienne", qui lui permettait de quitter en quelque sorte son corps, comme s'il ne lui appartenait plus. Elle se laissait alors porter par la musique, et se lançait dans une danse endiablée qui remportait un franc succès auprès de la clientèle du club. Kalinka était devenue la plus prometteuse de sa "promotion". Monsieur Lester était ravi de ses prestations et performances.  

Assis dans un coin du club, il observait encore une fois sa dernière recrue sur scène. Ce soir encore, il ne faisait aucun doute qu'elle attirerait un client dans une chambre. Peu nombreux étaient ceux qui y résistaient, si bien que son prix allait bientôt pouvoir monter.  

Assise avec les autres filles à bord du bateau qui les emmenait vers l'île de leurs rêves, Kalinka discutait avec Inesa et Daria de ce qu'elle voudrait faire plus tard, lorsqu'elle serait célèbre. Voyageant les unes contre les autres dans ce bateau au confort sommaire, les filles s'étaient rapidement rapproché et étaient devenues amies. Toutes avaient à peu de chose près le même passé : des parents pauvres, des études écourtées, peu de chances de réussir. Elles rêvaient toutes de danse ou de mannequinat, si bien qu'aucune n'avait hésité devant l'occasion de réaliser leur rêve.  

Eblouïes par toutes ces paillettes qu'on leur avait fait miroiter, elles n'avaient pas soupçonné un instant qu'on puisse se jouer d'elle. Cet embarquement de nuit à bord de ce bateau qui ressemblait plus à un navire de commerce qu'à un paquebot de voyage, le fait qu'elles n'aient pas encore récupéré leurs papiers. Rien de tout ça ne leur avait mis la puce à l'oreille. Mais elles allaient très rapidement se rendre compte que la réalité était bien loin de ces rêves qu'elles avaient plein la tête, et que le piège dans lequel elles étaient tombé allait se refermer sur elles à tel point qu'elles ne pourraient jamais en sortir.  

Le lieutenant Mike Clements (Bryan de Camp) entra dans le club et croisa immédiatement le regard du patron, qui comme d'habitude observait silencieusement les aller et venues de ses clients. Depuis des mois déjà, le lieutenant menait une enquête sur ce club, qu'il soupçonnait de cacher un trafique d'esclave, et un réseau de prostitution. Mais le patron du club savait camouffler ses affaires de manière à ce que rien ne ressorte. Bien décidé à ne pas lâcher l'affaire, le lieutenant Clements revenait chaque soir comme pour harceler Lester, lui montrer qu'il serait toujours là, derrière lui, à attendre la moindre faute de sa part.  

En le voyant entrer comme chaque soir, Lester lui lança un sourire moqueur. "Vous ne pouvez plus vous passer de mes filles, Clements. Faites attention, on y devient vite accroc." Mike ignora cette pique et alla s'asseoir à sa place habituelle. Sur la piste, cette jeune danseuse offrait comme à chaque fois un spectacle envoutant. Le lieutenant était forcé d'avouer que la voir ainsi se déhancher attisait chez lui quelque chose d'enfoui et de bestial que tous ces hommes autour de lui devaient posséder eux aussi. Mais tous parvenaient-ils à se limiter au spectacle ?  

Les bruits qui couraient laissaient clairement entrendre que contre une coquette somme il était possible de s'entretenir en privé avec une de ces filles. Mais Lester avait organisé les choses de telle manière que tout cela se faisait dans la plus grande discrétion. Mike Clements craignait cependant que tout cela ne finisse mal pour ces filles. Car il savait trop bien ce que ces mafias du sexe faisaient d'elles lorsqu'elles ne plaisaient plus hautant, et qu'elles étaient remplacées par de nouvelles venues plus jeunes. Au mieux elles étaient vendues à un pervers qui en faisait son esclave sexuel, au pire elles étaient abandonnées, mortes, si la drogue ne les avait pas tuées avant.  

Ces derniers mois encore, plusieurs des danseuses du club avaient ainsi disparu de la circulation. Croisant le regard de Kalinka sur scène, qui plongea au plus profond de lui, Mike se promit que cette fois, il ferait le nécessaire pour coincer Lester avant qu'il ne soit trop tard pour elle.