Les balais d'essuie-glace effectuaient leur vas et vient en travers du pare-brise de la voiture à vive allure, pour évacuer la neige qui tombait abondemment cette nuit-là. Au volant de sa vieille auto, l'homme avançait sur la route malgré l'épais tapis de neige qui la recouvrait, risquant à tout moment de quitter la chaussée. Convaincu qu'il avait enfin découvert la vérité après laquelle il courait depuis des années, tandis que tout le monde autour de lui avait baissé les bras, il filait droit vers chez lui, espérant que les lignes de téléphones n'avaient pas été coupées, et qu'il pourrait appeler son vieil ami flic pour lui annoncer les derniers éléments qu'il avait découverts. Avec ça, nul doute que l'enquête sur la mort de sa fille allait être réouverte, et très rapidement classée.  

Impatient d'en finir enfin avec tout ça, et de voir le meurtrier de sa fille arrêté, l'homme prenait des risques sur la route encombrée par la neige. A plusieurs reprises, sa vieille voiture dérappa, et manqua de quitter la route, mais il ne ralentit malgré tout pas l'allure à laquelle il roulait. Surpris par cette tempête de neige, l'homme serait coupé du monde s'il avait un accident sur cette route, au milieu de nulle part. Mais plus le temps passait, et plus la route devenait difficile à pratiquer. Bientôt, sa voiture ne pourrait plus avancer, et il se retrouverait bloqué au milieu des bois. Préférant ne pas prendre ce risque, il continua donc d'avancer à vive allure, pour arriver au plus vite chez lui.  

Soudain, au détour d'un virage, le chauffeur perdit le contrôle de son véhicule. Malgré ses efforts pour tenter de le reprendre, l'homme comprit rapidement que le choc était inévitable. La voiture quitta la route, et s'écrasa violemment contre un arbre, propulsant le vieil homme à travers le pare-brise, pour s'écraser plus loin dans la neige immaculée qui se couvrit rapidement de son sang.  

Incapable de bouger, et terrassé par la douleur du choc, le vieil homme encore à moitié conscient comprit alors que s'en était bientôt fini pour lui, lorsque soudain, la lumière de phrases approchant lui redonna espoir. Une voiture arriva sur les lieux, et s'arrêta près du véhicule accidenté. Des bruits de pas dans la neige se firent entendre, et une silhouette apparut dans la lumière aveuglante des phares, celle d'un homme le visage protégé par la capuche d'un épais manteau. L'homme s'arrêta soudain, à deux pas du vieil homme, et resta immobile, l'observant allongé sur la neige.  

Le pauvre homme comprit alors de qui il s'agissait, et devina qu'il ne ferait rien pour lui. Sans doute avait-il découvert qu'on avait fracturé sa maison, et comprit qu'on avait découvert la vérité à son propos. Il avait alors poursuivi le père de la jeune fille, dans l'espoir de l'empêcher de tout révéler, mais le chauffeur lui avait facilité la tâche. Silencieusement, il resta là, debout près du vieil homme, et attendit que la nature fasse son oeuvre. Cette fois-ci, il n'aurait pas à se salir les mains. Allongé sur la neige, le pauvre homme fixa la silhouette dans l'espoir de croiser son regard et se plonger au plus profond de celui-ci, pour lui transmettre toute la haine qu'il avait à son égard, mais caché sous cette épaisse capuche, il lui était impossible de l'apercevoir. Le souffle court, il sentit la vie le quitter, tandis que le froid l'envahissait. Lorsque ses yeux se fermèrent, la dernière chose qu'il vit fut cette silhoutte, penchée au-dessus de lui, attendant enfin son dernier souffle.  

L'avion se posa à Kiev alors que le soleil déclinait déjà à l'horizon. Les journées à cette époque de l'année étaient courtes, et les nuits sans étoile. Lorsqu'Eva (Lisa Edwards) descendit de l'avion, un sentiment étrange l'envahit. Elle n'avait plus remis les pieds dans son pays natal depuis des années, depuis son départ pour l'Europe de l'Ouest. Elle avait depuis traversé le monde, mais jamais elle n'était revenue en Ukraine, pas même pour revoir sa famille.  

En apprenant la mort de son père, dans un accident de la route, Eva n'avait d'abord pas voulu y croire. Celui qui était à ses yeux infaillible, qu'elle n'avait jamais vu flancher devant aucun obstacle, s'était éteint. Bien qu'elle était décidée à tirer un trait sur toute sa vie passée, elle n'avait cependant pas pu se résoudre à manquer les obsèques de celui qui s'était tant sacrifié pour elle, et pour sa soeur. Le taxi qu'elle avait commandé l'attendait à la sortie de l'aéroport, pour l'amener jusqu'à la maison de ses parents, celle où elle avait grandi toutes ces années. La neige avait cessé de tomber quelques temps, mais un épais tapis blanc recouvrait encore tout sur le pays. La jeune femme frisonna, tandis qu'elle s'approchait du Taxi avec sa valise. Cela faisait des années qu'elle n'avait pas connu de telles températures.  

La route fut encore longue jusqu'au village où se trouvait la maison de sa mère. Lorsqu'elle y arriva enfin, Eva hésita quelques secondes avant de sortir du véhicule. Bien qu'elle n'avait jamais oublié d'envoyer de l'argent à ses parents depuis son départ, leur permettant ainsi d'avoir une vie plus confortable, elle s'en voulait de les avoir abandonné depuis toutes ces années. Mais revenir à l'endroit où sa soeur jumelle était morte était trop dur pour elle, et la vie qu'elle menait désormais ne lui laissait pas beaucoup de temps. Quand elle sortit enfin du taxi, elle fut immédiatement accueillie par sa mère, les yeux rougis par les larmes, et le visage traversé par un sourire affichant sa joie de revoir enfin sa fille, mais quelque peu masqué par la peine.  

Après avoir récupéré sa valise, Eva suivit sa mère à l'intérieur de la maison, et fut surprise d'y trouver Marko (Nolan Andrews). Aux dernières nouvelles, le vieux flic et son père ne s'adressaient plus la parole depuis des années, depuis que le dossier sur la mort de Sofia avait été classé sans suite. Mais le décès du père d'Eva changeait désormais les choses, et Marko oubliait sans aucun doute toute sa rancune face à la peine engendrée par la perte de celui qui fut son meilleur ami depuis l'enfance, et pendant des années.  

La mort de Sofia avait fait de nombreux dégats autour de la jeune femme. Repérée par une agence de mannequin, elle s'apprêtait à quitter l'Ukraine pour l'Europe de l'Ouest, lorsqu'elle avait été retrouvée morte un soir, sauvagement assassinée. La police avait longtemps enquêté sur sa mort, mais n'était jamais parvenu à trouver de piste solide. Malgré le fait que son ami le supplie de poursuivre l'enquête, pour trouver l'assassin de sa fille, Marko avait finalement décidé de classer l'affaire, ne pouvant se permettre d'occuper encore des flics sur ce dossier qui restait bien maigre. Le père d'Eva n'avait alors jamais pu le pardonner à son ami, et ne lui avait plus parlé depuis. Bien décidé à réussir là où la police avait échoué, il avait donc poursuivi lui-même son enquête, ne vivant plus que pour retrouver l'assassin de Sofia, au détriment des membres encore vivant de sa famille.  

Alors lorsque l'agence de mannequin avait proposé à Eva, après lui avait laissé quelques semaines pour faire son deuil, de prendre la place de sa soeur jumelle et de tenter une carrière dans la mode, la jeune ukrainienne n'avait pas hésité à abandonner derrière elle tous ces souvenirs douloureux, promettant à sa mère de bien prendre soin d'elle, en lui envoyant régulièrement de l'argent.  

La jeune femme dîna avec sa mère et Marko, écoutant silencieusement les souvenirs échangés par les deux amis à propos du défunt. Elle ne se résignait toujours pas à admettre que son père était mort. Elle qui le considérait comme l'homme le plus solide qu'elle avait jamais connu. Le repas terminé, elle se leva et abandonna quelques instants Marko et sa mère pour aller nettoyer la vaisselle dans l'évier. Tandis qu'elle essuyait la vaisselle, elle admirait le paysage par la fenêtre, cette neige immaculée qui brillait à la lumière s'échappant par la fenêtre de la cuisine, au milieu de ce paysage obscur. Tout semblait calme et silencieux autour de la maison.  

Elle imagina alors ce qu'allait être sa journée du lendemain. Elle allait devoir affronter tous ces gens qu'elle n'avait pas revus depuis des années, venant prier pour son père. Et parmi eux, il y avait ces amis qu'elle avait abandonnés derrière elle sans même un regard en arrière. Lui en voulaient-ils pour ce qu'elle avait fait, ou bien comprenaient-ils les raisons qui l'avaient poussé à fuire ainsi l'Ukraine ? Elle redoutait de devoir leur faire face, ignorant quelle serait leur réaction après toutes ces années.  

Perdue dans ses pensée, Eva poussa soudain un cri strident, surprise par une silhouette se trouvant devant la cuisine, dans l'obscurité, et qui semblait l'observer. Mais à peine eut-elle hurlé, que celle-ci eut disparue. Avait-elle rêvée ? Marko et sa mère accoururent soudain dans la cuisine, demandant ce qui se passait à la jeune femme, mais Eva les rassura, leur indiquant que tout allait bien. Sans doute était-ce la fatigue du décallage horaire. Elle avait besoin d'une bonne nuit de sommeil, voilà tout.  

Peu de temps après, Marko quitta la maison pour rentrer chez lui, après s'être assuré tout de même qu'Eva et sa mère n'avaient besoin de rien. La jeune femme ne tarda pas ensuite à aller se coucher, terrassée par la fatigue. Cette nuit-là, ses rêves furent hantés par les visages de ses amis, qu'elle redoutait toujours de rencontrer le lendemain. Pourtant, elle l'ignorait encore, mais ce n'était pas de dont elle devait avoir le plus peur. Car près d'elle se trouvait l'homme qui était responsable de la mort de sa soeur, et de son père. Et en revenant ici, elle risquait de réveiller chez celui-ci des envies qu'il était parvenu à enfouir pendant toutes ces années, mais qui risquaient de refaire surface.  

Et ce n'était pas alors uniquement sa vie qu'Eva mettait en danger, mais celles de tous ses proches, ceux qu'elle avait abandonnés derrière elle et qui risquaient à présent de regretter son retour.