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Drexl Production présente
Éloignée

Quand j'ai trouvé ce document confidentiel, enfermé dans un coffret de sureté dissimulé sous la couchette de ma cible, j'ai deviné qu'on m'avait désinformée dès le départ.  

 

Le timing était étrange à première vue, mais la raison d'État ayant sa propre logique, différente de la mienne, je me disais que ces grands hommes de pouvoir devaient savoir ce qu'ils faisaient.  

 

Ayant passé les vingt-neuf premières années de ma vie à suivre une formation stricte en vu de devenir Exécutif des Services de renseignements, je m'attendais en toute logique à passer ma vie entière sur mon caillou natal et pluvieux qu'on nommait affectueusement et formellement Tlaloc 48-12. Je me voyais effectuer des missions presque routinières de surveillance électronique et de filatures simples. À la limite, je m'imaginais perpétrer quelques assassinats clandestins sur ordre de l'Alliance pour préserver la paix. On m'avait formée pour ça, après tout. Mais, dans tous les cas, l'idée ne m'était jamais venue à l'esprit que, sitôt formée, trois jours après mon anniversaire (qui concordait très exactement avec celui d'un millier d'autres habitants de Tlaloc), on m'enverrait au fin fond de la galaxie, seule, à la poursuite d'un vulgaire savant fou.  

 

À plus forte raison trois jours seulement après le déclenchement inattendu d’une révolte qui menaçait la stabilité politique de la planète entière.  

 

Trois jours, précisément, après la célébration monstre qui honorait le vingt-neuvième anniversaire de naissance de la Première génération de citoyens autochtones de Tlaloc, une lune récemment terraformée et colonisée par l'Alliance. Célébration qui avait viré à l'émeute dont on avait rapidement et logiquement imputé la responsabilité à la masse des mineurs réunis dans les rues de la capitale ce jour-là.  

 

Des semaines plus tard, en lisant ce document confidentiel qui ne m'était évidemment pas adressé, j'ai compris davantage les événements de cette journée historique. Le message était laconique mais néanmoins précis dans sa requête : "Dr. Clarence. Nous envoyons chez vous une Exécutif de Tlaloc. Elle vient d'avoir vingt-neuf ans. Soyez prudent. Signé : L'Alliance, ce jour de l'année 2934". En bref, on grillait complètement ma couverture. On me trahissait. On me condamnait.  

 

Mais surtout, j'apprenais qu'on m'avait éloignée de Tlaloc à dessein. On m'avait éloignée à la fois de l'action et de la vérité. Du même coup, on m'éloignait du Monde auquel j'appartenais pourtant de droit.  

 

Pourquoi ?  

 

J'ai commencé à comprendre en y réfléchissant intensément, toujours assise sur la couchette du Dr. Clarence, étrangère à toute notion de temps.  

 

L'Alliance commandait tous les mondes de la galaxie et elle avait un plan : le Plan Directeur. Les planètes et autres lunes auxquelles elle donnait gracieusement la vie par terraformation était contractuellement contrainte de s'inscrire dans ce plan et de n'en déroger sous aucun prétexte, sous peine de subir des "mesures correctrices" dont la nature restait secrète et pourtant terrifiante. Le Plan n'était pas spécialement contraignant (aucun Grand Frère ne regardait par-dessus votre épaule pour surveiller vos faits et gestes), mais il exigeait une grande rigueur dans la gestion économique interne, et laissait finalement peu de place à l'imagination pour les gouvernants, censés sur papier être indépendants vis-à-vis de l'Alliance. Les Conseils nommés sur chaque planète géraient à leur guise les affaires internes de leur petit monde en gardant à l'esprit les exigences du Plan, mais ils n'avaient pas un mot à dire concernant les affaires extra-planétaires, qui dépassaient largement leur domaine d’expertise et leur niveau d’entendement. Ce discours un rien paternaliste, frisant le prétentieux, fâchaient quelque peu les plus ambitieux et orgueilleux de ces Conseils. Chose compréhensible et habituellement gérable sans dommage.  

 

Tlaloc 48-12, la petite dernière de l'Alliance, la "Lune pluvieuse", comme on la surnommait non sans raison, était gouvernée par un millier d'ambitieux et d’orgueilleux en puissance. Je le sais car je faisais partie de ce millier. Pur produit d'études génétiques étirées sur trois-cents ans, la Première génération de Tlaloc avaient été mise au monde le même jour, à l'an 0. Nous étions les premiers à naître sur ce caillou humide, et nous étions destinés à nous répandre comme la peste dans l'appareil administratif pour en occuper rapidement tous les postes de direction. Ainsi, le Conseil de Tlaloc serait composé uniquement de Première génération, et tous les secteurs industriels auraient à leur tête l'une de ces extraordinaires créatures de laboratoire. Chez les Services de renseignements cependant, il n'y aurait qu'un seul représentant de la Première génération : moi. L'Exécutif Bethell. L’Alliance ne laissant que peu de chance au hasard de s’exprimer, nous avons tous accompli notre destin. Nous étions les premiers de notre race. Des prototypes a priori parfaits.  

 

Mais bref, selon toute vraisemblance, quelque chose clochait depuis un moment. Il y avait de la grogne chez mes ambitieux semblables. La célébration du vingt-neuvième anniversaire de Tlaloc ne devait pas sa tournure violente et revendicatrice à de simples mineurs colériques, fondamentalement incapables de faire face au système. Certes, ils n'étaient pas complètement innocents dans l’affaire (les feux dans les rues ne s’étaient pas allumés seuls sous cette flotte), mais ils devaient avoir été préalablement orientés vers l'émeute. Orientés avec la précision chirurgicale dont ne pouvait faire preuve à ce niveau que des membres de la Première génération. Ainsi mes frères et sœurs s'étaient, selon mes conclusions, servis de simples ouvriers (hautement spécialisés, tout de même) pour mettre de la pression sur l'Alliance, pour obliger celle-ci à céder un peu de son pouvoir en matières extra-planétaires. Cela me paraissait maintenant clair comme de l'eau de source. L’émeute de l’An vingt-neuf était la première étape d’une révolution qui pouvait prendre, en appuyant sur les bons leviers, une envergure galactique. Pas de quoi rigoler.  

 

Moi, en tant que haut membre des Services de renseignements, toujours très proche des informations classées secret-défense, et en tant que Première génération remplie d’orgueil et maintenant considérée imprévisible, je constituais l’un de ces fameux leviers que l’Alliance ne voulait pas voir actionnés. C’est pourquoi on m’avait fait une fleur en me confiant cette mission spéciale me permettant de visiter le Grand-Espace.  

 

Si le timing paraissait étrange à première vu, il l’était définitivement moins au second coup d’œil. Que j’eusse quelque chose à voir avec la révolte sur Tlaloc importait finalement peu. L’important, c’était que je ne sois pas là, sur place, pour foutre la merde. Car oui, les Exécutifs étaient aussi formés pour foutre la merde. Mon mentor m’avait dit un jour que nous étions les descendants de ce qu’on appelait sur Terre un CIA operative. La référence m’avait échappée. Je n’étais pas férue d’Histoire.  

 

Je me trouvais donc dans la cabine personnelle du Dr. Clarence, à bord d’un vaisseau chargé d’une supposée mission scientifique. Je ne pouvais plus me fier à mes rapports de mission car je savais que ceux-ci était un leurre pour m’éloigner de la roche mouillée qui m’avait vue naître. Nous voyagions dans le plein espace, là ou personne ne pouvait nous entendre crier (je suis toutefois férue de très vieux films). Ces "territoires" n’étaient sous l’influence d’aucune loi, ce qui permettait d’y faire à peu près n’importe quoi.  

Les expériences scientifiques les plus abominables étaient obligatoirement menées dans l’espace, hors de portée des télescopes et en-dehors des corridors commerciaux officiels. L’Alliance avait vite renoncé à prétendre contrôler le vide entre les étoiles. Il lui suffisait de contrôler les sites de lancement et de garder les clés des vaisseaux qu’elle était la seule à pouvoir construire. On était encore loin de l’époque où d’anciens indépendantistes pourraient s’adonner à la contrebande de marchandises à bord de leur Firefly personnel.  

 

Le vaisseau du Dr. Clarence accueillait douze passagers, tous des scientifiques à lunette : malingres, chauves, laids. Pathétiques à mes yeux. Seul le commandant de bord et ses deux mécanos ressemblaient à quelque chose qui approchait de mes critères de tolérance. Mais je devais être sur mes gardes. De prédateur, j’étais passée à proie. La lettre que j’avais toujours sur les genoux me le prouvait. Seulement, j’ignorais quelle action le Docteur prévoyait à mon encontre. Ma couverture, grillée, faisait de moi une inspectrice officielle de la déontologie scientifique, employée par l’Alliance mais tenant les normes par la bride d’une main souple. Question de ne pas faire peur aux binoclards.  

En vérité, on m’envoyait enquêter sur les agissements du Dr. Clarence à bord du vaisseau. Mes rapports faisaient état d’objectifs largement outrepassés, de syndrome de Dieu, de délire paranoïaque et de possible construction d’une microsociété monarchique autour du Docteur. On me recommandait même, en fin de document, de terminer la mission scientifique de Clarence, avec un niveau extrême de préjudice, au moindre signe d’irrégularités. Du sérieux en somme, mais rien d’avéré après une semaine d’enquête.  

Du bidon, finalement.  

 

La notion du temps n’était pas la seule à m’être étrangère à ce moment puisque j’ai levé les yeux simplement pour qu’ils tombent sur un binoclard moustachu planté là devant moi, visiblement entré dans la cabine sans éveiller l’attention de mon ouïe parfaite. Dr. Clarence. J’ai pensé à justifier bêtement ma présence dans l'habitacle avant de me rappeler les documents gisant toujours sur mes genoux. En pareille situation, il vaut généralement mieux ne pas prendre celui qui vous tient par les couilles pour le dernier des cons. Je me suis donc contentée de me relever, rien que pour m’imposer physiquement en cas d’attaque, forte improbable. Le docteur me savait Exécutif et je le dominais de plusieurs centimètres. De plus, il n’avait aucun soutien visible. Je pouvais tuer d’une main ses douze collègues manipulateurs d’éprouvettes (peut-être l’un d’entres-eux avait-il manipulé la mienne vingt-neuf ans plus tôt…) et me défaire sans grande difficulté du commandant et des mécanos (mais pour rentrer à la maison, ce serait un peu chaud).  

 

J’ai donc laissé à Clarence l’honneur de partir le bal comme il le souhaitait. Je comptais sur mes compétences pour m’en sortir à l’anglaise au dernier moment dans le pire des cas, tout en sachant qu’il savait tout de moi et pouvait peut-être prévoir le moindre de mes mouvements. Malgré moi je me voyais déjà rentrer à Tlaloc pour y casser quelques figures, avant de m’envoler de nouveau à la faveur du chaos pour aller mourir ces salauds de l’Alliance m’ayant créée de toute pièce simplement pour m’écarter sauvagement du jeu au premier pépin.  

 

Cette distraction à suffit à ma perte. La piqure a été vive, au niveau du cou. Le binoclard était un vicieux petit bonhomme. Je me suis lamentablement échouée sur la couchette, paralysée, incapable de battre des cils, habituel dernier recours d’une femme qui n’obtient pas ce qu’elle veut du premier coup. Dr. Clarence s’est assis à mes côtés en profitant de l’occasion pour palper méthodologiquement certaines régions de mon corps théoriquement parfait. Il m’a expliqué en mot clair que peu importait que j’aie trouvé la lettre de l’Alliance, mon sort serait le même. Il y avait de vraies expériences scientifiques menées sur ce bateau, et je devais être le cobaye pour la plus importante d’entres elles.  

 

Comment, en effet, s’assurer que les créatures telles que moi ne présentent plus les défauts de fabrication constatés chez mes confrères de Tlaloc ? La solution ne pouvait être que scientifique puisque nous n’étions après tous rien d’autre que des produits de laboratoires.  

Je pouvais concéder cela à Clarence, mais je n’étais pas prête à le laisser me charcuter pour autant avec ses mains velues. Je ne me sentais guère responsable des agissements de mes semblables. Je me sentais parfaite contrairement à eux. Faire les tests sur moi ne rimait donc à rien.  

Difficile d’exprimer une telle idée aux scientifiques sans l’usage de son corps. Je n’étais pas convaincante, du moins pour l’instant. Je résolus donc d’attendre mon heure.  

 

J’allais bientôt me la jouer Alien avec ces fils de putes. Ils y passeraient l’un après l’autre dans des cris d’agonie et des torrents de sang. Aucune Sigourney ne me ferait la peau sur ce vaisseau. C’était une promesse…  

 

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Exécutif Bethell - Salome Chasen  

Dr. Clarence - Dick Rórshach  

 

Par soucis d'économie, le film est entièrement tourné sur Terre.

Scénario : (3 commentaires)
une série Z thriller (SF (Sans Ficelles)) de Laura Harnell

Dick Rórshach

Salome Chasen
Sorti le 13 juin 2020 (Semaine 806)
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