Dans cette brume épaisse, on ne voit pas plus d'un mètre devant nous. Aucun d’entre nous n’est rassuré. Pourtant on continue d'avancer, la carte nous indique qu'on est bientôt arrivé... Alors que la fin de ce calvaire est proche, un cri effroyable retentit. Geena se rend compte que nous sommes tous séparés... Sans une hésitation, on part à la recherche de nos amis...  

Le tintement des cloches de l’église Saint Fabien le sortit brusquement de son songe. D’une brève secousse sur la souris, l’écran de veille et son défilement de paysages dantesques disparurent pour laisser place à un document Word empli de quelques lignes seulement. Le vieil homme soupira et feuilleta brièvement le dossier de quelques feuillets contenu dans une pochette rouge où était inscrit au feutre indélébile noir « Projet type Blair Witch – Alan Caine pour la PPP ». Puis, il se saisit d’une fléchette située à gauche de la pochette et virevolta soudainement. Sur le mur au-dessus du canapé, la fléchette s’était logée sur une affiche de Geena Gregson. Entre ses deux yeux.  

L’homme se leva de son bureau, contourna quelques piles de livres amoncelés sur le parquet, au centre de la pièce, pour se rendre dans la cuisine. Adossé contre la table, il se servit une rasade de Cognac, laissant juste la place à un glaçon. Machinalement, ses yeux se portèrent sur l’horloge du micro-ondes. Vingt-trois heures dix-huit, soit une poignée d’heures le séparant de la livraison. En regardant une photographie épinglée sur le frigidaire, où il posait souriant entre Malek Ouasetine et Quentin LGD, le vieil homme vida cul sec son verre et jeta le reste du glaçon dans l’évier. Sa décision était prise.  

A pas feutrés, il se mua avec lenteur dans le couloir, tâtonnant de ses mains le mur afin de se diriger dans l’obscurité. Délicatement, le vieil homme fit pivoter la poignée et resta dans le chambranle. La lampe de chevet était restée allumée et éclairait le visage d’un ange, Adrianne Goodwin, couchée en chien de fusil en travers du lit. Devant elle, reposait un livre de poche écorné, Le sang des promesses du dramaturge libanais Wajdi Mouawad. Le vieil homme se remémora cet instant où la grâce était apparue face à lui, deux semaines plus tôt, sur la scène d’un petit théâtre de Gérardmerveille, incarnée par Adrianne. Enfin détendu et même revigoré, le vieil homme sourit.  

Le compteur affichait 120. Trente de trop. Plongé dans ses pensées, le vieil homme ne le remarqua pas, au risque que son plan soit sensiblement retardé si des policiers avaient la mauvaise idée de ne pas être devant la demi-finale de football, Gérardmerveille / Fundanse. Mais ses interrogations étaient trop profondes et toutes étaient centrées sur cette question : pourquoi n’arrivait-il plus à écrire quelque chose de valable depuis ce jour-là ? Etait-ce grâce à sa rencontre avec Adrianne ou à cause de la médiocrité de ceux pour qui il travaillait ? La première ne lui avait-elle pas permis de mettre à bas le masque des seconds ? Pour retrouver l’inspiration, ne fallait-il pas que les seconds soient remplacés ? De gré ou de force.  

Après les ténèbres, le vieil homme du faire face aux spots criards et aveuglants. Ce n’était pas la première fois qu’il y venait, mais il détestait toujours autant l’endroit. Le Seven Club fêtait le lancement de la saison 2 d’Acteur Académie et tout le gratin de la profession semblait être de la partie. Il se fraya un chemin en slalomant parmi la foule, divisée en grappes, afin de gagner le comptoir où il du jouer des coudes afin d’être servi par une rousse trop maquillée, visage blanchâtre et yeux cernés. De l’autre côté du bar, le vieil homme vit Sergio Castagnetta, grand manitou de Spam TV, collectionnant les casquettes comme les femmes, en grande conversation avec des hommes qu’il ne connaissait pas. En vidant son cognac, il pensa furtivement aux pochettes bleu et verte traînant sur son bureau, la première portant la mention « Lost Shadows, saison 5, Castegnetta / PBP », la seconde « Sauvetage opus 3 Jeremy Winter ». Le vieil homme rota. D’écoeurement.  

Juché sur un tabouret, entamant son deuxième cognac, son regard balaya l’espace tamisé derrière le dancefloor. Il la repéra, toute de rouge vêtue, avachie sur un canapé. Le vieil homme traversa la piste de danse à pas lent puis s’immobilisa à la vue du spectacle sur l’un des podiums : Geena Gregson et Steve Kingsley se livraient corps et âme à un sexy show endiablé, profitant de cet instant de notoriété qui prendrait fin dès la soirée terminée. Un instant, il hésita à changer de plan et de concocter quelque chose d’aussi diabolique que les agissements du baron Herbert Zlagewskyi qu’il avait décrit dans S-K-A. Se ravissant, le vieil homme parcouru les derniers mètres le séparant de son objectif et se laissa tomber sur le canapé, à côté du propriétaire du lieu, Antonio Capelli. Face à lui, Lou Pei Wong le regarda avec étonnement, cependant pas suffisamment effrayée pour s’arrêter de vider son cocktail couleur verdâtre. Horripilé par cette désinvolture, il lui balança à la figure l’enveloppe qu’il possédait dans l’une des poches de son pardessus.  

A la lecture du papier, les traits de Lou se figèrent. Malgré l’interdiction, elle alluma une blonde, expira trop rapidement, puis prit la parole, sans le regarder dans les yeux. « Combien voulez-vous ? » Le vieil homme esquissa un large sourire. Puis, il se retourna, regardant vers le podium. Là, Geena Gregson simulait un orgasme.