La Mort accompagnait chacun de ses pas. Charles … Charles "quelque chose" - (Vincent Horner) n'avait plus aucun souvenir de son nom, de celui qu'il portait du temps de son existence humaine ici-bas : il était désormais porteur de Désolation dans ce morceau de XIXème siècle. C'était un mort-vivant décharné qui portait sur lui les dernières reliques de son humanité. Méconnaissable, à la fois unique et représentant que tous les sacrifiés de la Conquête de l'Ouest et des guerres qui avaient ravagé cette nation.  

Et la Mort (Ezra Hewitt). La Mort - ou le Diable - ou ce qui lui avait donné un répit ; la Mort donc, lui avait envoyé un agent - aujourd'hui c'était un loup, mais cela aurait pu tout aussi bien être un autre animal. Ce loup (Peter Jones) lui parlait constamment - c'était un vrai moulin à paroles. Charles était sûr d'une chose : de son "vivant" il avait du faire chier son monde pour qu'on lui impose un boulet pareil.  

Il ne savait plus trop depuis combien de temps il errait dans ces plaines, sans monture. Il marchait tant que ses jambes le portaient. Quand il croisait des êtres vivants, il valait mieux pour ces derniers que le loup ne lui ordonne pas de les exécuter. Il finissait par se demander s'il n'était pas le jouet de quelque force obscure qui avait des comptes à régler dans l'Ouest Sauvage.  

"- Hé, on fait ça pour toi mon gars - quand tu auras retrouvé tous tes souvenirs, tu sauras pourquoi tu es ici."  

Restait à savoir qui était ce "on". Dieu ou Diable. Ou la grande Faucheuse elle-même qui lui apparaissait en rêves.  

Parce qu'il rêvait, malgré sa gueule de déterré. Il rêvait éveillé et "elle" venait lui délivrer quelques phrases absconses. Il ne comprenait jamais rien à ce qu'elle lui disait.  

"- T'inquiètes, on a jamais compris non plus, mais ça reste la patronne." Ca n'était pas pour le rassurer.  

A en juger par ses guenilles, il avait du être shérif, "avant". Ou un représentant de l'ordre. Peut-être même quelqu'un qui s'était fait passer pour un tel représentant. Les souvenirs lui revenaient hachés, par bribes - habituellement peu de temps après un monologue de la Mort (ou de son Ange/Démone personnel, allez savoir). C'était terriblement frustrant et s'ajoutait à sa colère. Il y avait une femme (Camilla Klein) dont il avait une espèce de conscience : il revoyait souvent ses cheveux tourner au ralenti devant une plaine verdoyante. Il l'avait aimée.  

Stupide. Autour de lui, il n'y avait que du sable et des pans rocheux qui s'élevaient comme autant de manifestations géologiques qui survivraient à l'Homme.  

Il entendait parfois des détonations.  

"- C'est dans ta tête : t'as pas du mourir dans ton lit."  

Ca ne le rassurait pas plus : était-il un Ange de la vengeance qui travaillait à retrouver ses esprits, aidé en cela par la Providence ou un instrument dévoué aux basses besogne d'un Autrui paranormal ?  

"- Tu te montes la tête - tu me rappelles mon oncle Samyl."  

Et ce foutu loup qui lisait dans sa tête comme dans un livre ouvert. Aucune pensée personnelle, aucune intimité ne lui échappait. Et il commentait, commentait… Qu'était-il en fait, un Choeur Antique ? Si jamais Charles avait su ce qu'était un Choeur Antique…  

Un soir, alors qu'ils avaient parcouru plusieurs miles de jour et de nuit, ils arrivèrent en périphérie d'une petite ville. D'habitude, lui n'aimait pas traverser ce genre de bourgs : il réveillait alors les suspicions et suscitait une brusque montée de foi chez les habitants - montée de foi qui pouvait déclencher le meilleur comme le pire chez eux - mais l'époque se prêtait mieux au pire hélas…  

Dans ce cas précis, le loup avait insisté : il n'aimait pas les bigots non plus mais il devait rendre visite à quelqu'un.  

Le jeune homme résidait dans une petite bâtisse à côté de l'église. Il était le prédicateur du coin et se nommait Jesus Zylan (Nicholas Julyan). Il était extrêmement mûr pour son âge et avait rejoint le Ministère après que son père eut été assassiné par quelque rôdeur de passage. Jesus avait un regard halluciné, comme tous les hommes de foi qui ont vu l'impensable et l'indicible. C'est pourquoi il ne fut pas surpris qu'un être dépenaillé portant les stigmates de l'enfer interrompe brusquement son office du soir, provoquant panique et évanouissements chez ses fidèles.  

Charles remonta la nef d'un pas lent et las, accompagné par le loup qui trottinait autour de lui et montrait les crocs aux pimbêches. Lui semblait bien s'amuser tandis que les hommes avaient dégainé leurs armes et se préparaient à faire feu.  

"- NUL NE VIENDRA TROUBLER LA MAISON DU CHRIST !" tonna alors Zylan, s'adressant autant aux fidèles qu'à l'individu décharné qui lui faisait face à présent.  

Face à face avec le prêtre, Charles se tourna vers le loup :  

"- Et maintenant, le loup, qu'est-ce qui se passe ?  

- Tu te souviens plus ? Ils t'ont vraiment abîmé la tronche ! Allez, un effort, je vais pas faire tout le boulot non plus !"  

Le jeune homme s'était rapproché, à la fois fasciné autant qu'effrayé par l'apparition. Ce n'était ni un spectre ni un fantôme, mais un être autrefois fait de chair et de sang qui avait souffert mille morts et qui revenait ici à dessein. Le loup ne lui inspirait pas plus confiance et jappait constamment, ce qui lui donnait un air imbécile. L'autre semblait tenir une sorte de dialogue avec l'animal, à base de grognements gutturaux - c'était un langage de l'Au-delà qui portait une marque maléfique. Il en tremblait de tous ses membres.  

Et pourtant, c'était un couple étrange, plutôt mal accommodé - et la figure de l'homme (de celui qui avait été homme) était atrocement défigurée mais lui rappelait bizarrement celle de feu-son paternel, homme de Loi et de Bien.  

Non, ce n'était pas son père en face de lui.  

Mais si c'était lui ? Alors, Jesus le savait, il serait maudit pour l'éternité, lui qui avait assassiné son beau-père, indigne violent et sadique.  

Si les Enfers eux-mêmes venaient le juger, lui qui avait échappé à la justice des Hommes, son Christ ne lui serait d'aucun secours...  

(Script original)