L'homme est grand, dégarni mais entretenant toujours avec soin son iconique barbe. Il s'exprime avec des mots choisis d'une voix suave. Les années 80, ses heures de gloire, sont tellement lointaines désormais... C'est pourtant souvent le seul intérêt des gens qui viennent le voir aujourd'hui : les souvenirs, le revival, comme on dit, un titre de noblesse et pas mal de brevets sont tout ce qui lui reste. Ses yeux ne peuvent s'empêcher de pétiller à l'évocation de quelques-uns de ses "bébés" et l'inventeur qu'il est de montrer son atelier.  

Sir Clive Sinclair a ouvert les portes de son imposante mansion au coeur des Cornouailles à l'équipe de Lisa Landowski. L'inventeur qui vient de fêter ses 80 ans a vu le film Bad Robots* de la réalisatrice - il en rigole encore : "Un vrai cauchemar d'inventeur, le monstre de Frankenstein : la création humaine qui se retourne contre lui. Ca remue pas mal de concepts." Landowski est flattée.  

Sinclair a encore de la ressource, il détaille précisément l'inventaire de ses réalisations : télévisions miniatures, vélos électriques, mini-ordinateurs, TV-montre - le "Géo-trouvetou" de sa Gracieuse Majesté, issu d'une prestigieuse lignée d'ingénieurs, désirait que les banlieues d'Angleterre ressemblent un peu à la Silicon Valley californienne. Il espérait qu'une nouvelle génération prendrait son relais et que l'Europe se réveille enfin, belle endormie face à la créativité et la poussée asiatiques.  

Il souffle et un instant, se renfrogne : "Ca n'a pas été le cas - personne n'a compris le défi : ni les politiques ni les enseignants, et pas plus les entreprises. On espérait qu'on resterait les plus riches parce que les siècles derniers avaient mis en avant le modèle européen. On se trompait bien sûr, c'était juste de l'orgueil mal placé."  

Jusqu'au début des années 90, l'informatisation de la société anglaise était en marche grâce à de puissante marques locales de produits. Amstrad, Sinclair Research, Acorn/BBC, Tatung, Dragon Data, Tangerine. Toutes se reposant sur des technologies éprouvées datant de la décennie précédente, des prix imbattables qui s'étaient accompagnés par une adoption rapide du grand-public (et ce malgré l'échec de Prestel, le Minitel anglais). Chaque salon britannique disposait de sa machine - souvent bas de gamme et ne servant qu'à la distraction, mais le fait était là. Et des chambres d'adolescents, des centaines de compagnies de software devaient éclore de leurs écosystèmes incompatibles entre eux.  

Puis l'uniformisation et la montée en puissance des "grosses vedettes américaines" (démocratisation des PC sous DOS puis Windows, Amiga, Atari ST et Macintosh) brisèrent littéralement la colonne de ces sociétés souvent très mal gérées qui avaient raté le virage professionnel et qui pour survivre, durent se vendre au plus offrant. Aujourd'hui, l'informatique Made in Great Britain a disparu du radar.  

"- Même les compagnies de software ont mis la clé sous la porte. Le centre de gravité de l'informatique personnelle s'est déplacé. Je n'ai pas de regret à présent, mais je n'ai pas dit que je n'en avais pas eu : il y a eu un tel gâchis de notre part..."  

En face de l'inventeur sont disposées des machines qui ont fait sa gloire : ZX80 et 81, ZX Spectrum, QL. Il détaille avec nous chacun d'entre eux, évoquant leurs capacités, ses propres faux pas marketing et techniques rentrés dans la légende : le Spectrum destiné à l'enseignement qui se retrouvera console de jeux dans les salons, le QL - machine surpuissante à l'époque qui avait snobé la disquette au profit d'un "Microdrive a bande infinie".  

Reste une passion intacte et un le phénomène informatique Sinclair en Angleterre dans les années 80-85 : "- On a pris la grosse tête, les ingénieurs s'imaginaient comme les nouvelles rock-stars."  

Le documentaire revient en profondeur sur ces années : revues de presse, présentation des applications et jeux les plus marquants, entrevues avec les programmeurs, ingénieurs et journalistes de l'époque… et enfin, test des machines de l'époque par un panel de jeunes gens nés dans les années 2000, en présence de Sir Clive et d'Emo Bill.  

Bad Robots (2015) : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=11360  

(Script original)