Cinejeu.net : devenez producteur de cinéma ! (jeu en ligne gratuit de simulation économique)

MMP présente
L'Etranger de l'Opéra

Victoria Strings (Alexandra Dolby) se démène sur scène, ses cordes vocales la brûlent. Elle va jusqu'au bout de la chanson, puis s'effondre. Les lumières s'éteignent - rideau.  

Un moment d'hébétude dans le public - puis une ovation, comme un ouragan qui déferle sur l'orchestre et les artistes. Les lumières reviennent. La troupe salue, se retire en coulisses, revient pour le rappel puis s'éclipse définitivement.  

 

Columbia Opera House - Los Angeles, de nos jours au mois de mars. Dernière représentation de God Told Me To, la dernière comédie musicale d'Augustus Lemaire (François Méthanol). Une oeuvre dans laquelle il a essoré son inspiration. Les critiques avaient été désastreuses, la presse qualifiant le spectacle de "boulon de l'année dernière". Il s'en fichait : le succès avait été à nouveau au rendez-vous…  

 

Il s'en fichait parce qu'il avait signé un pacte avec le Malin où, en échange de son âme, on lui avait promis fortune, reconnaissance, succès public... et une virilité sans pareille.  

Mais pas l'inspiration : la fonctionnaire de l'au-delà lui avait indiqué qu'ils n'avaient plus "de stocks" (il y avait tellement d'artistes en manque ces jours-ci). Augustus n'en a cure : God Told Me To a été le triomphe de l'année 2019 à Broadway et l'été prochain, lui ira renouveler son sang dans une clinique Suisse.  

 

Car il ne veut pas mourir. Retarder l'échéance est essentiel… Il donnerait tout pour ça - enfin, son âme, c'est déjà fait.  

Il regarde donc avec contentement l'ensemble de ses équipes fêter cette réussite, trinquer en son nom ce soir dans le petit restaurant Italien attenant à la salle de représentation. Et il pense déjà à la suite...  

 

Sur l'esplanade devant l'immeuble du music-hall, le public continue de discuter quelques instants : on rigole, on s'allume une dernière clope… Puis tout le monde se disperse. Il est Minuit. Un seul individu est resté sur place - immobile sur les marches. Il tire une dernière taffe puis se lève à son tour. Il n'était pas un spectateur mais voulait "sentir" le public ce soir.  

Cet homme - Carlton Ross (Sam Hawkins) - est un musicien qui a eu son heure de gloire dans un boys-band des années 2000. Il s'est recyclé depuis, a troqué ses vêtements moulants contre des leçons de solfège, ses séances photos contre la pratique des instruments. Il est devenu ce qu'il mimait auparavant : un artiste. Auteur-compositeur-interprète.  

 

Demain, il viendra présenter sa première comédie musicale à "Monsieur" Lemaire.  

Lemaire, un peu son modèle dans le business : un homme qui a su se relever de critiques désastreuses et qui a toujours cartonné sans jamais rien céder aux financiers. Un modèle d'intégrité à ses yeux. Il est prêt à lui céder la moitié des droits de sa propre oeuvre pour la voir produite.  

Son oeuvre, L'Etranger de l'Opéra (Stranger of the Opera), un opéra-rock en 4 actes. Musiques et livret sont prêts. Reste à trouver la troupe.  

 

Le matin suivant, il arrive dans les bureaux du second étage de la gigantesque bâtisse rococo - un des théâtres les plus vénérables de la ville. Plusieurs semaines qu'il attend ce rendez-vous. Quand on l'introduit dans le bureau du Directeur, il est impressionné par la quantité de photos de vedettes prises avec Lemaire. Pas une seule récompense par contre, pas un seul Grammy. Ce producteur atypique est décidément un franc-tireur dans la profession - c'est pour ça qu'il l'adore et que les autres le détestent.  

L'intéressé est vissé sur son fauteuil. Carlton est un peu intimité :  

"- Monsieur Lemaire - laissez-moi d'abord vous dire que j'adore ce que vous f…  

- Ne perdons pas de temps jeune homme - je suis un professionnel occupé : venons-en aux faits."  

Ross lui présente le livret de Stranger of the Opera, l'histoire - lui fait écouter quelques extraits. Il avait heureusement prévu une bande-démo en guise de "Best Of".  

Lemaire écoute avec attention, jauge la qualité musicale, étudie le script et les partitions sans un mot pendant quelques minutes qui paraissent une éternité au jeune compositeur.  

 

"- Y'a du potentiel, mais ça demanderait pas mal de boulot…"  

Il vient de rendre le livret à Carlton. Le producteur lui tend également son CD, lui sert la main et le congédie.  

"- Revenez me voir quand vous aurez retravaillé tout ça."  

Le compositeur est totalement dépité : cette oeuvre, il y travaille depuis plus de cinq ans - à ses yeux, elle est un aboutissement. Il ne comprend pas ce qui coince ni où se trouve le problème.  

La secrétaire le raccompagne sur le perron du théâtre. Au moment où il met le pied sur le trottoir, une pluie fine commence à tomber.  

 

Par le rideau de sa porte-fenêtre, Lemaire le regarde s'éloigner. Il dégaine son portable et contacte Toni Levine (Ira Bradley), un homme de main bien connu dans le milieu.  

"- Toni, j'ai un job pour toi..."  

Quelques instants plus tard il raccroche, plutôt satisfait. Retournant à ses affaires, il a un haut-le-coeur quand il aperçoit debout devant son bureau Coralie Brandt (Gina Maher), clope au bec. Le businessman sait qu'il ne doit pas se fier à son allure gironde : c'est la représentante du démon avec lequel il a signé son pacte !  

"- Comment vont les affaires, Augustus ?"  

 

Une semaine passe sous le crachin printanier. Seul dans son anonyme petite villa de El Camino Real, Carlton Ross broie du noir et retravaille son livret. Il s'est remis de la déception malgré l'amertume de la pilule.  

On sonne à la porte en fin d'après-midi. Une pause pour lui - il se lève, sort du petit salon transformé en home-studio et va ouvrir.  

Un seul coup. Affûté, vif. Levine vient de lui exploser le nez et l'assommer - Carlton tombe lourdement sur le sol. Ils le bâillonnent. L'homme de main et deux complices fouillent les pièces, récupèrent l'ensemble des éléments de Stranger of the Opera et s'éclipsent par l'arrière où leur puissante cylindrée les attend.  

 

Carlton ne se réveillera pas. Désormais doux comme un agneau, le direct de Levine l'a plongé dans le coma. D'ailleurs, ce dernier pense l'avoir tué. Pas mal pour cet ancien boxeur pro. Les trois hommes et leur victime prennent plein Nord direction Ventura, puis Dulah où Levine loue un garage au mois. Là, ils mettent Ross dans un sac poubelle de très grande contenance qu'ils transportent en toute discrétion sur un petit bateau. L'embarcation prend la mer vers 23h00.  

 

A plusieurs milles du rivage, ils lestent le "paquet" de briques et le font passer par-dessus bord. Ils tournent sur place un petit quart-d'heure, s'allument des clopes, plaisantent puis reviennent dans le petit port de plaisance. Le trio se sépare une fois arrivé à L.A, Levine prenant le dernier bus pour rejoindre le théâtre de Lemaire au milieu de la nuit. Sur le marquee, on a défait les grandes affiches de God Told Me To.  

 

Il trouve le vieil homme terrorisé. Ce dernier lui arrache néanmoins fébrilement les affaires de Carlton Ross et le renvoie.  

Lemaire caresse avec appréhension les cahiers de partitions du musicien. Non, la déchéance ne sera pas pour tout de suite…  

"- Ca s'impatiente en bas..." lui a dit l'autre salope tout-à-l'heure. Avec God Told Me To, il avait donné les dernières cartouches de son talent. Avec l'oeuvre de Ross, il tenait sa planche de salut, leur glissait à nouveau entre les pattes.  

 

"- Je suis faite pour le rôle ! Pourquoi tu me castes pas ?!?"  

Le même bureau, quelques mois plus tard. Victoria Strings est furieuse : Augustus Lemaire vient de sortir un nouveau spectacle de son chapeau et elle n'en fera pas partie. Après 10 années de très bons et très loyaux services, elle se retrouve classée "has-been"… Et allez trouver du travail pour maintenir votre niveau de vie quand on a autant travaillé avec un gars si universellement haï par la profession ! Elle sort de la pièce, bouillonnante d'une colère froide tandis que le producteur et son directeur de casting, gêné, font le point.  

 

Lemaire a jeté son dévolu sur Prisca Banks (Hilary Bell) : à peine plus âgée que Strings mais meilleure chanteuse et danseuse. Et moins gourmande : reconnue par la presse comme un des grands espoirs de la comédie musicale avant qu'un malheureux accident de voiture ne la mette hors-circuit pour 5 ans, elle a impérativement besoin de travailler. Il tient son prochain lead role, une fille sous influence qu'il n'aura aucune peine à modeler à sa guise.  

 

L'histoire de Stranger of the Opera est un mic-mac d'influences : amours, jalousies, trahisons, pacte avec le Malin (tiens tiens), meurtres, chansons glam-rock et règlements de comptes. Il adore : ça ressemble tellement à sa propre vie ! Il regretterait presque d'avoir mis Ross hors du coup...  

 

Bien sûr, sa disparition n'était pas totalement passée inaperçue. Un couple de flics était même venu l'interroger un soir. Tout dans cette bien vilaine affaire laissait entendre que le jeune homme avait mal supporté son "retour parmi les gens normaux". Et Lemaire de soupirer devant les enquêteurs : "Aah, les boys-band… Trop jeunes, trop vite..."  

 

Sur la scène du music-hall, on commence à travailler avec les choristes, danseurs et musiciens recrutés. Pas très bons mais le deal avec le Malin tient toujours. Tellement bien d'ailleurs que Coralie est là aussi ! Comme si elle pensait lui mettre la pression. N'empêche : ça doit un peu fonctionner, son coeur bat toujours plus vite quand il la croise des yeux. Son Directeur Technique lui a dit qu'il s'agissait de leur nouvelle assistante de production. Assistante de production, le Diable incarné !!  

 

Le soir venu, chacun repart chez soi. Même Augustus, qui déserte désormais son bureau pour passer - allez savoir pourquoi - plus de temps avec sa famille. Car un monstre pareil a une famille.  

Les coulisses et les sous-sols du théâtre retrouvent alors un peu de quiétude. Jusqu'à ce que l'on entende ce cri.  

 

Ce cri abominable et inhumain, quasiment animal. Le cri de quelqu'un qui vient de se réveiller. Mutilé, défiguré, devenu presque fou. Le cri d'un homme trahi, d'un homme qui est mort. Et qui git nu ici, dans une des dizaines de remises de l'immeuble, allongé sur une paillasse sale et puante. A ses côtés, le cadavre à moitié dévoré d'un rongeur.  

 

Il ne sait plus qui il est, ce qu'il fait ici ni où il se trouve, comment il est arrivé - il revient de… quelque part. Du sang séché sur tout le corps - est-ce le sien ? - il agit à l'instinct. Accroupi, il tâte le sol froid, trouve un rideau, s'en revêt pour se protéger du froid, hurle à nouveau - défonce presque la porte vermoulue.  

L'obscurité des couloirs ne le gêne pas. Les sens aux abois, il traverse les caves et couloirs désertés, ses hurlements strident se répercutant en un écho infini.  

 

Puis il monte les escaliers quatre à quatre, la bave aux lèvres, à peine perturbé par la lueur fantomatique des ampoules de sécurité. Au bout d'une demi-heure d'une cavalcade effrénée, il se retrouve sur scène, en sueur, reniflant l'air. Le lieu, son odeur, l'interpèle… comme s'il le connaissait ou remuait des souvenirs en lui : comme le bruit de fond d'une foule qui l'acclamait. Autrefois.  

L'instinct, à nouveau, parle : il mime quelques grotesques pas de danse, lève les bras pour recevoir des acclamations fantasmées. Un furtif moment, il redevient celui qu'il a été.  

 

Puis la bête repart, trébuche contre un tabouret sur lequel était posé un classeur. Les feuilles volent. Parmi elles, plusieurs photos.  

Celle de Prisca Banks lui tombe sous les yeux. Au verso du cliché, on a écrit à la hâte un nom : celui de son personnage de la comédie musicale.  

 

L'homme écarquille les yeux. Son visage laisse apparaître plusieurs tics nerveux, il se met à genoux, se gratte la tête, geint la difficulté de son cerveau pour se souvenir… Ce nom, il reconnait ce nom… Si familier… Si proche.  

Le nom d'un personnage qu'il avait créé, avant.  

Quand il était encore…  

Et il comprend.  

 

Le hurlement qui s'ensuit est indescriptible, d'une sauvagerie et fureur dépassant largement les limites humaines. Si quelqu'un était passé sur l'esplanade à ce moment, il aurait pu l'entendre et sursauter à sa violence. Mais au coeur de la nuit, la place était désertée.  

Ou presque. Coralie Brandt, adossée sur une des colonnes de marbre du bâtiment venait d'allumer la première cigarette de la journée. Un petit sourire dessinait des rides d'expression sur son visage d'immortelle. Que disaient les gens du spectacle avant d'entrer en scène, déjà ?  

"- Showtime !"  

 

(Script original - merci à Gaston Leroux, Dario Argento, Andrew Lloyd Webber et Brian de Palma)

Scénario : (3 commentaires)
une série A thriller (Drame / Fantastique) de Daniel Sbrizzi

Sam Hawkins

Gina Maher

François Méthanol

Hilary Bell
Avec la participation exceptionnelle de Ira Bradley, Alexandra Dolby
Musique par Fabrice Hardy
Sorti le 23 mai 2020 (Semaine 803)
Entrées : 24 730 177
url : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=14875