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MMP présente
Borderline

L'agent d'assurance était gêné. Accompagné par l'employé de la banque et les forces de l'ordre, ils étaient tous les cinq chargés de l'expulsion de Richard Comco-Williams (Amaury Kirdar), un brave type qui aurait été sans histoire sans cette fichue "crise immobilière mondiale" qui touchait aujourd'hui toutes les classes sociales.  

Ici à Springfield dans la banlieue de Washington, on était bien en peine de comptabiliser précisément tous les propriétaires issus des subprimes pris à la gorge incapables de rembourser leur emprunt. Aujourd'hui, c'était Mr Williams, demain peut-être son voisin. D'ailleurs celui-ci avait baissé les stores à leur arrivée.  

 

Richard s'était enfermé dans sa petite maison - c'était son seul bien, son refuge. Il avait commencé à bosser à 16 ans, perdu son job il y a un mois après 30 ans de bons et loyaux services. Il galérait à présent pour retrouver une place dans la société. Richard n'était pas dupe - il savait pourquoi ce gars de l'assurance avait dépêché la police. Il ne voulait pas se rendre. Richard n'était pas armé, juste enfermé. Il menaçait de se suicider : cette maison, c'était son seul bien.  

On força donc la porte, on le maîtrisa. Avant même qu'il n'ait pu reprendre ses esprits, il était dans la rue avec ... rien.  

Il n'avait pas préparé son départ. L'ensemble de ses biens avait donc été saisi. On lui avait glissé ses papiers, à la demande du gars de la banque.  

Il était à la rue. Seul.  

 

Sans famille et ne réalisant pas vraiment la situation, il regarda le camion de déménagement récupérer l'ensemble de ses meubles, son linge, sa vie. Hébété, les larmes se mirent à couler naturellement sur ses joues en un flot ininterrompu.  

Il jeta un coup d'oeil au lotissement de petites maisons bien décorées et aux jardins soigneusement entretenus autour de lui. Des enfants jouaient dans la rue il y a quelques instants - les parents venaient de les ramasser, comme si le spectacle de sa propre déchéance pouvait être un traumatisme pour eux. Histoire qu'ils évitent de poser des questions gênantes à leurs parents qui leur expliqueraient alors qu'eux aussi, un jour, pourraient bien se retrouver dans la même situation.  

C'était ainsi : sa vie fichue en l'air, il lui restait son antique Toyota Corolla, fidèle et indestructible guimbarde qu'il comptait justement changer cette année. Un projet de moins.  

 

Les yeux encore embrumés, il finit par ne plus supporter ce spectacle affligeant. Il décida de marcher un peu vers le centre, histoire de réfléchir, retrouver un peu ses esprits, se vider la tête. Il aimait ça, marcher, quand il pouvait. Marcher vers nulle part en particulier. Sans penser à rien ou à trop penser. Sorti du quartier et revenu sur Cameron Cruise Blvd, il décida de parachever sa balade par une petite visite au "Deli" à l'angle de Cooperfield et Blake. Sa montre indiquait 9h34 et sa nouvelle vie venait de commencer.  

 

Le restaurant était ouvert, comme tous les jours - Richard ne l'avait jamais vu fermer. La clochette de la porte résonna familièrement et l'odeur du café, des pancakes et des gâteaux exotiques lui rappela l'époque où, employé dans la cimenterie voisine, il déjeunait ici avec ses collègues.  

La cimenterie avait fermé depuis. Le gars de l'agence pour l'emploi lui avait dit qu'il avait du mal à recaser ses employés, spécialisés mais pas particulièrement polyvalents. Il lui avait conseillé de partir d'ici pour le Sud, plus favorable à son activité. Il avait dit qu'il réfléchirait. C'était il y a vingt-deux jours. Entre-temps, le courrier et les factures s'étaient accumulés. On peut dire que les choses allaient vite de nos jours.  

 

Alors il revoyait de temps à autres ceux du "Deli" - à commencer par Rachid (Stanley Jezek), un brave garçon qui avait repris l'affaire de son père et qui ne comptait pas ses heures pour maintenir l'entreprise à flot. Sa première femme lui avait laissé des dettes et il devait lui verser une pension mensuelle - il avait du licencier la quasi-totalité de son personnel. Restait sa cousine de serveuse Suranayan (Lucy Camacho) qui lui donnait un coup de main régulièrement et un employé à mi-temps pour la plonge et la cuisine. Suranayan envisageait très sérieusement de rentrer à la fac - sa conseillère l'avait informée que son dossier de bourse avait de fortes chances d'être validé.  

 

En face du modeste établissement, une chaîne de café avait ouvert son relais qui diffusait un rock agressif histoire de rappeler sa présence. Le pot de terre contre le pot de fer. David contre Goliath. C'était le système qui voulait ça. Et franchement, voir une multinationale s'installer dans une zone aussi pauvre était révélateur de la merde dans laquelle l'économie se trouvait : tout le monde grattait là où il pouvait, quitte à revoir ses objectifs et son standing à la baisse.  

Le standing de Richard, lui, n'avait jamais été très élevé. Et ça n'était pas parti pour s'améliorer.  

 

Qu'allait-il faire dans sa voiture ? Se garer sur un parking et continuer à chercher du travail ? Partir loin d'ici comme on le lui avait conseillé ? Revendre sa voiture histoire de se trouver un toit ? Non - perdre son véhicule était la première bêtise à ne pas commettre.  

Ici, il était connu. Il savait que s'il ne revenait pas régulièrement, on s'interrogerait quelques temps sur sa disparition. Et puis on l'oublierait, remplacé par les autres soucis de la vie de tous les jours.  

Richard Comco-Williams ne voulait pas disparaître : ce "Deli", c'était sa bouée de sauvetage, son reste de socialisation. S'il était oublié d'eux, il ne resterait plus rien et il disparaîtrait de la surface sans un bruit. Psssht.  

Il se rapprocha du bar et murmura à Rachid - il n'était pas très fier de ce qu'il allait lui demander :  

"- Je peux garer ma caisse sur ton parking, à l'arrière du restau ?"  

Le jeune homme le regarda avec des yeux douloureux.  

 

(Script original)

Scénario : (3 commentaires)
une série B dramatique de Denny Cox

Amaury Kirdar

Lucy Camacho

Stanley Jezek

Jocelyn Fenton
Musique par Enya Kanno
Sorti le 15 juillet 2017 (Semaine 654)
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