Aujourd'hui.  

Sortie de la réception au Consulat de France du Chilland, Caroline Spade (Kellie Richardson) venait d'avoir une sérieuse conversation avec le jeune diplomate russe. Par "sérieuse conversation", on entendait chez elle une heure de sexe débridé doublé d'une hypnose corporelle et de révélations faites sur l'oreiller. Ca marchait aussi avec les femmes et Caroline n'était pas jalouse.  

Le jeune homme coincé qu'elle avait fait ahaner sous les draps était arrivé en poste ici il y a quelques mois à peine. Le Chilland, ancienne province mongole, était pour la Russie un ancien état-satellite montagneux dont les ressources naturelles appelaient à la plus grande vigilance… Leur représentant ici était donc - logique népotique de l'époque respectée - le fils du PDG de Gazbâll, consortium énergétique russe créé de toutes pièces par les politiques des années 2000 afin de garantir l'approvisionnement en hydrocarbures et métaux rares.  

Mais ce n'était pas ce qui intéressait "Caro" : dès son arrivée en poste, le gamin avait été contacté par un groupe de dissidents lié à la mouvance terroriste Al-Waja (La Douleur). Ils proposaient un deal aux autorités russes et à Gazbâll : la tranquillité de l'esprit des infrastructures en échange de 5% de leurs bénéfices. Et on savait comme le sous-sol de la région était riche et précieux en ces temps de disette.  

C'est là que Moscou avait dépêché un négociateur de génie sorti de nulle part, Ulrich Mupen (Manfred Ribic). Il avait réduit les exigences du groupe à 1% et le deal avait été scellé.  

C'est l'intervention de Mupen qui avait mis la puce à l'oreille de la Division Spade : leurs services avaient été mis au courant que derrière cette identité de façade se cachait non moins que l'ancien Directeur des sections d'assaut Antikörper Francis Wurst - des gens qui à une époque pas si éloignée avaient joué avec le feu des forces occultes*.  

Wurst avait été désavoué pour avoir entrainé la destruction totale du groupe, et on le croyait mort. Visiblement, le vieux avait eu soit de la chance, soit du talent - et s'était recréé une nouvelle identité en quelques mois à la barbe de tout le monde : des Services Secrets aux autorités… Découvrir ce qu'il faisait ici, dans cet "Orient compliqué", était la mission de Spade.  

Ces derniers mois avaient été également difficiles pour la Division, avec un "ménage" effectué au plus haut niveau qui avait vu leurs meilleurs agents disparaître en mission… Celle des Antikörper avait été mise sur leur dos : OTAN et Nations-Unies avaient évoqué un "règlement de compte" à grande échelle entre deux officines qui, officiellement, n'existaient pas.  

Mais la Division Spade, sa technologie, ses brevets industriels et génétiques (via son réseau de sociétés-écrans), étaient essentiels pour l'Occident. Un nouveau patron, Cédric Kumen (Barclay Glennie-Smith) avait été désigné. Kumen avait été un "Spade" lui-même, un clone de terrain, premier dirigeant de l'agence issu d'un pays africain : c'était un message fort face aux technocrates… La politique, toujours la politique. Kumen avait rationalisé les ressources, mis au panier plusieurs programmes d'élimination, réduit les frais et la voilure.  

Le jeune diplomate n'avait pas vu Mupen très souvent lors des négociations, mais il savait où ce dernier créchait. L'adresse en poche (une station de sports d'hiver, au Nord), Caroline l'avait remercié à sa manière. Quelques heures plus tard, il se réveillerait dans sa prestigieuse suite, se demandant s'il avait rêvé ou pas…  

En sortant du palace pour touristes où elle avait passé une partie de la nuit, Caroline fut surprise par le foisonnement de la capitale à 3h00 du matin. Enclavée entre deux chaines montagneuses et deux géants politiques, l'ex-République Socialiste avait profité de son statut géo-politique pour embrasser le libéralisme en douceur… Autrefois affamée, la population mangeait désormais à sa faim. Si l'on exceptait la menace terroriste et religieuse, une monenklatura qui continuait à détourner 15% des revenus du pays, la corruption des élites et une liberté de la presse fantoche, l'ensemble ressemblait à un métissage entre Dubaï et Hong-Kong. L'ancienne république était passée du XIXème au XXIème siècle sans crier gare.  

Une puissante cylindrée allemande se gara à ses côtés tandis qu'elle marchait. Caro entra dans le véhicule : Kumen était là. Homme d'action, il prenait part à la mission. Sur la plage arrière se tenait "Atom Heart Mother" (Gina Maher), les yeux révulsés, "câblée" sur une matrice informatique imposante. Elle engrangeait les infos et les diffusait sur les smartphones de ses collègues.  

Le Chilland avait blindé ses connexions réseau à la manière chinoise, des protections qui avaient tenu 15 secondes face à "Atom", mais qui l'obligeait à se trouver dans le pays-même. Caroline s'inquiétait toujours pour elle :  

"- Sa présence ici la met en danger… Son supérieur ne la laissa pas terminer :  

- Elle voit tout ce qui nous entoure, mieux que nous : au moindre mouvement, elle peut prendre le contrôle du véhicule. Il y a du nouveau."  

Joignant le geste à la parole, il pianota quelques secondes sur son cellulaire et montra à Spade le fruit de leurs recherches.  

C'était une vidéo où l'on voyait clairement Mupen/Wurst converser avec Alabano Ivanovic (William Merzi) dans un bar sombre du quartier populaire de la capitale. Ivanovic était un chef de guerre respecté dans la région, ancien soldat russe passé à la résistance dans les années 90. Un ennemi déclaré des Al-Waja autant que du gouvernement, officiellement ennemi public n°1 en fuite. Wurst - ou quel que soit son nom - représentait les intérêts du Kremlin ici. Ce même Kremlin qui avait commandité les élections et la victoire des dirigeants du Chilland. A quel poker menteur l'ancien barbouze jouait-il ?  

Le gouvernement du Chilland se battait contre les terroristes mais c'était une façade : il les tolérait tant qu'ils ne visaient pas trop haut, maintenant un climat de terreur et de répression qui faisaient leurs affaires respectives. 1%, ce n'était pas grand-chose d'une colossale manne, même si cela servait à acheter des armes de guerre.  

Kumen zooma sur l'image. Ivanovic n'était pas seul avec Wurst/Mupen. Un garde du corps pensa Caroline.  

"- Regardez mieux…"  

Elle améliora la luminosité. L'image numérique révéla un visage connu. Celui d'un confrère officiellement disparu : le Docteur Suranayan Noreesh Spade (Aslan Karagül), dernier représentant d'une série de clônes génétiquement évolués mais hélas trop instables.  

Impossible que Wurst/Mupen ne fut pas au courant de la véritable identité du Spade qui accompagnait Ivanovic. Est-ce qu'ils travaillaient ensemble, Noreesh en couverture prêt à frapper en cas de besoin ? Ou au contraire voulaient-ils protéger Ivanovic ?  

"- Ce Spade est hors de contrôle, il faudra veiller à le maîtriser, récupérer Wurst pour le juger, découvrir quel rôle a Ivanovic là-dedans. Le reste ne nous regarde pas."  

Caroline Spade avait aimé ce Spade-là, son chef savait combien il lui en coûterait de le faire disparaître - mais cette ancienne proximité était justement la raison pour laquelle il l'avait choisie.  

Derrière, "Mother" marqua des signes de stress. Câblée sur le réseau des caméras de la capitale, elle avait perçu une menace.  

"- Deux véhicules 4x4 blindés en approche rapide. Seront en visuel d'ici à 20 secondes. Nous avons été repérés. Données insuffisantes pour déterminer l'ident…"  

Kumen avait démarré leur véhicule tranquillement, respectant le trafic : les milices militaires du pays disposaient de ce type de véhicules, il pensait qu'il restait une chance que ce fut pas eux qu'ils cherchaient…  

Mother reprit :  

"- Un véhicule s'est arrêté à l'hôtel. Des hommes en armes en sortent - Services Secrets." Il se tourna vers Caroline : elle avait été repérée - on allait très vite remonter à eux...  

* voir 16 Rêveurs : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=12623  

(Script original, spin-off / séquelle de Spade - La Dernière Balle (2018) et 16 Rêveurs (2017))