Iris (Johnana Travlota), 36 ans, est une grande transsexuelle atypique travaillant pour la franchise Alpha Tours, "le Voyagiste de l'Inédit" - le job est sympa, elle est au contact avec la clientèle, et elle-même bénéficie de réductions pour les plus belles destinations. Réductions dont elle n'oublie jamais de faire profiter son proche entourage quand elle est trop bookée pour prendre des congés. C'est-à-dire presque toujours.  

C'est qu'elle est la meilleure vendeuse de la compagnie pour la région Provence-Alpes Côte d'Azur d'après les derniers chiffres. Sa patronne Claudie (Tamara Fishburne) l'a récemment augmentée, histoire de la garder sous le coude et qu'elle ne se fasse pas happer par la concurrence - mais Iris rêve d'autre chose : peut-être de sa propre boutique un jour ici, à Nice, pays de son enfance. Peut-être de "partir ailleurs", elle ne sait encore : les temps sont durs et même si les affaires vont bien pour elle (c'est qu'elle a son carnet d'adresses maintenant), ce n'est pas le cas de tout le monde : deux employés ont été récemment remerciés de la boutique et la crise touche de plein fouet leur secteur. Mieux vaut s'accrocher à son job que d'envisager un avenir plus libre mais incertain... Iris est indécise : toujours eu du mal à prendre des décisions pour elle-même là où elle est d'excellent conseil pour les autres. Pas de petits amis non plus et des contacts familiaux réduits à la portion congrue : Iris est exceptionnelle et ses qualités ont un prix ; alors elle se donne à son boulot.  

Chaque année, Alpha Tours présente ses résultats annuels à Paris lors d'un séminaire / cocktail mondain. A cette occasion, "Claudie la boss" a décidé d'amener Iris avec elle exceptionnellement. Il faut dire que le leitmotiv de cette année est "Récompenser les meilleurs éléments", et pour sûr, c'en est un ! Et puis un séminaire pareil, c'est toujours bon pour le réseau.  

La montée sur la capitale se déroule sans souci, une première nuit à l'hôtel réservé par la compagnie - puis vient "la" fameuse soirée. Petits fours, discussions entre messieurs à gros cigares et aux mines renfrognées, ces dames discutant de tout et rien. Claudie fait feu de tout bois pour présenter "son" Iris à tout le monde. Ce comportement de sa supérieure commence un poil à la gêner aux entournures : à croire qu'elle souhaite se mettre en valeur par son entremise. Mais Iris n'est pas animal de foire, qu'on se le dise. Si elle ne passe pas inaperçue avec son mètre 85, on retient surtout d'elle sa distinction, là ou Claudie fait preuve d'une certaine d'absence d'étiquette (pour le dire poliment), mettant en avant un accent pied-noir imaginaire mais tellement "sudiste" qui sent bon le soleil le thym et le romarin. Vient après l'apéritif le moment des remises des récompenses. Iris, appelée à son tour, monte évidemment sur scène, décrochant la Palme pour la PACA. Un peu - non, très - timide, elle remercie l'assistance et s'éclipse en coup de vent, les joues rouges d'émotion.  

Lors du brunch qui suit, un bel homme vient l'accoster alors que Claudie ne la lâche plus et n'arrête pas de poser avec elle pour la presse spécialisée. Cette homme, c'est Rudy Van de Veer (Benjamin Ziller), 45 ans, un actionnaire hollandais de la compagnie. Ses deux mètres lui valent d'ailleurs de regarder tout le monde de haut. Il l'aborde assez timidement, là où Van de Veer est universellement reconnu pour sa froideur et son charisme de prédateur. Ensemble, ils s'éclipsent sur la terrasse où un confortable buffet exotique ("mais écolo-compatible et moins phénoménal que l'année dernière, il faut faire des économies") a été dressé. Iris jette un dernier regard interrogatif vers Claudie qui lui répond en un clin-d'oeil appuyé, les deux pouces en l'air : elle a ferré un gros poisson.  

Ils devisent de tout, de rien, des petites choses de la vie, des résultats de l'entreprise... Mais Iris sent que Rudy coince sur la raison profonde pour laquelle il l'a amenée ici, un peu en retrait - elle connaît ça, le client qui la regarde avec de drôles de petits z'yeux - plissés généralement, à chercher une connexion neuronale, à trouver "ce qui ne va pas".  

Elle décide de prendre les devants, lui annonce que s'il voulait s'enquérir de ses penchants : oui, elle aime les hommes et oui, elle a un "pousse-mousse" dans sa petite culotte. Elle s'arrête un instant et se rend compte qu'elle vient de parler de la sorte à un capitaine d'industrie qui peut rayer le destin de centaines de personnes d'un trait de plume. Après une bouffée de chaleur, elle se reprend, ajoute d'un ton moins saillant et plus posé que la génétique en a décidé ainsi : une femme avec un sexe d'homme - le reste du corps oscillant sans cesse entre les attributs de l'un ou de l'autre. Ce n'était pas facile à vivre mais elle était fière et heureuse de bosser pour une boîte au sein de laquelle ce genre de détail n'avait aucune importance - à partir du moment où les résultats suivaient. Elle ne demande pas de "traitement spécial", juste son droit à l'indifférence...  

Rudy la regarde avec de grands yeux brillants. Il se rapproche d'elle, lui prend la main, la remercie de sa franchise et de son culot : le culot, ça paye souvent dans le métier, il sait ça aussi. Il lui répond, dans un semi-sourire, qu'il connaît bien "ça"... Il vit le même calvaire. Inversé. Il ne lui cache rien, il est à bout : homme avec des attributs sexuels de femme, il en a marre de mentir à la famille de sa fiancée Birgit (Joanna Fillion), elle-même lesbienne refoulée qui aimerait avoir des enfants pour affirmer quelque chose qu'elle appelle de ses voeux. Il s'arrête un instant, s'avise que ses paroles n'ont pas été captées par nulle autre qu'elle, foudroie d'un regard les rares témoins éloignés de la scène (qui détournent le regard et s'en retournent à leur occupation) et reprend.  

"- Vous, moi, Birgit : nous sommes tous des gens qui refusons de voir la réalité en face, à des degrés divers". Il aime sa fiancée, n'a aucune envie de la tromper, mais il ne pourra jamais lui offrir ce qu'elle désire. Si la politique sociale d'Alpha Tours a toujours été de "s'ouvrir à la diversité" comme on le dit si bien, c'était sous l'influence de Rudy. Il cherchait quelqu'un comme Iris. Ce n'est pas Claudie qui a décidé de la faire venir, c'est lui. Ce n'est pas Iris qui a le mieux performé en PACA cette année : il a truqué les chiffres - oh, de très peu : Iris reste un formidable élément, mais il devait la voir ce soir. Pour se rendre compte. Pour la jauger.  

Pour lui proposer un pacte fou.  

(Script original)