Je suis le moine qui sautille, sautille sautille...  

Je n'ai pas toujours sautillé ainsi, il m'est arrivé de garder la position debout plus d'une demi-minute hihi mais les gens en blanc sont parfois venus me rappeler la raison pour laquelle j'étais ici, dans cette institution.  

Alors je leur fais plaisir hihi, je sautille je sautille, jusqu'à ce que mon pauvre corps de 68 balais ne puisse plus me soutenir, qu'un muscle ou qu'un os lâche, claque ou craque et là paf alors, je m'écroule comme une grosse crotte et je ne sautille plus.  

En général, je me retrouve vite dans ma cellule capitonnée et je vais vous confier un secret : dans ce type de cellule, où que vous sautiez vous retombez toujours sur les capitons : c'est mou, c'est doux, c'est rigolo, ça sent la pharmacie et ça permet de ne pas se faire mal - moi, je suis adepte de la douceur et du pafairemal. Et des petits déjeuners à neuf heures du matin mais ça, ça dépend du chef de centre. Moi, j'en suis au quatrième depuis mon arrivée ici - autant dire que je fais partie des meubles.  

Prenez ma "chef" actuelle, Mademoiselle Schmidt (c'est Shannon Huang devant la caméra). Mademoiselle Schmidt m'a dit il y a deux semaines : "Monsieur Forstell (Monsieur Forstell c'est moi mais comme je passe ici incognito, je suis interprété par Manfred Ribic - comme ça vous comprenez mieux), on souhaite tous que vous retrouviez le chemin de la liberté - mais pour cela il va falloir y mettre un peu du vôtre, il va falloir nous aider à vous soigner." Voilà ce qu'elle m'a dit, Mame Schmidt.  

Me soigner ? Malheureuse, ce sont les fous que l'on soigne - moi je ne suis pas fou, puisque je sais que je ne le suis pas - c'est comme ça que ça se passe : les fous ignorent qu'ils le sont, ils font un déni.  

Moi je ne dénie rien, je sautille tout simplement.  

Et puis si je n'ai pas toujours sautillé, je n'ai pas toujours vécu ainsi. Bon, ça fait au moins 25 ans que l'institution des Coquelicots m'accueille, mais avant...  

Avant.  

Avant, j'était un jeune moine cistercien - un trappiste si vous préférez - de la région de Westvleteren, en Belgique pas très loin de la frontière avec la France. L'étude, le travail, la prière, la lecture - c'était ça ma vie. J'avais hérité, du fait de mon potentiel universitaire, de la fabrication de la bière-maison.  

J'étais alors un biologiste de Dieu. J'ai testé, j'ai pêché. Je n'avais pourtant jamais eu de problème avec l'alcool auparavant. Un mélange malheureux aura tout déclenché, aura ouvert les vannes du plaisir.  

J'expie depuis - je sautille, c'est ma punition qui me révèle chaque jour mes limites - j'y trouve la transcendance, c'est un rythme, une harmonie avec moi-même et Lui.  

Je crois que c'est au bout du vingtième delirium tremens que mes frères m'ont fait comprendre toute la gravité de ma situation et de mon état. J'ai très vite compris que je devais prendre du recul et me confier à une autre institution. Les Coquelicots m'attendaient.  

Toutes les thérapies ont été tentées sur moi dans les années 90 - l'époque où l'on voulait encore me soigner (mais de quoi ? Je n'ai plus touché à une seule goutte de breuvage divin depuis un quart de siècle !). Depuis ils avaient abandonné, jusqu'à l'arrivée de Schmidt. Je ne suis pas le seul dans ce cas, il paraît que la daronne veut faire sortir les cas les plus anciens et les renvoyer "dans le civil" à partir du moment où ils ne sont pas dangereux - on appelle ça de la "bonne gestion de l'argent public" paraît-il. Eh Dieu, tu entends ça ? - ils vont me renvoyer chez mes potes trappistes - tu crois qu'ils tiendraient le coup à nouveau ? - non, t'es pas sûr, moi non plus : en fait, c'est pas forcément un retour à l'envoyeur, plutôt un retour vers la condition de simple pêcheur.  

Qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour rester ici ? Devenir dangereux, montrer les dents, faire tonner la colère divine ?  

Laissez-moi sautiller, pour l'amour de Dieu !  

(Script original - affiche par Rammstein / Studio Nord)