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Les Films du Corbeau présente
El Tango del vecino

Saragosse, Espagne – 1948  

 

BO : https://www.youtube.com/watch?v=I5JQ1m3mxKw  

 

Il faisait chaud, trop chaud pour sortir. Sa mère lui intimait toujours de rester dans l’appartement tant que le soleil ne commençait pas à décliner. Ainsi Alvaro (Gregory Rencoin) se tenait assis sur le balcon, les jambes pendantes par-delà la rambarde, la tête posée entre deux barreaux et s’imaginait ressentir tout l’ennui du prisonnier incarcéré… Il observait la vie éteinte de la cour intérieure de l’immeuble. Le petit chien de la dueña Cassanto reniflait le plan de tomates que sa vieille maîtresse entretenait dans un coin ensoleillé du parterre de fleurs et se préparait à y apporter un engrais tout personnel… A travers la fenêtre ouverte des Portecál dépassaient les pieds nus et potelés du maître de maison, qui s’étendait toujours ainsi à l’heure de la sieste…  

Mais ce qu’il trouvait le plus intéressant, c’était ce qui se passait sur le balcon de Juan, le jeune fonctionnaire qui vivait dans l’angle du bâtiment d’en face. La porte-fenêtre était ouverte et s’en échappait une chanson. Alvaro la reconnut, c’était Volver de Gardel. Il adorait Carlos Gardel, peut-être et surtout parce que sa mère disait toujours qu’il ressemblait beaucoup à son père… Il ne voyait pas se qui se passait chez le jeune voisin parce qu’un rideau blanc protégeait l’appartement de la chaleur. Mais une légère brise le faisait voler et Alvaro distinguait deux silhouettes, serrées l’une contre l’autre et se mouvant lascivement au rythme du tango argentin. Ainsi Juan recevait une bonne amie… Il faillit se retourner pour faire part de sa découverte à sa mère, occupée derrière lui, sur la table de la cuisine, à préparer ses fameux empanadas à la morue, mais il y renonça. Elle ne trouverait pas la nouvelle aussi intéressante que lui. Parce qu’elle n’aimait pas beaucoup Juan. Alvaro ne comprenait pas bien pourquoi, lui avait toujours trouvé le jeune homme sympathique. Ils partageaient même une certaine complicité. A chaque fois qu’ils se croisaient devant l’immeuble, ils s’échangeaient un regard complice, comme s’ils partageaient un secret. Pourtant, ce n’était pas le cas.  

- Alvaro, si tu me donnais un coup de main au lieu de bayer aux corneilles. Il fait trop chaud pour travailler toute seule.  

Alvaro se redressa en soupirant. Il allait l’aider, mais comme toujours quand elle s’activait dans la cuisine, elle finirait par le faire déguerpir car il ne s’y prendrait pas comme il faut. Un rituel incontournable. Maria Elena (Marlene Somers) ne savait partager son savoir-faire avec personne…  

 

Maria Elena était plus tendue que d’habitude car ce soir, Maricel devait enfin ramener son petit ami pour dîner. Alvaro allait voir débarquer un nouvel homme dans la famille. Il ne savait pas s’il en était content ou inquiet. C’était lui, jusqu’à présent, le seul homme de la maison. Depuis que Jorge, son père, était mort. Autrement dit depuis qu’il avait deux ans. Jorge Arocena avait été une figure des forces républicaines saragossiennes pendant la guerre civile. En 39, l’année même de la fin de la guerre, il était parti un soir pour ne plus jamais revenir. Maria Elena se fit à l’idée que les nationalistes l’avaient capturé et exécuté. Depuis, elle avait élevé seule son fils et sa fille, qui à 19 ans, s’apprêtait aujourd’hui à présenter un inconnu à sa mère comme une preuve de sa proche émancipation.  

 

*  

 

Alors que le jour commençait à décliner, Maria Elena était toujours dans sa cuisine. Tout était prêt depuis longtemps, mais elle ne pouvait s’empêcher d’ajouter quelques petites choses au menu du soir. Alvaro avait souligné qu’elle avait déjà prévu beaucoup trop à manger pour quatre, mais il avait été rapidement remis à sa place.  

- Tu veux qu’on nous prenne pour des pauvres ou bien ?  

Il avait préféré s’éclipser dans sa chambre et surveillait l’arrivée de sa sœur par la fenêtre. L’appartement de Juan était allumé, et il vit soudain les lumières s’éteindre. Le jeune homme sortait, accompagnée de son amie. Il les vit descendre l’escalier extérieur, mais la lueur devenait trop faible pour qu’il arrive à distinguer le visage de la jeune femme. Pourtant, cette silhouette ne lui était pas inconnue. Un moment plus tard, la sonnette d’entrée retentit et Maricel poussa la porte en appelant :  

- Mamacita, c’est moi !  

Alvaro sortit de sa chambre et atteignit le hall d’entrée en même temps que sa mère. Maricel (Léa Maurel) s’y tenait, accompagnée de Juan (Mathieu Wauthier). Elle souriait, mais son visage était crispé.  

- Eh bien voilà maman. Je te présente Juan. Mais tu le connais déjà, bien sûr.  

Le dos de Maria Elena s’était cambré. Juan sourit timidement. Le silence s’installa l’espace d’un instant. Maria Elena fut la première à le rompre.  

- Ne restez pas plantés là. Venez vous asseoir.  

 

La soirée ne se passa pas mal, mais pas si bien que ça non plus. Tout le monde ressentait une légère tension ambiante. Maria Elena était crispée, mais assurait son rôle comme elle le devait, sans plus de chaleur que nécessaire. Maricel parlait trop pour être vraiment à l’aise. Elle ne cessait de vanter les qualités de son ami, combien il avait une bonne place dans l’administration de la préfecture, combien il avait des espoirs d’avancement, combien il lui avait fait découvrir de choses… Juan s’efforçait de paraître décontracté, mais ses incessants clins d’œil complices à Alvaro, comme des petits messages en coin de table censés vouloir dire « Tout se passe bien, tout se passe bien » montraient bien au garçon qu’il n’était pas plus à l’aise que les autres.  

A la fin du repas, Maricel vint aider sa mère en cuisine et Juan rejoignit le salon. Alvaro l’accompagna et le regarda faire le tour de la pièce. Le jeune homme s’arrêta devant la photographie qui trônait sur le buffet. Il s’arrêta et contempla le visage digne d’un homme en complet blanc.  

- C’est mon père, Jorge. Il est mort il y a…  

- Oui je sais, Maricel m’a dit.  

Juan l’avait interrompu d’un ton sec.  

- Mais je ne connaissais pas son visage…  

Son visage à lui s’était fermé. Alvaro remarqua son changement de comportement. Lorsque Juan se retourna vers lui, il se rendit compte que le garçon l’observait. Il sourit brusquement.  

- Ce devait être un grand homme.  

Maricel entra à son tour. Juan se tourna vers elle et lui prit les mains.  

- Je vais vous laisser, ma belle.  

- Déjà ? Mais…  

- Vous avez besoin de vous retrouver entre vous. J’ai trop abusé. Je vais remercier ta mère.  

 

Sitôt le jeune homme partit, les deux femmes se retrouvèrent face à face et laissèrent éclater leur colère.  

- Tu ne pouvais pas être plus aimable ?  

- Il fallait qu’entre tous, tu me ramènes celui-là ?  

S’ensuivit une discussion sans fond. Maria Elena n’avait jamais apprécié Juan parce qu’il travaillait à la préfecture. Ce qui, sous le gouvernement dictatorial de Franco, revenait à ses yeux à vénérer le Caudillo.  

- Que dirait ton père s’il te voyait au bras d’un nationaliste ?  

Maricel s’emportait, disant qu’il n’était pas franquiste et pas responsable de la guerre civile. Qu’il était un homme bon et attentionné.  

- Tu n’as pas le droit d’utiliser papa contre lui !  

La dispute n’eut évidemment pas de fin, si ce n’est que les deux femmes claquèrent la porte chacune de leur côté. Alvaro s’était éclipsé depuis longtemps déjà…  

 

*  

 

Les jours suivants, la tension ne faiblit pas entre les deux femmes. Maria Elena restait ferme sur ses positions, et Maricel lui en voulait. Elle disait que la froideur de sa mère avait déteint sur Juan. Qu’à cause de la façon dont elle l’avait reçu, Juan gardait une distance qui n’existait pas entre eux auparavant. Elle était malheureuse et reportait son aigreur sur sa mère.  

Alvaro avait aussi remarqué que Juan avait changé. Plus de regards complices, plus de musique s’échappant de sa fenêtre. Juan semblait longer les murs et, en dehors de ses heures de travail, s’enfermer derrière ses volets à demi-clos.  

Alvaro aimait bien Juan, et devait bien s’avouer que malgré le regard de sa mère, il était bien content que sa grande-sœur l’ait choisi.  

Un soir, alors qu’il s’apprêtait à se coucher, il entendit une musique s’élever dans la cour. Elle venait des fenêtres de Juan.  

BO : https://www.youtube.com/watch?v=Ui4hLGHF3iE  

La lumière était allumée mais il ne distinguait aucune silhouette. Il sortit de l’appartement et se rendit discrètement sur le balcon du voisin. S’il était seul, peut-être pourrait-il lui parler, faire quelque chose pour raccommoder les choses entre sa sœur et lui, qui sait ? Il s’approcha du rideau de la fenêtre ouverte, mais entendit la voix de Maricel. Il les apercevait, mais la clarté de la pièce et la pénombre de la nuit le gardaient à couvert. Juan était assis sur le sol, le dos contre son canapé. D’un mouvement de son pied, il envoya une bouteille de rhum vide rouler contre le carrelage. Maricel était assise à côté de lui.  

- Tu ne devrais pas te mettre dans cet état-là.  

- Tu ne peux pas comprendre, Maricel.  

Alvaro écoutait sans faire de bruit.  

- Je n’avais que 17 ans, je faisais ce qu’on me disait sans me poser de question. Si mon père avait été républicain, j’aurais été républicain. Mais voilà, il était nationaliste…  

- Tu n’es pas responsable des choix de ton père.  

Juan se redressa et agrippa les genoux de la jeune femme.  

- J’ai tué, Maricel, j’ai tué ! On m’amenait à des pauvres types à genou, les yeux bandés, et je leur tirait une balle dans la tempe !  

- Tu n’es pas responsable…  

La voix de Maricel se faisait plus erraillée.  

- Et si c’est moi qui avait tué ton père, le héros de la famille, tu serais toujours aussi sûre de toi ? C’est un fait Maricel, je ne sais pas qui sont ces types que j’ai tué ! Je n’ai pas vu leur visage, pourtant je sens toujours leur braqué sur moi…  

Il s’effondra sur ses genoux. Elle le repoussa délicatement et se leva. Elle se tenait juste en face de son frère, sans le voir, le dos tourné à Juan. Son visage s’était fermé, il était dur. Juan sanglotait sur le canapé.  

- Je ne peux pas regarder ta mère en face, ni ton frère.  

- Nous ne sommes pas responsables du passé. Cela ne nous regarde plus. Tout a changé, je t’aime. Cela ne sert à rien qu’ils sachent…  

 

*  

 

Alvaro était assis sur son lit, la lumière éteinte. Il observait un rai de lumière qui filtrait par les volets sur le mur de sa chambre. Depuis tout ce temps, l’assassin de son père dormait peut-être à une dizaine de mètres de son propre lit, à une dizaine de mètres de la photographie qu’il regardait chaque matin en traversant le salon. Juan le fonctionnaire avait peut-être tué le plus grand homme que la Terre ait jamais porté. Et il vivait normalement, alors que son père non.  

Ce n’était peut-être pas lui le coupable, mais Alvaro n’y voyait aucune différence. C’aurait pu être lui.  

Est-ce qu’il allait en parler à Maricel ? Cela ne servirait à rien. A sa mère ? Il ne savait pas pourquoi, mais la réponse était clairement inscrite dans son crâne. Non. Allait-il en parler à quelqu’un d’autre ? Dénoncer Juan ? Non. A qui l’aurait-il dit ? Les nationalistes avaient gagné. Alvaro ne comprenait pas grand-chose à la guerre qui avait ravagé son pays près de 10 ans auparavant, mais il avait bien compris que son pays était aujourd’hui dirigé par ceux que son père avait combattus. Maricel lui avait expliqué que des républicains avaient continué de se battre, avaient rejoint des maquis pour résister. Mais aussi qu’ils avaient été vaincu encore une fois et que depuis quelques mois, on ne connaissait plus aucun maquis encore debout. Maria Elena s’était recroquevillée sur elle-même, sur ce qui lui restait de sa famille et n’avait plus gardé de contact avec leurs anciens camarades.  

Non. Alvaro était seul. Il était l’homme de la maison et devait venger son héros de père. Peut-être n’avait-il pas d’arme, et ne savait pas s’en servir d’ailleurs. Mais malgré ses 11 ans, il se sentait fort. Et Juan était faible à présent.  

 

 

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Un film d’Adam LESTER  

Sur un scenario original du Corbeau  

 

Avec  

Gregory RENCOIN - Alvaro  

Mathieu WAUTHIER - Juan  

Léa MAUREL - Maricel  

Marlene SOMERS - Maria Elena  

 

Sur une musique d’Hiromi HANSON  

Scénario : (2 commentaires)
une série B dramatique de Adam Lester

Gregory Rencoin

Léa Maurel

Mathieu Wauthier

Marlene Somers
Musique par Hiromi Hanson
Sorti le 04 décembre 2032 (Semaine 1457)
Entrées : 24 135 495
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