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Prod'Artaud présente
Sans plus de conséquence

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"Répondez à toutes les questions qui vous seront posées afin qu'une attestation fidèle et durable puisse être reconnu par les services des assédics.  

"Si vous avez été en stage ou en form... Si vous êtes à la recherche d'un emploi... Si vous percevez une pension d'invalidité, Tapez 1 sinon tapez 2...  

"Vous êtes titulaire dans une de ces catégories : titulaire d’une pension d’invalidité, artiste non salarié, marin-pêcheur, docker occasionnel, détenu récemment libéré, expatrié, apatride, réfugié, demandeur d ’asile, dirigeant mandataire, emploi à temps partiel, collectivité publique, travailleur frontalier, intermittent du spectacle.  

"Vous déclarez ne pas avoir été en stage, ne pas toucher d'allocations, toucher une pension d'invalidité de 1ère catégorie et être toujours à la recherche d'un emploi.  

"Votre déclaration a bien été enregistrée. "  

 

 

J’aime les mécanismes. A une seconde succède une autre seconde. On vit, on dort. C’est un rouage sans ombre. C’est parfois un crime. Parfois un enfant. Une loi. Une discussion. J’habite au 34, rue du bout de l’enfer. Une prémonition. Une prédilection même. Une voisine habite en face de mon palier. Une autre sur la gauche (Amy Torkildsen). Jamais je ne les ai vues côte à côte. Soixante ans d’écart. Quand je perçois l’évolution des âges, ces corps qui parcourt au travers du temps, je ne vois plus ce qui les lie d’un âge sur l’autre. L’idéal qui échappe aux mécanismes s’appelle l’accident. J’aime les accidents. J’ai croisé ma voisine, la plus jeune. C'est une étudiante en Lettres Modernes sans le sou. Je ne prendrai pas mes médicaments ; j’ai envie de vivre un peu. Elle a un appartement charmant comme elle. De fil en aiguille, je lui ai cousu la bouche en prenant un thé vert chez elle et je l’ai mangée. J’avais commencé par lui couper un auriculaire. Puis le mastiquant comme un bâton de réglisse, j’ai découpé d’autres friandises. Pourvu qu’elle ne se réveille pas. Il y a quelque chose de parfait et de naturel. Demain trois flics frapperont à ma porte. J’aurai préparé un nœud coulant. J’ouvrirai la porte, j’ouvrirai la fenêtre, je sauterai sans ombre. Je serai pendu sur la façade, dans le vis-à-vis, entre le troisième et le quatrième. Je suis innocent comme une pierre taillée. J’ai une belle vue sur le jardin intérieur et immobile.  

 

J’ai vécu comme un dieu : j’abandonne pour observer tout ce qui m’a lié à la vie, j’ai rompu avec l’existence, j’ai cessé de parler, de mâcher et de m’occuper. Le bonheur semble impossible tant qu’on le vit. C’est déjà ça de moins à régler tant qu’on meurt.  

 

Nous sommes tous à la recherche du bonheur. Elle conduit certains à triste, malheureux à crever. D’autres, souffrent, pataugent dans la soupe froide. Si c’est ce qu’ils veulent. Nous cherchons tous le confort avec soi-même comme l’indicible route qui serpente et qui me tord le cou.  

 

Sortir de l’ordinaire. Sortir de cette machinerie huilée, mielleuse. Quand l’utopie vient, on ne s’en rend pas compte car c’est automatiquement l’ennui. Il faut contrarier les plans promis, il faut oublier, commencer par conjurer la vie. Mourir est dans l’utopie. Mes os se déplacent sous la migraine. J’entends d’ici les vers murmurer tandis qu’ils se fraient un chemin aux confins de mon bulbe. Seul, mon cou cède.  

 

Comme il roupille le soleil sur le rebord de fenêtre, entre mes deux jardinières, l’une d’œillets d’inde, l’autre de géraniums, toutes deux dépareillées.  

Mes jardinières, à terre, le soleil, à l’œil étréci, me chauffe les couilles, toutes deux dépareillées. L’une et l’autre rougissent. Gonflent. Comme un totem, je bande. Tandis que je pends et que le pouls bat à son rythme.  

 

J’ai opté pour une poulie extérieure en ressassant comment pouvait se dérouler la scène fatale. Il fallut protéger la corde pour éviter que la police ne la coupe. Le temps qu’ils redescendent par l’unique ascenseur avec sa musique d’ambiance typique, je serai blême, je ne serai plus.  

 

En Août 2005, j’étais gendarme motard à la droite du cortège. Je protégeais à l’époque le président Chirac pour son déplacement à Riyad, Arabie Saoudite. Le roi Fahd venait de mourir. Alors notre président sous protection présentait ses condoléances au peuple saoudien. J’étais au summum de ma carrière. D’un uniforme sur mesure orné de chaînettes dorées accrochées à l’épaulette, nous sommes partis de la caserne militaire, située à 40 km au sud de la capitale. Nous étions cinq motards à nous rendre à l’aéroport Riyad King Khaled pour recevoir notre président. Sur l’autoroute qui nous séparait de la capitale, je me souviens qu’un camion a fait une embardée sur la gauche. Dans l’angle mort, le poids lourd m’a touché. La moto a dérapé au-delà du terre-plein central. Je n’ai pas pu m’en défaire. Je voltige par-dessus une voiture venant en sens inverse. Je passe au-dessus des barrières de sécurité. Je fais un vol de quarante mètres de haut. Je ne voyais plus rien mais, dans un sommeil profond, j’entendais des voix quelques minutes plus tard, je les entendais que je ne pouvais plus m’en tirer. Cela m’a mis en colère. Je n’ai pas pu entendre les condoléances du président.  

 

Les médecins hésitaient encore à me rapatrier alors que mon état était stable. Je fus alité une année durant laquelle je cherchais mon visage. Le monde avait changé. On me proposa de me regarder dans un miroir afin d’être prêt. Un médecin me donna une glace. Le premier constat n’est pas aussi douloureux que je l’avais escompté. Mon visage n’était plus le même : j’avais perdu un œil, deux immenses cicatrices parcouraient le sommet du crâne chauve et terminaient leur course entre mes yeux. Quelques brûlures, ici et là, ne m’empêcheraient pas de vivre normalement avec ma famille. Je n’ai d’ailleurs pas eu de nouvelles. J’ai demandé des renseignements à mon collègue motard (Jack Reyes) qui me suivait le jour de l’accident. Sa visite m’avait fait plaisir mais il n’arrêtait pas de dire qu’il aurait pu être à ma place. Or c’est faux. Il était revenu en Arabie Saoudite exprès pour moi, un an après le drame. Je ne sais pas si on peut fêter ça. Il m’annonça que Sylvie (Amanda Noyes) et les deux enfants étaient partis du domicile. Ma femme m’a quittée. A partir de ce jour, je n’ai plus cessé d’être en colère.  

 

J’étais dans la salle de repos ce samedi. Cela faisait un mois que j’étais revenu en France mais je ne pouvais pas m’en extasier car je couvais une dépression. J’ai toujours voulu voir le côté positif des choses mais lorsque j’ai pris le bus, exprès pour voir la réaction des gens autour de moi. Je fis un deuxième constat, beaucoup plus blessant. Les gens me laissait un espace autour de moi, me regardait. Un gosse m’a montré du doigt et le baissa aussitôt que sa mère l’eut admonesté. En rentrant chez moi, je pensais tout bas que le monde avait beaucoup d’apparences et que la mienne ne lui correspondait plus. En ouvrant ma porte, j’ai ressenti une vive douleur à la broche de ma jambe. J’ai pris des cachets, je me suis allongé.  

 

Sylvie ne m’avait pas vu depuis près de deux ans : ses excuses et son oubli de son amour me pétrissait le cœur, le piquait, chauffé à blanc, par le fer de son hypocrisie. Mais je n’ai pas demandé à revoir les enfants. Eux, ça me choquerait de les voir plus l’inverse. Je n’étais ni mari ni père mais un masque. Alors je me suis éloigné ma vie, j’ai découpé les photos où j’apparaissais beau, propre comme un sou neuf et sans outrage de la vie. Je ne jalousais pas mon ancien visage, il me dégoûtait. Je me suis installé à Paris dans une chambre de bonne avec un seul ascenseur pour accéder à mon étage, avec l’escalier condamné. Nous étions trois sur le palier. Une voisine habite en face de mon palier. Une autre sur la gauche. Toutes les semaines, j’allais voir un psychiatre qui m’aidait à mieux m’accepter. Cela se résumait à la prise d’antipsychotiques contre soit disant un délire paranoïde. Moi, je connais une chose qui m’aiderait…  

 

C’est de créer un monde, un univers à moi seul où je serai beau. Je ne prenais plus mes médicaments depuis deux semaines. La rémanence de cette chimie dans mon corps dura encore et encore. J’en profitais pour faire le vide autour de moi. Les mécanismes s’accélèrent. L’ogre me ronge le crâne dans mes cauchemars. J’ai invité les gars d’Emmaüs pour qu’ils emmènent le plus d’éléments matériels possible. A ce stade, il faut plus chercher d'explications. Je vois d'ici les en-têtes des journaux qui arriveront sous vos yeux. Dans les kiosques, ils seront distribués comme un cheveu sur la soupe.Froide la soupe. Pas d'explications, non, mais...  

 

J’étais tranquille. J’ai découpé son visage et je l’ai appliqué sur ce que je n’avais plus. Et cette porte qui se soulève comme le diable en face du monde ! Trois petits courants me rendent visite. Qu'est-ce que je fais ? J’ai ouvert la porte. J’ai ouvert la fenêtre. Comme un courant d’air, j’ai disparu.  

 

Au propre comme au figuré.  

 

 

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A Prod’Artaud, nous avons choisi recentrer sur l’individu les concepts de « fin du monde » et d’ « utopie ». Nous nous disions, d’une part, que la perte de vitesse de l’idéologie dans les sociétés industrialisées ne pouvait plus donner lieu à une vision parfaite – ce qui serait sans réalité. Nous avons voulu donner des réponses à notre monde, un monde où l’hédonisme prend tout son sens. D’autre part, la mort du héros sans nom symbolise bien l’ambivalence du thème : la mort est ici l’utopie mais en même temps il s’agit de la fin de la vie, autrement dit dans l’incapacité de la connaître tant que nous existons. Cette utopie-là est alors plus de l’ordre du mirage que la panacée. Le portrait du héros, très centré sur sa mort, dans l’attente de mourir, dévoile de manière abrupte que la vie n’est qu’une succession de chutes où on se sent grandir. Cette capacité humaine à rebondir, à se relever, à se transformer en fonctions de ses expériences nous a amené à penser, lors de l’écriture, que le héros changerait de peau, un peu comme un serpent. Et tandis qu’il mue, il laisse derrière lui un monde avec son temps, il délaisse malgré lui un vécu, en rupture avec lui-même. Le vécu, dans ce cas, est une succession de fin de mondes intimes.  

Le fait qu’il se suicide après avoir tué, le fait qu’il ait eu un accident le défigurant, ce sont autant de peaux dont le souvenir et la mémoire sont les seuls à pouvoir les référencer, à savoir ce dont il s’agit. Nous avons situé un personnage perdu à la dérive mais qui est en même temps à son climax avec ce suicide, perçu comme un accélérateur de vécu.  

Le héro souhaitait quelque chose de parfait alors il a créé les conditions, il a bousculé le monde, il est devenu le dieu de ses envies. La fonction première d’un dieu est de mourir pour passer à une étape supérieure – ce qui présage une autre utopie, une autre fin en soi, une autre peau. Etre à l’agonie, avoir envie de mourir, comme condition ultime d’un monde individuel et parfait, c’est être prisonnier mais c’est aussi cesser de croire que conjurer la mort répond nécessairement à la recherche du bonheur.  

 

Le titre est le révélateur de la performance de notre projet.  

Scénario : (4 commentaires)
une série A dramatique de Saif Dhupia

Gregory Nicotero

Amanda Noyes

Jack Reyes

Amy Torkildsen
Sorti le 03 février 2012 (Semaine 370)
Entrées : 11 446 462
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