Telle fut leur entreprise : chacun se perd sans demander son reste, et si, par un malheur créé par tous, nous refusions de nous offrir comme un dû, nous obligerions chacun à sermonner de plus près ce qu’est l’organe religieux.  

« Un malheur créé par tous, c’est une logique.  

Je ne vous ai pas demandé. Tout comme je n’ai pas demandé à me corrompre, ni à ce que vous m’emmeniez chez les pingouins à robe ! »  

Il s’en est fallut de peu. Il échappa à cette sordide affaire de justice : deux mois à temps complet pour justifier son innocence.  

Sans doute voulut-il un peu jouer. Mais, de toutes évidences, on ne joue pas avec les Témoins de Jéhovah.  

Inculpé de viol et de coups, il sortit libre du tribunal, et encore bien menotté par les objurgations bourgeoises de l’Etat Catholique Français.  

Il ouvrit la porte à deux personnes, et parce qu’il se sentait seul, il les fit entrer. Leur proposa de s’asseoir, que chacun soit à l’aise, et leur offrit deux tasses de thé vert sans sucre. Cela faisait maintenant quatre mois qu’il se joignit à ces personnes. L’une d’entre elles s’appela Anne-Marie. Quarante-cinq ans, le cheveu poivre et sel, et sans trop de rides, elle sortit de sa besace une bible qui fleurait bon la vérité tant la reliure inspirait confiance. L’autre personne, Farida, sortit deux revues neuves : La Tour de Garde et Réveillez-vous !  

A chaque nouveau rendez-vous, une fois toutes les semaines, elles s’enquéraient de ses nouvelles, puis commençaient par aborder le sujet du jour. Il était convenu qu’ils parleraient ensemble des pratiques élémentaires qui feraient de la chair de Jéhovah un bon chrétien. Lui commença par feuilleter La Tour de Garde et avoua d’emblée qu’il n’était pas bon chrétien en bien des endroits de sa conscience. Anne-Marie le rassura car on ne peut pas changer l’homme qui n’a pris la peine de faire la connaissance de Jéhovah, qu’elle était là pour qu’il en prenne conscience et la conscience suivra. Puis elle lut un passage qui étayait un peu plus son propos.  

Michel eut l’œil embué – il venait de se réveiller, encore vêtu de son pyjama. Son regard se riva justement sur une enluminure de La Tour de Garde : un « S » en lequel il crut voir le serpent du pêché. Il faisait bien de boire son lait du matin ; dans le blanc liquide, il se souvint du serpent comme d’une prémonition ; il crut bon de l’avaler d’un trait ; il s’en délecta auprès des deux Témoins.  

Il fallait bien dire que le jeune Michel n’avait rien du profil du bon chrétien. Il avait bien lu Réveillez-vous ! mais ne fut pas convaincu par bon nombre d’articles, notamment sur le tabac. La cigarette était son encensoir ; elle faisait partie de ces symboles qui plut tant à Anne-Marie car Michel concevait a priori autrement les choses, bien que ses à-propos n’étaient pas aussi bien traités qu’elle l’eût souhaité. Il tomba d’accord sur le problème de la transfusion du sang, d’un corps à un autre corps ;  

Michel dit qu’il tenait beaucoup à s’appuyer sur son âme pour tous les événements de la vie, pour toutes ces vicissitudes. Ce dernier propos assura à Anne-Marie qu’il était plus proche qu’elle ne l’estimait.  

La personne qui accompagnait Anne-Marie restait bien souvent inactive. Farida n’était venue que pour lire des passages sans les expliciter. Il y eut une autre personne avant Farida et une autre encore après.  

La quatrième personne, cette « autre après » se prénomma Magdalène, la fille unique d’Anne-Marie, sécrétée divinement, une jeunesse pleine de vie et qui avait du premier coup d’œil vingt-quatre ans. Quand Anne-Marie eut finit le sujet de la semaine – la place de la femme dans la Bible, cette fois-ci – elle se leva et soumit à sa chair d’approcher la voiture jusqu’à la porte d’entrée, et que ce geste permettrait à Michel de faire connaissance avec Magdalène.  

Une fois Anne-Marie sortie, Michel voulut demander à la jeune fille ce qu’elle faisait autrement dans la vie, comment elle s’occupait, mais elle lui posa la question avant lui. Michel n’avait rien à dire sinon qu’il écrivait des lettres…  

"A, B, C, le tout à la craie", plaisantait-il.  

Magdalène ne prit pas ce dernier dire pour rire, et enjoint Michel de lui écrire une lettre puisqu’il faisait partie maintenant de ses connaissances. Il n’en sut pas plus sur elle.  

Peu après cette curieuse proposition, elle lui dit à bientôt, la voiture est en bas et il ne se fit pas prier ; il s’attela à la tâche.  

Au bout d’un mois et demi, Michel reçut la prompte visite d’Anne-Marie. Elle venait lui faire part d’un fait étrange et dont Michel ne se souvenait pas puisqu’il n’y était pour rien.  

Sa fille était enceinte… Et comme il ne voulait la rendre encore plus confuse, déjà hystérique dans son syndrome pré-menstruel. Et ce ne fut pas sans risque qu’il se tut tout au long de cette brimade dont il n’avait que faire. Il prit même la face d’un air coupable car Magdalène était si sémillante et intelligente que cela lui fit un choc de la croire engrossée comme une connasse. Il n’en dira pas plus.  

Outré de cette nouvelle, bafoué de verbes, sous-entendus d’insultes, Michel ne s’affaira plus à déchiffrer la bible comme un instrument d’inspiration divine, et dont tout un chacun prend connaissance, pour se limiter dans ses vices… et autres persécutions intelligibles. Et il ne leur ouvrit pas lors de la séance habituelle.  

Michel descendit prendre le courrier et remonta aussitôt de peur qu’on le reconnaisse. Il limitait ses sorties à son paquet de cigarette quotidien, en prenant bien le soin d’aller juste avant la fermeture du bar-tabac de la place Voltaire. Il se méfiait des Témoins maintenant. Il vaut mieux être prudent. Parmi le courrier, un mot d’Anne-Marie :  

« Olivier,  

Je suis passé ce jour j’espère que  

vous allez bien.  

Pouvez-vous me téléphoner de préférence  

aux heures des repas pour convenir  

d’un autre rendez-vous.  

Amicalement,  

Anne-Marie D. »  

« Ce mot laissé n’est pas le fruit du hasard, elle cherche à m’avoir, ma foi », pensa-t-il. Michel ne connaissait ni les heures de repas – car il mangeait de manière inhabituelle – ni la peine de téléphoner. D’autant qu’il s’agissait certainement d’une entourloupe. Anne-Marie a du découvrir la lettre qu’il avait envoyée à sa fille. Elle y a sûrement trouvé des mots, et… Et des présages, une providences même, et des codes !  

Michel eut pensé beaucoup en ce jour. Bien qu’il fut incapable de beaucoup en réalité, il s’investit pleinement dans cette histoire de grossesse en jouant l’amant dont Magdalène dut rêver.  

Après qu’il eût pris l’adresse de Madame D., il y fit le piquet jusqu’à ce que Magdalène eût daigné de se montrer. Il se cacha et commençait à faire quelques pas autour de la propriété. Aucun signe de vie (si ce n’est que le vasistas d’une pièce au premier était ouvert).  

Deux heures plus tard, Magdalène sortit avec les sacs-poubelles. Elle laissa tomber, d’un bruit sourd et plein, les déchets ménagers, et s’en retourna. Elle appela le voisin par le téléphone lorsque Michel s’avança dans la propriété ; il n’entendit pas un mot mais une plainte. Il voulait juste parler à Magdalène, pourquoi elle avait menti. Elle s’énerva et il la frappa d’un revers de manche pour qu’elle reprenne ses esprits. Elle dit qu’il lui avait foutu le gosse dans son ventre, qu’il l’avait forcée, et que dans sa famille, comme il devrait le constater, l’avortement est contre nature. Michel ne comprit rien.  

La caserne de gendarmerie, à deux cent mètres, eut vite d’être alertée, et une voiture se gara cinq minutes plus tard sur le trottoir d’en face. Michel ne comprit toujours rien de ce qu’il se passait.  

Les gendarmes eussent tout aussi vite qu’ils sont arrivés de constater les faits.  

Michel est innocent. Michel est innocent.