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Production Riri3 et Neveu Associé (PRNA) présente
Théâtreuses

Je connaissais le quartier. C’était celui de mon enfance. C’était aussi le théâtre de débauche et des frasques de Mathilde, ma fille. Mais en ce samedi matin de novembre, le brouillard qui recouvrait les pentes de la Croix-Rousse me rappelait surtout la sentence de Burma dans 120, rue de la Gare, « Putain de brouillard ! Putain de ville ! » Et pourtant c’était bien vers les vestiges de ma jeunesse que mes pas m’entraînaient…  

 

Mauser m’attendait devant l’immeuble. Comme tous ceux de la rue des Tables Claudiennes, il avait abrité les ateliers des Canuts mais la traboule que nous empruntions n’avait plus l’effluve de leur révolte matée par Adolphe Thiers, seulement l’odeur de la pisse. La présence de digicodes témoignait que la résignation l’avait emporté. L’appart’ n’était rien d’autre qu’un cloaque. Les restes d’une soirée arrosée et trop enfumée jonchaient le sol du salon. Dans la piaule, Vallat et Brigneau s’attelaient aux constatations d’usage. Moi, je n’avais besoin que de ma mémoire pour mettre un nom sur la victime.  

 

Je ne l’avais pas vu depuis l’anniversaire de Mathilde. Sur un matelas jeté à même le plancher, Emily était moitié assise, moitié couchée sur le flanc, l’épaule droite appuyée contre le mur, sous une affiche de Janis Joplin. Trônant sur la table de chevet, la seringue et le meug semblaient indiquer qu’elle avait subi la même issue fatale que la chanteuse de Summertime. Seulement, le couteau enfoncé dans sa cage thoracique révélait une tout autre fin.  

 

Vallat me remit une photographie. Le cliché était en noir et blanc. Nue et à genoux, Emily posait complaisamment devant un réfrigérateur ouvert dont la lumière mettait en valeur son corps. Ce n’est pourtant pas la vision de cette beauté adolescente qui me troubla mais le message qui se trouvait au verso de la photographie :  

 

«A ma jouvencelle préférée,  

En souvenir de cette nuit d’été,  

Bien tendrement,  

Laurent Decroix »  

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D’habitude, je laissais mon ex-femme aller seule à la première. Le théâtre m’avait toujours emmerdé. Mais déroger à mes principes semblait de circonstance.  

 

Après avoir tourné pendant un quart d’heure dans les dédales des pentes de la Croix-Rousse, je réussi enfin à garer ma Vel Satis rue René Leynaud. La jeunesse insouciante commençait déjà à y déambuler en ce samedi soir sans un coup d’oeil au n°6, celui qui abrita jadis l’appartement de ce journaliste du Progrès hébergeant Albert Camus lors de la Seconde Guerre Mondiale.  

 

En arrivant dans la cour du théâtre de l’Anagramme, je l’avais remarqué immédiatement. Laurent Decroix serrait des paluches et tapait des bises à tout va. A croire que la campagne électorale et les mondanités ne s’achevaient jamais. Même quand il venait applaudir sa fille Charlotte, c’était lui la vedette. Une certaine mélancolie m’envahie à la vue de cette scène. Il était loin le temps de nos discussions jusqu’à l’aube à La Plume Noire, de notre amitié forgée lorsque nous étions tous deux dans la mouvance anarchiste. Chacun à notre manière, nous avions dérivé de l’autre côté de la barricade. Par la conquête d’un siège de député au printemps, Decroix était devenu logiquement l’espoir de la droite lyonnaise. Quand à moi, j’étais devenu contre mon gré un simple chien de garde de l’ordre établi.  

 

Il faisait de plus en plus chaud dans la petite salle bondée. Ironiquement, cette atmosphère convenait parfaitement à la pièce qui se jouait. Même nos sueurs étaient dans le ton. Pour tromper mon ennui, je contemplais Charlotte qui tentait du mieux qu’elle pouvait de camper le rôle de madame Luckerniddle. Pas si facile de jouer une veuve quand on a à peine vingt ans. Avec verve, Mathilde brillait en Jeanne Dark et sa colère face à Mauler me rappelait la mienne à son encontre lorsqu’elle rentrait défoncée tard la nuit. Pourtant, la morale de Sainte Jeanne des abattoirs de Brecht me renvoyait davantage aux illusions de ma jeunesse : la grève générale échouait toujours et les puissants triomphaient invariablement.  

 

Alors que je me perdais dans ces divagations, un coup de feu retenti. Lorsque je repris mes esprits, Charlotte était affalée au sol, une tâche rouge dans le dos. L’angle du tir ne pouvait provenir que des coulisses.  

 

Au milieu de la cohue, mon regard croisa celui horrifié de Laurent Decroix. C’est à cet instant précis que je compris qu’il faudrait renouer avec mon passé…

Scénario : (3 commentaires)
une série Z thriller de Joan Chusid

Chris Dias

Cristina Raven
Sorti le 06 janvier 2012 (Semaine 366)
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