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Prod'Artaud présente
ENATO

Avertissement : Ce projet est relativement long, j'en conviens. Ne lire qu'un extrait permet quand même une appréciation. Ce qui compte, c'est le lecteur. Merci.  

 

Note du producteur : ENATO signifie en latin "je me sauve à la nage". C'est aussi l'anagramme de l'adjectif "atone".  

 

Sujet : Un lycéen de vingt ans combat son malaise psychologique. Il se trouve être en phase terminale aussi bien dans une scolarité précaire que dans ses tourments. C’est un forcené de l’esprit qui encourage maladivement cette force immaculée.  

 

 

PROJET :  

 

Christophe concourt pour sa note au bac mais rien n’y fera. Il nage, essoufflé, sur le dos, sur le ventre, maladroitement, très lourd, le ventre toujours creux, les paumettes saillantes comme la panne d’un marteau. Un professeur d'EPS regarde attentivement tout en encourageant les élèves, avec toutefois une remarque spécial pour Christophe.  

 

Professeur – Christophe ! Arrête de marcher sur l’eau ! Allez avance ! Merde…  

 

Le professeur se tourne vers d’autres élèves pour leur donner leur temps de référence. Tandis qu’elle cherche ses notes, il reste un allée-retour à Christophe… Jusqu’à ce qu’une élève avertisse le groupe de l’immobilité apparente du retardataire.  

 

Le professeur – dix minutes dix-huit… Viviane, neuf quarante-cinq… Lise, huit dix-neuf… Max, sept trente-cinq… Tu me fais la même la prochaine fois… Morgane… heu… merde… T’as pas fait toutes tes nages ? Combien ? Huit zéro huit… Clarence, à toi… (et se retournant) Putain qu’est-ce qui fout lui-là ! Christophe, bordel ! Joue pas au con, t’as pas d’branchies ! Clarence, neuf cinquante-trois…  

 

Julie saute. Nage parfaite. Et ramène Christophe sous le regard du groupe à la fois éberlué et affolé d’un brouhaha crescendo, résonnant, sous le regard aussi du professeur, furieux et coupable. Lorsque Julie touche au bord de piscine, Christophe dans les bras, toujours sur le dos, le professeur va à sa rencontre pour l’aider à soulever l’inerte. Le groupe s’amasse autour du corps déposé au sol ; le professeur s’affaire – premiers secours – gifle le visage de Christophe après les usages de coutume. A la première, Christophe émerge de son coma flottant comme étant à la surface de la peau blême.  

 

Professeur – Nico arrête de papoter, appelle le maître-nageur, s’il te plaît.  

 

Elève – Allez vas-y Nico !  

 

Christophe se relève fébrilement, fais quelques pas en direction des vestiaires et chute de tout son poids, comme un squelette. Il se relève avec son visage de boxeur poids plume, avec son K.O. intérieur, avec son équilibre précaire. Généralement, on le sent à bout de nerf. Il s’assoit. Le professeur, inquiet, s’accroupit devant lui.  

 

Professeur – Qu’est-ce qui t’as pris ? Enfin, je veux dire, tu fais ça souvent ? Tu as mangé quelque chose ce matin ? Viviane, ramène du sucre, s’il te plaît.  

 

Christophe – J’ai vu l’eau… Rouge… Et vous, je le sais… Vous êtes un Homme-Cochon… Ça me brûle – pareil…  

 

Le sucre arrive et s’installe, déjà effrité, dans la bouche de Christophe. Il garde son petit regard livide. Et de temps en temps, il contracte ses muscles pour se resaisir.  

 

Professeur – Tu manges assez ? Tu fais une crise d’hypo, ça va passer. Tu vas venir avec moi jusqu’au local. D’abord, reprends ton souffle, non, non, reste assis. Les autres, au vestiaire.  

 

Julie s’attarde.  

 

Professeur – Aide-moi, Julie… Ça va, tu tiens debout ? Hop-là !... Allez, assis toi là… (à Julie) Tu peux aller me chercher deux autres sucres… Ça va te donner un peu de force… (au maître-nageur) Non, non, c’est rien… Il a pas mangé ce matin…  

 

Maître-nageur – Ah ça ! Faut manger le matin, bien manger… C’est de l’hypo, ça, c’est de l’hypo…  

 

Christophe – C’est ça, hypo–, sous-terre, sous-mer, sous-liquide, sous-solide, moi à l’état gazeux… Sublime…  

 

Christophe éructe.  

 

Maître-nageur – Il délire là ?  

 

Julie – Non, j’crois pas, je suis souvent avec lui, il est un peu comme ça… Un peu comme ça tout le temps… (à Christophe, à genoux) Ça va ?  

 

Christophe sort de l'infirmerie de la piscine. Julie, le professeur et lui vont en voiture. Ils s'arrêtent lui acheter un soda.  

 

Professeur – Je vais te dispenser de la note ce trimestre… Je vais voir ce que je peux faire… Je vais en parler au médecin scolaire… Parce que vu comment tu es parti pour le bac… Je ne dispenserai pas du cours… On fait comme ça ? Tu vas bien voir le médecin scolaire ?... Depuis quand ?  

 

Julie revient à la voiture, présente le soda, la différence en monnaie au professeur et répond à la question. La route se poursuit. Christophe boit par petites gorgées.  

 

Julie – Au moment même où il a rejoint la classe. Le jour même à vrai dire. C’était en Octobre.  

 

Christophe – Rouge, très rouge… Comme une belle plaie…  

 

Julie – Ne faîtes pas attention à lui, il était SECPA en primaire. Enfin, c’est ce qu’il m’a confié. Il n’est pas très causant, vous savez.  

 

Professeur – J’ai vu ça.  

 

Christophe – Laconique.  

 

Professeur – SECPA ? C’est les enfants déficients mentaux ?  

 

Christophe s’étouffe avec le soda ; il se trouve sous le joug d’un fou rire, un rire de déficient mental.  

 

Sur le parking, Christophe et Julie quitte la voiture du professeur sous certaines recommandations.  

Le professeur part. Julie la remercie d’un sourire doux, le même que celui de la compassion, puis elle dirige Christophe vers l’infirmerie.  

 

Christophe – Alors je suis un SECPA ?  

 

Julie – Pas mal, hein ? Ça te convient ? Comme un couperet, dis donc… Paf !... C’est comme ça ; qu’est-ce que tu veux que je dise ?  

 

Christophe – Non, non, c’est très bien. Je vais me présenter comme cela à l’avenir. Ça coupe le souffle.  

 

Julie – Comme un couperet.  

 

Christophe – Rouge, un couperet rouge sang, et une larme de Cabernet. Beau tableau... Et comme ça, pris entre l’étonnement et la stupeur, je peux lire dans leurs yeux. Ils laisseront transparaître leurs pensées, sans interférences, sans détournement, ni rien, ni quoi que ce soit, juste des états, pas des sentiments, des états, des états-bloc… Comme une main qui écrit peut être un poing dévolu, jeté sur le papier…  

 

Julie – Les Hommes-Cochons, c’est ça ?  

 

Christophe – Ça pose des questions… Une calamité ! Tout le temps.  

 

Julie – On en parlera. Ça m’intéresse cette histoire…  

 

Christophe – Intéressée ou intriguée ?  

 

Julie – Comme tu veux… Excuse-moi j’avais cours à la demie, j’ai pas mangé en plus.  

 

Elle tourne le dos.  

 

Christophe – Moi non plus.  

 

Christophe se dirige vers deux infirmières attelées à un bureau qui fait angle et qui donne sur fenêtre. C’est ici que les élèves confie leur souci qu’il soient hypocondriaque, qu'ils aient des problèmes familiaux, sexuels ou psychologiques.  

 

Mme Gavin – Alors qu’est-ce qui t’amène ? Mme… Qui est ta prof de sport ? Les cheveux, là… Zut, je l’ai sur le bout de la langue… J’l’ai eue au téléphone y’a pas deux minutes…  

 

Jocelyne – Je t’en prie, assis-toi…  

 

Christophe – Non, je reste debout pour l’instant… Et arrêtez de prier…  

 

Jocelyne – C’est pas Françoise, des fois ?  

 

Mme Gavin – Non, non, elle a les cheveux poivre et sel.  

 

Jocelyne – Alors c’est Mme… Mme Fra… Mme Fra…  

 

Mme Gavin – Mme Frasier, voilà ! A deux, on y arrive. Avec tous ces profs, je m’y perds moi…  

 

Christophe – Vivement qu’il supprime des postes…  

 

Mme Gavin – Mme Frasier, cheveux châtain clair, c’est ça, nous a prévenu de ton arrivée. Bon, tu… Tu veux manger quelque chose ? (à l’autre infirmière) Tu peux aller chercher un ou deux sucres ? Tu avais cours à la piscine, c’est ça ? Raconte-moi un peu ce qui…  

 

Jocelyne (voix off) – Ils sont où ?  

 

Mme Gavin – Je les ai changé de place ; je les ai mis au-dessus de l’évier… Enfin d’après toi… ?  

 

Christophe – Je ne comprends pas.  

 

Mme Gavin – Tu as des soucis chez toi ?  

 

Christophe – Je ne comprends toujours pas.  

 

Mme Gavin – Jocelyne ! Tu peux ramener le dossier du Dr. Dalaunay sur le jeune homme ?  

 

Christophe – Dossier… Dossier par ci… Dossier sur le jeune homme… Moi-même étant assis contre un dossier…  

 

Mme Gavin – Il ne manque pas d’humour à ce que je vois.  

 

Christophe – Reformulez. Ce qui m’arrive, c’est la manière qu’a décidé mon corps de la transcription, face à deux ans de fébrilations intellectuelles.  

 

Mme Gavin (perplexe, lisant le dossier) – Merci Jocelyne. C’est étrange…  

 

Jocelyne – Tu as toujours des idées aussi morbides ?  

 

Christophe – Je ne comprends pas. Vous vous appelez…  

 

Jocelyne – Jocelyne. Je suis l’assistante de…  

 

Mme Gavin – Mme Gavin. On peut se tutoyer Christophe, non ?  

 

Christophe – Vous avez toutes les deux perdues. En ce qui concerne le tutoiement, évitez de me regarder.  

 

Mme Gavin – Alors Christophe Durata… Dans ton dossier, il est inscrit que… Bronchite… Bronchite… Toux grasse…  

 

Christophe – Oui, c’est le rire du divin compagnon… Il y a l’auguste et le clown blanc. Moi, je suis un clown blanc. J’ai soif.  

 

Mme Gavin – Attends, Jocelyne va te servir. Tu n’as pas l’air bien, tu trembles.  

 

Christophe – C’est philosophique. Si vous déteniez une vérité, même si elle n’était semblable qu’à vous-même, ça vous foutrait la frousse.  

 

Mme Gavin – Philosophique, tu dis ? Tu aimes la philosophie ?  

 

Christophe – Cela dépend de ce que vous entendez par philosophie et non pas par son inverse. Merci, Jo-ce-ly-ne.  

 

Mme Gavin – Ah.  

 

Christophe – Il faut du papier.  

 

Jocelyne – Sers-toi, il y en a sur… le bureau.  

 

Mme Gavin – Tu écris ?  

 

Christophe – Si vous voulez dire qu’il y a quelque chose de mémorable en cette journée radieuse pour mon âme, c’est avec joie et sincérité que j’affirme que, oui, j’écris, effectivement.  

 

Jocelyne – Tu fais ça souvent ?  

 

Christophe – Autant qu’il existe de crises d’hypoglycémie, de fébrilation de cette âme prisonnière… Vous savez quand on pense comme je pense…  

 

Mme Gavin – Penser comme quoi ?  

 

Christophe – Comme moi, c’est-à-dire sans son corps sans son sexe sous son cellophane, ce corps qui est un plomb carabiné – parce que j’ai beau nager, hein, j’ai beau me noyer, hein, je veux bien faire de la gymnastique, moi, pour découvrir l’intelligence du corps, en forçant la dextérité, la souplesse, vrilles, périlleux et autres carpés, mais jamais, je dis bien jamais, mes galipettes n’équivaudront l’abîme des volutes dont souffre et s’élève cet esprit… Dont je fais état… Ici…  

 

Jocelyne (à l’infirmière) – Je peux te parler dans le…  

 

L’infirmière et son assistante vont dans le couloir, d’où Christophe, finissant d’écrire dans un carnet, n’entend qu’abscondité. Curieux, il hésite à écouter derrière la porte, puis ouvre cette porte.  

 

Christophe – Bon, mesdames, il est l’heure que j’aille en cours et j’y tiens.  

 

Mme Gavin – Non, mais tu t’es vu ? Tu tiens à peine debout ; vaudrait mieux que je te prépare un lit.  

 

Dans le dortoir, Christophe décide que le lit ne sera pas fait. Il impose sa main en travers du lit puis tire sur le drap. Tiffany entre dans la pièce, visiblement dans un état de faiblesse. Christophe quitte la pièce pour aller dans le couloir où il est surveillé. Pendant ce temps, Tiffany justifie sa présence à l'infirmerie...  

 

Tiffany – Je crois que j’ai une intoxication alimentaire.  

 

Mme Gavin – Viens, on va parler à la pharmacie que j’ai au moins l’autre loustic à l’œil.  

 

Les paroles de Mme Gavin et de Tiffany s’éloignent. Christophe n’entend que jérémiades – pleurs et plaintes. Dès qu’il se trouve dans le bureau, il n’a qu’une seule idée, c’est de regarder l’heure, l’heure d’aller en cours. Il prend ses clics et ses clacs, manteaux, papier, stylo, coca, et surtout sa gueule de prostré. Christophe est obligé de passer devant la pharmacie mais il le fait le plus naturellement du monde.  

 

Mme Gavin – Putain, qu’est-ce qui fait celui-là encore ?! Tu restes là Tiffany.  

 

Christophe traverse le couloir comme un kamikaze sans se retourner, puis prend l’escalier, en montant. Il y rencontre Jocelyne. Il fait demi-tour sans plus de mots.  

 

Jocelyne – Comment ça ? Elle t’a laissée partir ?…  

 

Mme Gavin – Jocelyne, ramène-le au bureau immédiatement.  

 

Jocelyne s’exécute sur les traces de Christophe. Elle l’entend entrant dans sa classe avec en fond une voix de professeur érudit, son cours et ses remontrances disciplinaires. Christophe sort de la classe, elle le voit, regarde Jocelyne, et repart à pas précipités. Le professeur à la porte, brouhaha d’élèves :  

 

Professeur – Revenez avec un billet d’absence la prochaine fois que vous décidez d’aller en cours par hasard !  

 

Dans l’escalier, on entend la descente à toute trombe de Jocelyne, on voit aussi Christophe qui mire l’abîme central de ces séries d’escaliers. Il se retire puis enfonce la porte de sortie. Il fait quelques pas avant de se faire stopper par la milice scolaire, une CPE, Mme Maximovitch-Grotchvorski, et deux surveillant sans personnalité distincte.  

 

Christophe – Bonjour Mme Maximovitch-Grotchvorski.  

 

Mme Maximovitch-Grotchvorski – Bonjour Christophe. Attends une minute.  

Christophe – Je sais, je sais, j’ai pas ma carte de séjour, veuillez excuser, je suis assez pressé, je dois aller en cours dans l’autre bâtiment.  

 

Mme Maximovitch-Grotchvorski – Déjà d’une, tu n’as pas cours dans l’autre bâtiment, et de deux, je te demande de m’accompagner. J’aimerais que tu ne m’obliges pas à aller plus loin. J’ai eu Mme Gavin à l’instant au téléphone.  

 

Christophe (dans un demi-tour, sans rythme cassé et passant sous le nez de la CPE) – Voyez-vous, je préfère largement l’ordre aux questions, et l’autorité à une intimité violée. L’ordre mêlé à la courtoisie, j’accepte, et de surcroît, j’obéis. Il n’empêche que tout cela me paraît malsain.  

 

Mme Maximovitch-Grotchvorski – Dis, dis, dis, tu vas te calmer, parce que moi je peux te calmer. Alors maintenant tu vas me suivre.  

 

Christophe (aux surveillants, puis partant sur le même chemin) – On est d’accord. Pas de consensus, pas de compromission. Je vous prie d’agréer, Madame, à la ligne, mes sentiments les plus distingués.  

 

Mme Maximovitch-Grotchvorski – Tu n’iras pas en cours dans cet état. Et je ne sais pas ce que tu racontes. Et je ne veux pas savoir.  

 

Jocelyne – Ah vous voilà !  

 

Mme Maximovitch-Grotchvorski (à Jocelyne) – Ah non ! C’était Mme Gavin qui devait se charger de lui. A moi, il m’a piqué les affaires qu’je devais lui…  

 

Christophe – Ah ces blancs, ce sont eux les vrais bicots, les vrais délinquants, tous des voyous les blancs.  

 

Mme Maximovitch-Grotchvorski – On se calme là. Pas de ça ici. Nous sommes dans une enceinte scolaire…  

 

Christophe – ... Laïque.  

 

Mme Maximovitch-Grotchvorski – On va à l’infirmerie ou chez le proviseur, c’est toi qui choisis !  

 

Christophe – Non, non, non, chacun son rôle, c’est très bien comme ça.  

 

Mme Maximovitch-Grotchvorski (à Christophe) – N’empêche qu’on réglera ça tous les deux plus tard.  

 

Alors qu’il marche de nouveau bien sagement en direction de l’infirmerie, Christophe décide de prendre ses jambes à son cou. Les deux surveillants, sans ordre, le rattrapent, le maintiennent au même titre qu’une camisole. Christophe se raidit et contient dans sa gorge énervée un cri abscon.  

 

Mme Gavin est au téléphone avec le père de Christophe. Dans un parler cordial, elle lui explique la situation. Ils sont à présent six dans le bureau. Debout, Christophe encaisse, se tait et ne bouge plus, tête baissée. Mme Maximovitch-Grotchvorski et ses deux tire aux flancs se placent en retrait, discute d’autre problème  

 

Mme Gavin – Comprenez-moi bien. Nous ne pouvons nous permettre de le garder ici, même en salle de repos… Non, il ne désire pas se reposer… Bon, écoutez, s’il n’y a pas de problème pour que vous puissiez quitter votre poste… Non, non, hélas, il n’a pas l’air très en forme… On va procéder comme ça… D’accord… D’accord… D’ici vingt minutes… Entendu… Au revoir Monsieur… Oui ? A tout à l’heure Monsieur Durata.  

Bon, Christophe, je viens d’avoir ton père afin qu’il vienne te chercher…  

(à nouveau au téléphone) Oui, allo bonjour, Mme Gavin à l’appareil, je suis bien au cabinet du Dr. Petit… Ah d’accord ?... D’accord, je vois ça tout de suite, merci beaucoup madame… Au revoir Madame.  

(troisième coup de téléphone) Oui, allo bonjour Madame, ici Mme Gavin, infirmière interne du lycée Flaubert, nous avons ici un élève qui a reçu une sorte de traumatisme ce matin… Il aurait… Non, non, pensez-vous… Enfin, je vais vous dire ce qu’il m’a dit, parce que moi, je n’étais pas vu ce qui s’est passé, il fait une distinction entre son corps et son esprit… (on entend un rire gloussé de Christophe) Comment ? Non, il n’a pas mangé… J’ai appelé à l’instant son père, il va prendre le relais… Alors ? Quelle heure ?...  

 

Tiffany, oubliée de tous, s’avance jusqu’au bureau de l’infirmière.  

 

Tiffany (à la CPE) – Excusez-moi…  

 

Maximovitch-Grotchvorski – Bonjour Tiffany. Qu’est-ce qu’il t’arrive encore ?  

 

Mme Gavin se déplace pour parler en privé.  

 

Mme Gavin – Ah oui Tiffany ! Avec tout ce rafut, j’ai complètement oublié. Qu’est-ce qu’il te faut ?  

 

Tiffany – Non mais c’est pas grave, j’vais aller directement à la pharmacie du coin. Peut-être qu’ils m’écouteront eux…  

 

Mme Gavin – Ne commence pas, je fais ce que je peux, avec les moyens du bord…  

 

Après quelques instants, Mme Maximovitch-Grotchvorski se retire, les deux surveillants restent.  

 

Mme Maximovitch-Grotchvorski – Jocelyne, il faut vraiment que j’y aille. Surveillez l’énergumène, ok ? Je reviens dans dix minutes.  

 

Jocelyne – Pas de problème Mme Maximomitch-Gravetski, vous pouvez comptez sur moi…  

 

Christophe se déplace à son tour, regarde l’heure et l’endroit où il est, comme s’il voulait enregistrer ce moment mémorable. Lorsqu’il sort de la pièce, Jocelyne se lève, inflexible.  

 

Jocelyne – Qu’est-ce que tu fais ? Reviens un peu par là. Je vais mettre la musique. Peut-être que ça va te calmer.  

 

Christophe – Vous aussi, vous en faîtes partie ?  

 

Jocelyne – Hein ?  

 

Christophe (exaspéré par ce qu’il entend, par la musique aussi) – Des Hommes-Cochons… Bon, c’est pas grave, je cherchais les toilettes.  

 

Jocelyne – Non, non, non, tu restes ici jusqu’à ce que ton père arrive.  

 

Mme Gavin revient.  

 

Mme Gavin (à Jocelyne) – Tu sais quoi ? Mademoiselle Tiffany est enceinte… Tu le répètes pas Christophe ?… Elle n’est pas encore au courant… Qu’est-ce que tu ferais ? Je vais aller discuter avec elle quand elle se sera reposée…  

 

Les deux surveillants s’en vont.  

 

Jocelyne – Tu sais ce qu’il m’a dit ? Si je faisais partie des Hommes-Cochons…  

 

Mme Gavin – Il y en a qui ne manque pas d’imagination. C’est quoi des Hommes-Cochons, Christophe ?  

 

Christophe – Ils commencent par poser en moi des questions qui martèlent mon âme, encercle mon intimité, et d’une stratégie complexe, ils viennent à perforer pernicieusement en mon sein, et j’en arrive à cette conclusion, cette lutte qui consiste à ne pas les autoriser dans mon for. Ils en sont déjà à apprivoiser mon cœur, mais tout cela vous devriez le savoir, il me semble.  

 

Tout en réglant les problèmes internes au lycée à l’aide de fiches et de feuilles de toutes dimensions, Mme Maximovitch-Grotchvorski et ses acolytes entrent accompagnés du père de Christophe, anxieux et irascible, lequel est vêtu de son bleu de travail et de ses chaussures de sécurité.  

 

Mme Maximovitch-Grotchvorski – Voilà, nous y sommes… Mme Gavin, M. Durata…  

 

Mme Gavin – Bonjour Monsieur Durata. On vous attendait de pied ferme. C’est qu’il nous a donné du fil à retordre le jeune homme.  

 

M. Durata – Trêve de flatterie. Qu’est-ce qu’il se passe enfin ? Bonjour Christophe… Tu aurais pu téléphoné à ta mère… Comme elle travaille dans les bureaux…  

 

Mme Gavin – Il a reçu un petit choc au cours de natation de 9 h, 9h c’est ça ?  

 

Jocelyne – Oui, c’est ça 9h, et il est arrivé à 10h30…  

 

M. Durata – Parce que j’avais une livraison à faire, moi, et le chef… Enfin, vous savez ce que c’est ? Peut-être pas, non. Bon, on déguerpit. C’est tout ?  

 

Mme Gavin – C’est-à-dire qu’il dit des choses incohérentes…  

 

M. Durata – Incohérentes ? Quelles genres ? Tout ça, ça m’intéresse pas, c’est sa vie après tout.  

 

Mme Gavin – C’est-à-dire qu’on a jugé bon avec Jocelyne de prendre contact avec un de mes confrères de la profession.  

 

M. Durata – Confrères ? Et de quelle profession ?  

 

Mme Gavin – J’ai recommandé à Christophe de parler à un psychiatre…  

 

M. Durata – Bon et quoi d’autres ? J’ai du boulot… Christophe ?  

 

Christophe – Psychiatre.  

 

Mme Gavin – Je dois juste vous donnez l’adresse. Je vais l’écr… Jocelyne, tu as un bout de papier ?  

 

Jocelyne – Euh…  

 

Mme Gavin – Voilà, voilà, alors c’est au C.H.S. de Sotteville, Pavillon des Aubépines, flèches jaunes, vous savez où cela se trouve ? Je vous conseille d’aller l’accompagner là-bas… Je crois que c’est nécessaire… C’est-à-dire qu’il nous inquiète… Que son bien-être nous inquiète…  

 

Tiffany entre déboussolée. Ils sont maintenant huit dans la salle.  

 

Tiffany – Où sont les toilettes, s’il vous plaît ?  

 

Mme Gavin – Je ne sais pas… J’ai du travail…  

 

Jocelyne – Là-bas, tu sors, au milieu du couloir…  

 

Tiffany sort. Julie entre.  

 

Julie – Ça ne va pas avec Tiffany ?  

 

Pas de réponse...  

Julie remet des clés à Christophe.  

 

Christophe (à Julie) – Je vais enfin savoir comment ils travaillent, comment ils me reniflent de long en large, comment ils font bordel, merci de me donner les clés dont j’avais besoin. Schönen Danke.  

 

Julie – J’ai compris.  

 

Julie s’en va. Mme Maximovitch-Grotchvorski et les deux surveillants aussi. La salle se libérant, Christophe est enfin aspiré par le siphon de la porte. Dans le couloir, on entend la chasse d’eau. Tiffany se dirige vers le lavabo avec un air mortifié, se tient le ventre, tire ses vêtements, manipule sa peau. Elle entend du bruit venant du couloir, se rhabille puis sort.  

Tiffany voit Christophe, accompagné de son père au premier abord. Juste avant qu’eux ne se croisent, Christophe se met à genoux, prend Tiffany par la taille, enfonce sa tête dans son ventre, le lui mord. Tiffany lui échappe et elle est happée par Mme Gavin qui vient d’arriver sur le seuil de l’infirmerie. Christophe rejoint son père.  

 

M. Durata et Christophe entre dans la voiture.  

 

M. Durata – Il faut que je retourne au boulot, donc tu viens avec moi. Pas d’objection ? Tu n’as jamais vu où je travaille ? C’était qui la fille à l’infirmerie, la blonde, là ? N’empêche que j’aurais préféré que tu appelles ta mère ?  

 

Christophe – Puisque je te dis que je n’ai rien décidé !  

 

La route continue, la zone industrielle défile. Et Christophe fait l’objet d’une réminiscence.  

 

FLASHBACK :  

Un sac poubelle, pour toute valise, est jeté au seuil de l’entrée. Peu après, une femme regarde ce qu’il y a l’intérieur. Cette femme a les nerfs à bloc, pleure dans l’urgence et rejette le sac, éparpillant les affaires qui s’y trouvaient. Un petit garçon, de l’envergure de ses six ans, la regarde sans saisissement, puis il se dirige dans un couloir.  

 

Garçon – Papa ! Y’a maman qui prend la maison pour une poubelle !  

 

M. Durata, plus jeune d’une dizaine d’année, entasse avec poigne une autre multitude d’affaires. Sans réponse. Le garçon fait demi-tour jusqu’à l’autre extrémité du couloir, d’où il voit Christophe qui patiente devant la cuisine. Le garçon se présente à lui. Christophe, lui, hésite à le faire passer, puis se retire nerveusement sous la pression du garçon, lequel se dirige droit vers la fenêtre, et de cette fenêtre, il voit M. Durata le regarder. Ab irato, le père court derrière la voiture qui démarre à toute trombe, il a juste le temps d’envoyer un coup de pied dans le pare-choc. Christophe prend l’enfant dans ses bras.  

 

FIN DU FLASHBACK  

 

Christophe – Il faut que je te dise que tu es le père des… Hommes-Cochons.  

 

M. Durata a le même regard que lorsque Christophe avait six ans.  

 

M. Durata, étant pressé, donne les consignes.  

 

M. Durata – Les clés sont à l’intérieur du tiroir bleu, à l’extérieur. Je m’en vais une demie-heure pour régler certains trucs. Tu restes tranquille et je m’occuperais de toi à mon retour, OK ?  

 

Christophe se trouve dans un magasin d’approvisionnement en matière première plastique. Il entre dans le bureau, prend une chaise, fouille dans les papiers, cherche des informations qui ne ferait que confirmer sa vision des Hommes-Cochons.  

 

M. Durata – Christophe ! Descends d’ici ! Ça fait trois fois que je t’appelle. Encore heureux qu’il n’y a personne d’autres aujourd’hui, tu m’aurais créé des…  

 

Christophe – Tais-toi ! Tu es l’un des leurs.  

 

Christophe empoigne à deux reprises son couteau…  

 

Christophe a imaginé tout ceci. Son esprit angoissé l’emmène dorénavant n’importe où il peut fuir. Il n’a pas bougé de sa chaise. Il semble étriqué, il ne veut pas toucher les éléments qui l’environnent, il se balance pour se rassurer comme son esprit qui entre A et B hésite plus d’une myriade de fois. Il se lève et sort du bureau.  

 

Christophe sort du magasin et se replie dans un espace où sont entreposés de vieux camions militaires. Au milieu de cette casse improvisée, il s’accroupit. Il a un couteau dans le dos qui ferait un parfait rempart envers quiconque s’approcherait.  

 

Ce qui suit est un long dialogue avec le psychiatre, Dr. Petit et qui va durer plusieurs décennies...  

Scénario : (3 commentaires)
une série Z dramatique (Psychologique) de Alexandra De La Boulaye

Alex Wryn
Sorti le 18 décembre 2010 (Semaine 311)
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