1582. Un jet en forme de V brise la surface de la mer. Le souffle d’une baleine. La vigie sonne la cloche de la tour de garde, sur le sommet du mont Ulia. Le port de San Sebastian est en ébullition, les pêcheurs jettent leurs chaloupes et se lancent à la poursuite de l’animal. Willem est à bord, harpon à la main. Originaire des provinces hollandaises, il écume les côtes du golfe de Gascogne avec d’autres pêcheurs. Derrière cette façade, il joue les agents de liaison pour le compte des Provinces-Unies.  

Pendant que les esprits sont occupés par la baleine, Alonso infiltre les dépendances du palais administratif, jusqu’au bâtiment postal. Le Royaume de Navarre est le principal centre d’échanges entre la péninsule avec les provinces hollandaises. Les messages officiels échangés d’un pays à l’autre passent la plupart du temps par le palais, avant d’être envoyés à destination. En marge de la couronne de Castille, les gouverneurs locaux ont l’habitude de laisser traîner leurs yeux sur tout ce qui passe par leur royaume. Alonso met la main sur des instructions royales adressées au gouverneur des Pays-Bas. Quand il sort des bâtiments, il attire l’attention d’une figure en vêtements de voyage, et se fait suivre à travers la ville.  

Au large de la baie, les chaloupes encerclent la baleine. Les hommes lancent leurs harpons, les uns après les autres. Chaque coup transperce la peau de la baleine. Elle s’affaiblit. Accepte son destin. Une fois le coup de grâce donné, la carcasse est remorquée sur le rivage et dépecée à même la plage. Willem est quant à lui déjà passé à sa prochaine mission: récupérer les documents auprès d’Alonso.  

Dans la salle des postes, un assistant s'aperçoit de l’ouverture du coffre réservé aux documents officiels les plus importants. Aucune ouverture n’a été demandée, encore moins autorisée. Et plusieurs documents sont manquants.  

Les deux hommes se retrouvent dans une taverne à l’écart du port. Un point de rencontre stratégique qui leur offre deux points de fuite: la mer, et les collines à l’ouest de la ville. Alonso donne les documents à Willem, sous le regard du voyageur anonyme. Au moment de se quitter, celui-ci intervient et alerte la garde. Dans la confusion, Willem blesse le voyageur et parvient à s’échapper. Pas Alonso.  

La nouvelle du vol remonte très vite dans la hiérarchie du palais à cause de l’importance des documents. S’ils remontent jusqu’à Amsterdam, ils risquent d’exacerber les tensions avec les Provinces-Unies au-delà du point de non retour. Le Gouverneur charge la capitaine Vicenta Tavernero de récupérer les documents - une femme impitoyable qui aurait pu être inquisiteur si elle avait été un homme, ou si elle avait eu une foi fanatique. Son premier acte est de torturer Alonso, qui cède sans difficulté avant d’être jeté au cachot. Tavernero ferme le port jusqu’à nouvel ordre, et envoie des troupes dans les villes voisines pour y faire la même chose et essayer de retrouver Willem.  

Willem est déjà sur la route, coupant à travers les chemins de traverse pour éviter au maximum de croiser quelqu’un. Il sait que la garde est alertée et que ses poursuivants ne sont sans doute pas loin. Il rejoint la ville portuaire de Zarautz, à une dizaine de kilomètres à l’ouest. De là, il choisit de passer pour un pécheur désœuvré, plutôt que de débourser son or et d’éveiller les suspicions. Il offre sa force de travail pour s’offrir la traversée et embarque sur le premier navire vers le nord.  

Au port de San Sebastian, Tavernero hérite de quelques volontaires de la garde du gouverneur, les plus cruels et sans pitié, des hommes motivés par le seul appât du sang. Elle complète son équipe en recrutant des mercenaires basques, aux motivations tout aussi triviales: l'argent. Le temps presse, la fouille du port et de la ville n’a rien donné, sinon le mécontentement de la population. Elle n’a pas le temps d’attendre le retour des troupes. À la tombée de la nuit, elle prend les devants et ordonne de mettre les voiles pour les Pays-Bas.  

À bord du navire marchand, Willem fait profil bas. Il participe à la maintenance comme simple matelot, sans se faire remarquer. Il garde les documents sur lui en permanence, par précaution. Pendant des travaux d’entretien, il perd sa bourse qui s’éparpille sur le pont. Les pièces d’or révèlent à l’équipage qu’il n’est pas celui qui prétend être. Il invente une histoire autour d’un rôle de coursier entre marchands pour justifier l’argent. Il achète la grâce du capitaine, qui ferme les yeux sur lui. Pour les autres marins, Willem porte désormais une cible dans le dos.  

En mer, Tavernero navigue en aveugle. Son expédition se base sur un pari: celui que l’espion hollandais a échappé à la garde et fait lui-même voile vers les Provinces-Unies. Peut-être n’a-t-il en réalité jamais quitté la Navarre. Dans ce cas, l'implacable capitaine mise sur l’efficacité de l’autorité royale et il sera tôt ou tard rappelé en Espagne. Sa principale préoccupation est la destination de Willem. Amsterdam, Anvers, ou Londres. Elle songe à se dérouter vers les côtes anglaises - plus propices pour une rébellion protestante soucieuse de s’organiser hors de portée des armées espagnoles. Elle choisit finalement Anvers.  

Pari gagnant, même si elle l'ignore encore. C'est précisément la ville de destination du navire marchand sur lequel s'est embarqué Willem. Un choix par défaut, il fallait fuir, fuir très vite. Malgré tout un heureux hasard, car Anvers est assez proche d'Amsterdam sans être le choix de l'évidence. Il espère ainsi brouiller les pistes et semer un brin de confusion chez ses poursuivants.  

À bord, l'espion hollandais se sent de plus en plus mis sous pression. Il est en permanence épié et doit redoubler de vigilance pour ne pas se faire piéger par un groupe de matelot. Son salut se manifeste au large de la Mer du Nord. Une flottille de rebelles hollandais prend pour cible tout ce qui bat pavillon espagnol. Le navire de Willem est attaqué. Sans défense, il finit en flammes. Les hommes hurlent. Willem est agrippé à un bout de mât, flottant, à la dérive. Il observe le spectacle, impuissant.  

Il n’aurait rien pu faire.  

Quand il a aperçu les rebelles fondre sur eux, il était déjà trop tard.  

Derrière, le vaisseau de Tavernero ne ralentit pas. Fendant les eaux, ce n'est qu'une question d'heures avant qu'il n'arrive sur les lieux de l'attaque. D'ici là, Willem doit trouver un moyen de fuir, de regagner une embarcation. C'est sa seule chance d'échapper à la mort - et avant elle, aux pires sévices sortis de imagination perverse de Tavernaro. C'est aussi son seul espoir de remettre les documents au Prince d'Orange.  

La chasse est engagée. L'horloge tourne, égrainant les secondes jusqu'à l'inévitable affrontement. Une course poursuite navale haletante et sans temps mort, une fuite en avant fiévreuse et le combat de deux patriotes prêts à tout pour défendre les intérêts de leur nation, au-delà des leurs.