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Les Films du Corbeau présente
Dan de la Forêt d'Argent

Dans un tonnerre visuel de jeu de lumières, Sako (Chao Hanh) se déhanche et sautille en chantant son dernier tube, pop, techno et léger. Un délice pour les adolescents nippons, ou ceux qui le sont restés dans l’âme. La caméra se rapproche à pleine vitesse de la popstar lorsqu’elle termine son dernier couplet, déchainant une explosion de confettis et une dernière déflagration de faisceaux lumineux roses et dorés. Le public, assis dans les gradins, applaudit avec emphase. Et le présentateur de l’émission, Hiroki Masahori (Kenji Sakada), s’empresse de raccrocher l’œil de la caméra en sautant dans son champ de vision. Il exulte de compliments et de félicitations envers la jeune femme qui se prosterne rapidement et sourit, levant l’index et le majeur à destination des millions de téléspectateurs.  

Tous deux rejoignent les deux autres invités qui attendent sur le plateau, confortablement installés dans des fauteuils face au bureau du présentateur. Sako s’assoit auprès d’eux et les caméras virevoltent gaiement autour du visage des trois mégastars que Masahori reçoit aujourd’hui. En plus de la chanteuse, les spectateurs applaudissent les deux acteurs de cinéma, mondialement célèbres, Mortimer Marks (Matthew Sorensen) et Dan Faraday (Ivarr Knudsen). Ils sont venus accompagner la sortie japonaise de leur dernier blockbuster de science-fiction, Hologram.  

Mortimer Marks se tient droit sur son fauteuil, attentif et le sourire aux lèvres. Les émissions japonaises l’ont toujours beaucoup amusé. Ici tout est fou, bruyant, aveuglant de couleur. Le présentateur sautille dans tous les sens en éructant des propos que Mortimer ne comprend pas (du moins avant que l’oreillette ne lui fournisse la traduction), mais il mène ce délire avec frénésie : il éructe, crie, éclate de rire, grimace. Une vraie pantomime.  

Dan Faraday, de son côté, n’est pas aussi à l’aise. Sa timidité et sa modestie sont légendaires, on le sait mal à l’aise sur les plateaux de télévision. A tel point qu’il s’y fait quasiment absent. Et ce spectacle nippon est encore plus virulent que les autres. Mais il ne cache pas un demi-sourire de courtoisie derrière les mèches de cheveux blonds qui s’échappent de son éternel bonnet de laine grise. Tout dans son corps parait se défendre de l’attaque des jeux de lumière, de l’attention irrémédiablement portée sur lui.  

Même si c’est inutile, Masahori les présente au public qui les acclame de leurs applaudissements. Sako est elle-aussi au bord de la pamoison de se retrouver aux côtés de Dan Faraday. Mortimer Marks, elle le connaît un peu. Mais Faraday est LA star internationale par excellence. Personne ne peut avoir échappé à son nom sur toutes les couvertures.  

Masahori enchaîne les compliments envers les deux acteurs. Après diffusion de la bande annonce du film, il abreuve de questions les deux comparses. Et systématiquement, c’est Mortimer Marks qui prend la parole. Il aime le jeu de la promotion et se sent comme un poisson dans l’eau. Mais ce n’est pas lui qu’on veut entendre. Alors Masahori contourne les pièges et s’adresse directement à son partenaire.  

« Faraday-san, c’est incroyaaaaaable que vous ayez accepté notre invitation ! Vous vous faites extrêêêêêmement rare sur les plateaux de télévision. Que nous vaut l’incommensuraaaable honneur ?  

- Le Japon est un pays zen, j’avais envie d’être là.  

- Oooooh ! »  

Tout le monde a poussé cette exclamation. Masahori, Sako, et le public. Pas tant pour la déclaration de Faraday que par le fait qu’il l’ait susurrée dans un japonais absolument parfait. Personne ne s’y attendait.  

« Faraday-san, vous parlez donc japonais ?  

- Un peu, oui.  

- Alors vous parlez anglais, français, italien, russe, finnois, espagnol, mandarin, maori… et japonais ???  

- Des notions, oui…  

- Mais vous êtes incroyaaaaaaable ! Vous venez d’obtenir votre troisième GM Award, vos livres viennent de vous rapporter un prix Nobel, vos peintures se vendent aussi chères qu’un Van Gogh, vos deux albums sont multi-disques de diamant, tous les magazines vous déclarent l’homme le plus sexy de la planète… Et les langues n’ont pas de secret pour vous ! Mais d’où vous viennent tous ces dons ????  

- … J’ai eu de la chance. »  

Mortimer Marks sait bien qu’il a perdu toute chance d’être même éclaboussé par l’éclat de son partenaire de cinéma. Il n’y a pas d’attention à espérer si Dan Faraday est dans les parages. Et il doit admettre, bien malgré lui, que lui aussi est fasciné. Faraday est l’homme le plus talentueux qu’il ait jamais rencontré, et il ne semble pas avoir encore livré toute l’étendue de ses talents…  

La chanteuse Sako n’en peut plus de trépigner sur son siège.  

« Faraday-san ! Excusez-moi mais… je suis tellement fan ! Je vous remercie de l’incroyable chance de pouvoir me tenir près de vous. Si j’osais vous demander, Faraday-san… s’il vous plait… Pouvez-vous ôter votre bonnet et nous permettre de regarder votre chevelure si fantastique ? »  

La blondeur de ses cheveux lisses est un des atouts majeurs de la beauté de Dan Faraday. Ses admirateurs asiatiques en raffolent. Mais l’artiste ne les montre jamais en public et semble de plus en plus mal à l’aise. Il ne bouge pas d’un cil.  

« Je… je ne sais pas. C’est un peu gênant. »  

Au lieu de l’enlever, il vérifie qu’il soit bien vissé sur son crâne.  

« Oh je vous en prie Faraday-san ! Vos cheveux… Vos cheveux… »  

Le public commence à frapper dans ses mains. A seconder la jeune chanteuse.  

« Vos cheveux, Faraday-san ! », hurle-t-on dans l’assistance.  

Dan semble au comble de la confusion.  

« Non… vraiment…  

- Oh, ça va hein ! »  

D’un coup sec, un Mortimer Marks excédé attrape le bonnet de son comparse et le retire. Le temps d’un instant qui semble durer une décennie, les mèches de cheveux blonds sont soulevées dans les airs et retombent lentement autour de son visage. Mais la stupeur s’installe dans l’assistance lorsque tous constatent ce qui en dépasse. Une paire d’oreilles fines et pointues, démesurément pointues…  

 

********************  

 

DAN DE LA FORET D’ARGENT  

 

********************  

 

Cassidy Ambrose (Carrie Stewart) s’est empressée d’allumer son ordinateur portable et de lire l’émission de télévision japonaise en replay quand elle a vu les gros titres s’étaler dans les rues de Londres. Cela n’a aucun sens…  

Mais c’est pourtant vrai. Dan Faraday a dévoilé d’étranges et incroyables oreilles pointues, qu’elle ne lui connaissait pas. Estomaquée, elle écoute le reste de l’émission sans pouvoir dire un mot.  

C’est Mortimer Marks qui a brisé le silence qui s’était éternisé sur le plateau.  

« Mais qu’est-ce que c’est que ça ?  

- Mais qu’est-ce que c’est que ça ? », ajoute le présentateur en japonais.  

Dan semble désemparé et se prend la tête dans les mains, cachant ses oreilles disproportionnés. Puis après un moment de silence, il se redresse, résigné. Masahori le regarde avec des yeux interloqués.  

« Mais qui êtes-vous ?  

- Je suis un elfe. »  

Nouveau moment de stupeur.  

« Un elfe ?  

- Un elfe. »  

Silence, encore. Cette fois, c’est Mortimer Marks qui réagit.  

« Mais c’est quoi cette blague ? Un elfe, comme dans Le Seigneur des anneaux, comme le gus blond des films, là ?  

- Oui. Les elfes ne sont pas que des personnages de roman et de cinéma. Ils existent, et j’en suis un.  

Masahori le regarde avec fascination, Marks avec dégoût. Sako vient d’avoir son premier orgasme en silence.  

 

De l’autre côté de l’écran d’ordinateur, Cassidy se rend compte qu’elle est en train de pleurer. C’est effroyable. Ou formidable. Ou terrifiant… Elle ne sait pas quoi penser, trop d’émotions s’affrontent en elle. Son ventre lui fait mal. Elle ressent surtout cette terrible compassion envers Dan, livré aux yeux du monde face à son plus intime secret. Ce secret qu’elle n’avait même pas imaginé elle-même… Comment avait-elle pu passer à côté d’une chose pareille ?  

A cet instant, elle entend frapper. Mais cela ne vient pas de la porte d’entrée… Elle se retourne vers la fenêtre coulissante du balcon et l’aperçoit : Dan est là, camouflé sous une capuche, l’air pitoyable. Elle vient lui ouvrir.  

« Co… comment es-tu arrivé jusqu’ici ?  

- J’ai grimpé. »  

Elle se penche par-dessus la balustrade du balcon. Oui, les sept étages sont pourtant toujours là. Et en bas de la rue, un capharnaüm de voitures, camionnettes, scooters, flashs, cris… Les medias ont poursuivi Dan jusqu’ici.  

« Ils m’attendaient à l’atterrissage. Je ne savais pas où aller…  

- Entre. »  

Il reste debout au milieu du salon. Cassidy n’a pas allumé les lampes, mais les lumières nocturnes de la ville éclairent suffisamment la pièce. Dan tourne le dos à la fenêtre et son visage reste dans l’ombre. Ses oreilles pointent à travers sa chevelure. Il ne les cache plus. Cassidy a les mains qui tremblent. Elle s’assoit dans le canapé et n’ose pas lever les yeux vers lui.  

« Cassidy, je…  

- Est-ce vrai ?  

- Oui, c’est vrai.  

- Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça fait de toi ?  

- Je suis un elfe. Ce que tu lis dans certains bouquins sont justes à notre sujet. Je… je suis immortel, par exemple.  

- Mon Dieu…  

- Je suis désolé, Cass…  

- Et les trucs du genre que tu ne bouffes rien, que tu ne tombes jamais malade, que tu vois la nuit, tout ça… C’est vrai aussi ?  

- Pour la plupart…  

- Mais comment n’ai-je pas pu m’en rendre compte plus tôt ? C’est invraisemblable !  

- Parce que j’ai tout fait pour te le cacher. A toi et aux autres. Je ne suis pas sensé vivre parmi vous, tu sais. »  

Il s’assoit à ses côtés. Elle ne peut s’empêcher de s’écarter sensiblement. Il le remarque, mais ne dis rien.  

« Et il y en a d’autres comme toi ?  

- Oui.  

- Ils se cachent aussi parmi nous ?  

- Non, nous vivons ailleurs. A l’abri des hommes.  

- Je ne comprends pas…  

- J’ai choisi de vivre parmi vous. Contrairement aux miens, je n’ai pas de mépris pour les humains. Je les trouve fascinants, touchants… J’aurais préféré être un homme. Là-bas, je ne t’aurais pas, toi. »  

C’est trop pour Cassidy, trop pour une seule journée. Elle fond en larmes. Il la prend dans ses bras. Elle ne le repousse pas. Au contraire, elle se redresse et caresse ses cheveux. D’un doigt, elle suit le contour de son oreille jusqu’à sa pointe.  

« Et celles-là, comment ne les ai-je pas vues avant ?  

- Tu as toujours été focalisée sur mes fesses… »  

Ils rient. Cela fait du bien. Ils s’embrassent.  

« J’ai tant de choses à te dire, mais je dois m’éloigner Cassidy. Je ne veux pas qu’ils comprennent qui tu es pour moi, et je dois faire des choix. Il faut que je disparaisse un moment.  

- Moi aussi, j’ai beaucoup de choses à te dire. Alors pars maintenant, et reviens vite. »  

 

*****************  

 

Ils sont aussi plus d’une centaine de badauds à faire le pied-de-grue devant la porte de son immeuble. Des journalistes, des paparazzis jusque sur les balcons, des fans en délire de l’espérance de l’apercevoir, d’autres fans en colère qui se sentent trahis… Dan est monté sur le toit de l’immeuble d’en face. Il s’est avancé au bord du vide et, sans un instant de réflexion, s’est élancé dans les airs pour atterrir, sans bruit, plus de vingt mètres devant lui. Il se réceptionne sur la terrasse de son appartement, sombre et silencieuse. Pourtant une lumière brille dans son salon. La porte-fenêtre a été brisée. Il entre lentement, aux aguets. Pas un bruit. La porte de sa chambre est entrouverte. Il y pénètre silencieusement et découvre une jeune femme (Léa Geoffrey), qui sursaute à son approche. Elle est nue, emmitouflée dans la couette du lit.  

« Que faites-vous ici ? »  

Elle se met à hurler et se jette sur lui.  

« Dan !!! Je t’attendais ! Oh Dan, nous sommes seuls !  

- Qui êtes-vous ?  

- Je t’aime, Dan ! Je t’en supplie, fais-moi un enfant ! Je veux être immortelle ! »  

Ses yeux sont obnubilés, elle est une furie. Dan prend de plein fouet le mal-être de cette inconnue, dont il ressent jusque dans sa chair toute la confusion de l’esprit. Il la maintient comme il peut loin de lui.  

« Ne me repousse pas ! Dan, je t’en supplie… Je me tuerai… Je veux un enfant de toi !  

- Arrêtez… Vous allez vous faire mal…»  

Il n’a pas d’autre choix que de la repousser violemment. Elle chute lourdement contre la table de nuit. Elle s’est fait mal, mais continue de le regarder avec des yeux de folles.  

« Pardonnez-moi… », dit-il avant de disparaître.  

 

********************  

 

Dan s’est engouffré dans un pub des bas-fonds de Londres. Semer les médias n’a pas été difficile. Il est agile comme un chat, léger comme une plume et s’est enfuit par les toits. Dans ce quartier populaire, moins de commerces, moins de restaus, de bars, moins de monde. Camouflé sous sa capuche, les cheveux devant les yeux, il s’est installé au bar et a demandé une pinte de bière. Il n’a jamais soif, jamais faim non plus. Mais il aime bien boire et manger. Ca au moins, il n’a pas à le prétendre.  

Il est fatigué, ce qui n’est pas peu dire pour un elfe. Mais soulagé aussi. Il en avait assez de feindre. Après tout, cela allait bien arriver un jour. Mais que va-t-il faire maintenant ? Que va-t-il se passer ? Quelle tempête a-t-il déclenché ? Un elfe peut-il vivre parmi les hommes ?  

Son attention est attirée par le visage de Mortimer Marks qui apparaît sur l’écran de télévision posé au mur. Il est encore à l’aéroport et toutes les caméras sont braquées sur lui. Des bandeaux défilent en bas de l’écran :  

« Dan Faraday’s secret – Elves are reality – Are Hobbits also among us ? »  

Il s’y attendait. Pour beaucoup d’humains, les elfes sont les créations de J.R.R. Tolkien. Il ne regrette pourtant pas d’avoir rencontré l’homme, plus d’un siècle auparavant, dans les tranchées de la Somme. Il pensait mourir auprès de lui et lui avait révélé son secret. Mais ils avaient survécu, et l’homme de lettres avait choisi d’utiliser les confidences de Dan pour créer tout un univers littéraire, dissimulées au milieu de nombreuses inventions de l’auteur. Une belle façon de lui rendre honneur. Et rendre invraisemblable la vérité. Ce qui n’avait pour autant pas plu à ses congénères…  

Dan s’adresse au barman.  

« Pouvez-vous monter le son ? »  

Marks a le regard enfiévré. Son ton est froid et cassant.  

« Je ne suis plus étonné de ses prix et de ses succès. Les elfes ont des pouvoirs surhumains, tous les livres le disent. Il n’a aucun talent, c’est la nature qui lui a donné quelque chose de plus que nous. Dan Faraday nous a menti. Dan Faraday est une imposture. Il doit s’expliquer. »  

Dan ressent une pointe de déception à l’égard de son partenaire de cinéma. Ils se sont pourtant bien entendus sur le tournage. Du moins lui semblait-il…  

Ses réflexions sont interrompues lorsqu’une main brutale empoigne sa capuche par derrière pour la rabaisser. Dan se retrouve tête nue, face à un mastodonte à l’haleine de bière (Konrad Hamilton).  

« C’est bien ce que je pensais. Alors fais-les voir, tes oreilles de babouin ? »  

Il tend la main pour dégager les cheveux de l’elfe, mais Dan repousse son bras. Toute l’attention des buveurs du pub est rivée sur eux.  

« Tu fais ton fier, hein ? Tu te crois mieux que nous, les péquenots d’humains ? Tu t’es bien foutu de notre gueule… Me disais bien qu’y avait quequ’chose de pas naturel chez toi. »  

Dan ressent sa colère. L’homme va continuer à s’énerver, il le voit dans ses yeux. La colère des humains… Il a toujours été atteint au plus profond de lui-même par la violence dont ils sont capables. Le futur proche lui apparait comme une image fugace, le poing énorme du mastodonte qui file vers son visage.  

« Alors t’es trop au-dessus de nous pour répondre ? »  

Dan se tait. Il veut que sa vision se réalise. Il veut avoir mal. Même s’il sait que c’est impossible.  

Le visage du mastodonte se contracte. Son poing se lève avec puissance.  

 

Dan est propulsé hors du pub et atterrit sur le bitume. Il pleut sur Londres. L’elfe se redresse lentement en passant ses mains sur son visage. Il espère y voir du sang, mais non, pas la moindre égratignure… Le mastodonte sort à son tour. Il n’a même pas réussi à abimer sa sale petite gueule, et ça l’énerve encore plus. Il abat sa colère sur Dan à coups de pieds. Des curieux sont sortis du pub et les entourent, sans chercher à s’interposer. Dan se concentre : s’il se relâche complètement, il arrivera peut-être à ressentir une douleur ?  

Une longue limousine noire éclabousse les curieux en s’arrêtant au ras du trottoir. La porte s’ouvre et en sort une femme à la beauté stupéfiante (Alyssa Ballard). Vêtue d’une fourrure et de cuir noir tendu sur ses formes parfaites, sa peau est lisse et ses cheveux d’un blond nébuleux. Même le mastodonte s’est arrêté de frapper pour la regarder avancer. Tous sont hypnotisés par sa démarche sensuelle.  

Elle s’arrête devant Dan, affalée dans une flaque d’eau et le regarde de haut.  

« Relève-toi. »  

Le mastodonte s’interpose et pose sa main sur l’épaule de l’inconnue.  

« Eh ma belle… »  

Mais il n’a pas le temps de finir. La jeune femme a agrippé son bras épais et a propulsé sa masse impressionnante par-dessus son corps. L’homme vole dans les airs pour aller s’exploser contre les poubelles du pub. Il est K.O. Tout s’est passé en moins de deux secondes, et l’assistance est aussi fascinée que terrifiée.  

Dan se redresse et la regarde.  

« Quelle entrée discrète, Luvienn…  

- Suis-moi et arrête de te donner en spectacle.  

- C’est toi qui me dis ça ! », ajoute-t-il en regardant la limousine, l’accoutrement de sa congénère et le mastodonte affalé dans une flaque d’eau. Il la rejoint néanmoins dans la limousine.  

Le véhicule redémarre. Le visage de Luvienn reste fermé. Dan se tient avachi sur le siège en regardant par la vitre, comme un gamin pris en faute qui va se prendre une belle rouste en rentrant à la maison. Et le ton de la jeune femme est certes des plus froids.  

« Tu aurais pu te débarrasser de cette brute en claquant des doigts. A quoi jouais-tu ?  

- Tu ne pourrais pas comprendre. »  

Les lumières de Londres défilent devant ses yeux.  

« Es-tu fier de ce que tu as fait ?  

- Non.  

- Pourtant, c’est ce que tu cherchais.  

- Non.  

- Tu n’as pas idée de ce que tu as déclenché.  

- Non. »  

La limousine poursuit sa route jusqu’aux bords de la Tamise, qu’elle longe pendant quelques kilomètres. Elle s’enfonce sur l’île aux Chiens, dont les tours sont encore illuminées malgré l’heure tardive. Le véhicule s’arrête à l’extrémité de l’île, près de l’entrepôt d’une manufacture désaffectée. Luvienn descend et Dan la suit à l’intérieur. Au centre d’une vaste salle dont la haute verrière brisée laisse filtrer la lumière de la lune se tient un homme qui leur tourne le dos. Dan le reconnaît sans surprise (Matthias Evans). Il est grand, jeune et mince. Ses cheveux sont longs et d’un châtain aux étranges reflets rouges qui donnent l’impression qu’une braise couve dans ses profondeurs. Ses yeux pourraient être aussi purs qu’un océan paradisiaque, mais ils restent de glace.  

« Ca me fait plaisir de te revoir, Danehel.  

- Je ne te crois pas, Milandrill.  

- Je suis en colère, mais je n’oublie pas que tu m’as manqué. Tu nous manques à tous.  

- J’en suis navré. »  

Dan fait les cent pas. Il sait que la suite de cette conversation ne va pas lui plaire.  

« Danehel, ne perdons pas de temps. Tu as commis une faute grave, et tu dois revenir à la Forêt d’Argent.  

- Je n’en ai pas l’intention.  

- Nous avons fermé les yeux bien trop longtemps sur tes lubies d’une autre vie, aussi incompréhensible soit-elle. Mais tu nous as trahis. Je ne sais même pas s’il est encore temps d’éviter le pire.  

- Je n’ai plus d’autre vie que cette vie-là. Trop de choses m’y rattachent. Je ne vous suivrai pas.  

- Sois raisonnable, Danehel. Milandrill est notre aîné à tous, écoute-le », ajoute Luvienn d’une voix dure.  

Ils restent silencieux quelques instants. Dan ne les regarde pas. Beaucoup de secrets s’échangent dans le mutisme des elfes. Milandrill reprend la parole.  

« Faut-il qu’on se batte ?  

- Ne crois pas que la vie d’humain m’ait appesanti. Nous nous battrions une éternité. Et je pense que nous n’avons pas assez de temps devant nous.  

- Alors tu sais ce qui nous attend.  

- Je vais faire en sorte de l’éviter.  

- Tu es devenu arrogant.  

- Ce sont les elfes du monde entier qui sont arrogants. Je porte plus d’espoir envers les humains que vous. Rien n’est écrit.  

- Tout est écrit.  

- J’espère pouvoir vous prouver le contraire.  

- Alors tout est dit.  

- Non, tout reste à dire. »  

Dan s’éloigne. Milandrill et Luvienn le regardent partir.  

« Il est prisonnier de ce monde. Reste ici Luvienn, et fais ce qu’il faut. Il faut qu’il revienne.  

- Il n’acceptera pas. Je ne veux pas le tuer.  

- Si c’est le seul moyen de le ramener, tu le feras. »  

 

********************  

 

Mortimer Marks est accompagné de plusieurs dizaines d’hommes et de femmes en colère, sur les marches du Parlement de Londres. Des caméras et des micros l’encerclent.  

« Nous ne savons pas de quoi il est capable. Des pouvoirs qui, peut-être, nous dépassent. Dan doit se livrer à Scotland Yard. Si d’autres elfes comme lui peuplent la Terre, alors l’humanité est en danger. Ils sont plus grands que nous, plus forts, plus agiles que nous, plus talentueux aussi peut-être. Nous ne pouvons pas rester à leur merci. Si demain ils décident de se retourner contre nous, alors qu’arrivera-t-il ? Nous ne pouvons pas rester dans l’incertitude. Déjà ce soir, une jeune femme s’est faite agresser par ce monstre. »  

A ces mots, il invite une jeune femme à s’avancer au-devant des micros et des caméras. C’est la jeune femme qui a attendu Dan dans son appartement. Une estafilade bleutée recouvre la paume de sa joue. Elle parle avec une voix douce, saisissante d’émotion.  

« L’elfe Dan a tenté de me violer. Mais comme je me débattais, il m’a dit que je n’étais qu’une humaine putride, qui ne méritait même pas de recevoir son foutre. Alors il a renoncé et a préféré me frapper à la place. Il aurait pu me tuer d’un claquement de doigt… »  

 

Ces images mortifient Dan, le visage levé vers l’écran de télévision. Milandrill avait peut-être raison, il est peut-être déjà trop tard pour éviter le pire. Si les humains partent à la chasse aux elfes, les elfes ne se terreront pas. Même s’il se sacrifiait pour préserver le secret des elfes, les siens n’accepteraient pas de voir un elfe rabaissé ou maltraité par les humains. Ils sortiront de leurs forêts, de leurs montagnes ou de leurs lacs et recevront l’affront comme une déclaration de guerre. Et alors les humains n’auront aucune chance. Dan ne peut pas les laisser faire. Il veut encore croire que l’humain vaut quelque chose.  

Seul dans le lavomatic désert, il s’adosse contre le mur sale et ferme les yeux, éloignant de lui le monde extérieur. Il doit méditer et trouver la solution.  

 

******************  

 

Cassidy éteint la télévision. Les nouvelles l’oppressent. Elle a tellement peur pour Dan ! Quelle porte a-t-il ouvert en livrant la vérité au monde ? Se pourrait-il que l’opinion publique s’apaise et l’accepte ? Qu’ont-ils tous à redouter de lui ? Les propos de cet acteur de seconde zone, devant le parlement, sont infâmes. Et elle ne croit pas un instant l’histoire de cette femme, visiblement folle à lier.  

Mais Dan reviendra-t-il ? Elle aurait dû lui parler. Lui dire que…  

Un mouvement attire son attention et la fait sursauter. Une femme se tient dans l’embrasure de la porte du balcon. Alors qu’elle aurait dû hurler, Cassidy est stupéfiée par sa beauté. Luvienn s’avance et s’assied auprès d’elle.  

« Savez-vous qui je suis ?  

- Vous êtes l’une des leurs, n’est-ce pas ?  

- C’est exact. Danehel et moi nous connaissons depuis des siècles. Nous avons grandi l’un près de l’autre.  

- Danehel… »  

Elle aime ce nom encore davantage.  

« Savez-vous où il se trouve ?  

- Non. Il ne reviendra pas avant d’avoir trouvé une solution à ce désastre.  

- Alors vous ne le reverrez pas avant longtemps. Je crains que la solution ait déjà échappé à tout contrôle.  

- J’espère que vous vous trompez.  

- Danehel doit disparaître de votre monde et revenir auprès des siens. Le comprenez-vous ?  

- Je le comprends. Mais je veux croire qu’il existe une autre solution. »  

Luvienn sourit, mais son sourire n’est pas doux.  

« Décidément, il est devenu aussi aveugle que vous autres. Il fut un temps où Danehel savait lire dans ce qui est écrit.  

- Rien n’est écrit d’avance… »  

Luvienn se redresse et sort de son manteau de fourrure une dague magnifique à la lame recourbée dont elle caresse le tranchant. Elle perçoit le mouvement de recul de Cassidy.  

« Les elfes ne sont pas un peuple belliqueux. Il faut que vous me croyiez. Mais il est néfaste de refuser ce qui est écrit. Et il est écrit que Danehel doit être libéré de ses chaines. »  

Cassidy se lève et recule à mesure que Luvienn avance vers elle, la lame brillante entre ses mains.  

« Vous êtes une des chaines qui le retient ici, Miss Cassidy. Et croyez que je regrette ce que je dois faire. Car vous avez une grande pureté en vous. Pas si éloignée de nous autres, finalement.  

- Vous ne pouvez pas faire cela… »  

De frayeur, Cassidy porte les mains à son ventre. Alors Luvienn s’arrête et lit dans les yeux de la jeune femme.  

« Il vous a enfanté…  

- Je… j’attends un enfant de lui, oui.  

- Le sait-il ?  

- Non, je n’ai pas pu lui dire… »  

Le regard de Luvienn s’assombrit.  

« Vous avez commis l’interdit. La nature n’a pas prévu cela. Que sortira-t-il de votre ventre ? En avez-vous la moindre idée ?  

- Non, mais je veux le savoir. »  

Luvienn se retourne vers la fenêtre et plonge son regard sur les rues de Londres.  

« Ce monde est vraiment étrange. Je ne l’aime pas, mais je dois avouer qu’il m’intrigue. »  

Elle se retourne soudain vers Cassidy.  

« Peut-être vaut-il finalement mieux que je vous emmène avec moi jusqu’à la Forêt d’Argent. »  

 

 

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Un film de Gabor CZINKA  

Sur un scénario original du Corbeau  

 

Avec  

Ivarr KNUDSEN - Dan Faraday  

Carrie STEWART - Cassidy  

Alyssa BALLARD - Luvienn  

Matthew SORENSEN - Mortimer Marks  

Matthias EVANS - Milandrill  

Léa GEOFFREY - la femme névrosée  

Konrad HAMILTON - le mastodonte  

Kenji SAKADA - Hiroki Masahori  

Chao HANH - Sako  

 

Sur une musique de Gaia LAWS  

Scénario : (3 commentaires)
une superproduction fantastique de Gabor Czinka

Ívarr Knudsen

Carrie Stewart

Matthew Sorensen

Alyssa Ballard
Avec la participation exceptionnelle de Konrad Hamilton, Léa Geoffrey, Chao Hành, Kenji Sakada, Matthias Evans
Musique par Gaia Laws
Sorti le 01 mai 2038 (Semaine 1739)
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