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Les Films du Corbeau présente
Totem & Taboo

Nouvelle-Zélande, près de Rotorua.  

Le 28 août 2038  

 

L’enfant sort du bois en marchant dans les herbes hautes. Le soleil d’hiver troue les nuages et caresse sa peau sombre, la réchauffant à peine. Néanmoins, il illumine au passage la colline qui fait face à l’enfant et la laine des moutons qui y paissent scintille un court instant comme des éclats de verre. Un nuage continue sa route et cache ce bref moment de luminosité.  

Le garçon longe l’orée du bois à la recherche du pouwhenua. Il ne se souvient jamais précisément où le trouver. Mais le voici qui se dresse à l’ombre du hêtre. Le totem de ses ancêtres l’a toujours autant intrigué que fasciné, et il aime venir regarder le visage sombre de l’idole qui se dresse à sa tête. Un visage grimaçant, aussi précis qu’un dessin d’enfant. On lui a dit que ce totem représentait les anciens dieux, et qu’il était si vieux qu’on avait dû le dresser là au temps où l’île n’était nommée qu’Aotearoa par ses habitants.  

Son regard est attiré par une étrange racine blanche qui sort de la terre, au pied du totem. Bien vite, il se rend compte qu’elle n’a rien de végétal. Cinq doigts blancs aux ongles cassés et noircis sortent de terre, soudés à une main inerte recroquevillée sur elle-même.  

 

 

Commissariat de police d’Auckland  

Le 29 août 2038  

 

« Non.  

- Pardon ?  

- Trouvez quelqu’un d’autre. Je n’ai rien à faire là-bas.  

- Je ne vous ai convoqué que par courtoisie, Jeremy. Mais je ne vous demandais pas votre avis. Votre coéquipier doit déjà vous attendre dans votre voiture. »  

Jeremy Ngata (Baya Santiago) crispe ses poings dans les poches de son pantalon. Jusqu’à quel point peut-il envoyer balader sa supérieure ? Alice Shaughnessy (Aline Siral) prend néanmoins le temps de s’adresser à lui avec plus de gentillesse.  

« Que vous le vouliez ou non, votre histoire fait de vous le mieux placé pour vous y rendre. J’ignore quelles sont vos réserves, mais je vais devoir vous demander de passer outre. Deux chambres de motel sont réservées à votre nom. Faites-moi un rapport par téléphone ce soir. »  

Jeremy sort du bureau sans ajouter un mot. Douglas (Matthew Sorensen) l’attend déjà à la voiture et le regarde le rejoindre en fronçant les sourcils. Il se doutait que Jeremy n’accepterait pas avec plaisir. Ils se mettent en route et Douglas respecte son silence buté.  

Rotorua est à trois heures de route. Jeremy compose le numéro de Deborah (Alyssa Ballard. Des bruits d’enfants résonnent près d’elle lorsque la jeune femme décroche.  

« Je n’ai pas beaucoup de temps mon chéri, la récréation se termine.  

- Je t’appelais juste pour te dire que je ne rentrerai pas ce soir. J’ai une enquête à Rotorua.  

- Rotorua ?  

- Oui. Du côté du village.  

- … Et ça va aller ?  

- Probablement pas. Je te vois demain soir. »  

Le « village ». Un corps a été découvert du côté du village maori. C’est pour cela que Jeremy se coltine cette enquête. Il est le seul agent maori du commissariat. Enfin, même pas totalement Maori. Son père l’était, mais sa mère était Philippine. C’est en tout cas dans ce village qu’il a passé une grande partie de son enfance. Pas la meilleure partie de sa vie. La pire, en l’occurrence.  

 

Une bruine s’est installée sur leur pare-brise quand ils arrivent aux abords du village maori, à quelques kilomètres de Rotorua. Jeremy sent ses intestins se serrer. Il reconnaît tout, le chemin, le platane, la première maison au bois dont le verni a souffert des intempéries… Il pensait avoir tout laissé derrière lui, mais tout se ravive avec une clarté acérée.  

A l’entrée du village, une jeune femme maorie (Shanti Adilashur) attend, la capuche du parka couvrant une partie de son visage. Elle fait signe au véhicule. Douglas s’arrête près d’elle et baisse la vitre.  

« Vous êtes les policiers d’Auckland ?  

- Oui, inspecteur Douglas Pembrose, de la criminelle. Et mon coéquipier, J…  

- Je suis trempée. Je monte et vous emmène sur les lieux. »  

La jeune femme rejoint l’arrière du véhicule. Jeremy tourne la tête de l’autre côté, gêné.  

« Il faut que vous contourniez le bois. Pardon, je ne me suis pas présentée. Je suis Mahuika Teramakau, la fille du chef du village. Mon père est encore là-bas. »  

La voiture longe le chemin pendant quelques centaines de mètres, contournant un bosquet touffu. Le village domine une vallée où les collines se succèdent avec harmonie. Douglas apprécie le panorama du coin de l’œil. Jeremy, lui, est de plus en plus mal à l’aise. Il sent le poids du regard de la jeune femme dans son dos. Il le croise subrepticement dans le rétroviseur, mais l’évite autant qu’il peut.  

Douglas gare la voiture près d’une Range Rover. Auprès d’elle est garé le véhicule des policiers de Rotorua. Un groupe de cinq ou six personnes s’est regroupé dans les hautes herbes, un peu plus loin. Les inspecteurs et la jeune femme sortent du véhicule pour les rejoindre. Jeremy reste près de la voiture un moment. Mahuika le regarde droit dans les yeux, mais Jeremy détourne rapidement le visage. Elle le laisse seul. Son ventre le fait souffrir. Il a la trouille et se sent ridicule. Il a fait bien assez de chemin depuis cette époque.  

Douglas serre la main des policiers locaux et s’approche du pouwhenua. Jeremy le connaît bien, il a beaucoup joué autour lorsqu’il était enfant. Et le visage grimaçant a longtemps hanté ses cauchemars. Les hommes regroupés là-bas penchent tous la tête. Un homme est accroupi dans l’herbe, Douglas le rejoint. Jeremy se décide à s’avancer. Un, deux visages se tournent vers lui. Ils se reconnaissent, mais ne disent rien. Il voit Mahuika s’approcher d’un homme au visage tatoué et lui glisser un mot à l’oreille. Aussitôt, cet homme (Aethawa Ungava) tourne le visage vers Jeremy. Leurs regards se croisent, froids, silencieux. Jeremy ne veut pas baisser les yeux devant cet homme.  

Douglas s’approche d’eux et s’adresse au Maori.  

« Vous êtes le chef du village ? »  

Mahuika lui répond.  

« C’est mon père, Arana Teramakau. Papa, voici l’inspecteur Pembrose.  

- Et vous connaissez peut-être mon coéquipier, l’inspecteur… »  

Le Maori le coupe en dévisageant Jeremy.  

« Oui, nous connaissons déjà Kahurangi. »  

Jeremy serre les dents.  

« Je m’appelle Jeremy. »  

Douglas se rend compte de l’animosité qui circule entre ces deux regards, même s’il ne sait pas pourquoi. Aussi attire-t-il l’attention de son partenaire sur la scène de crime, quelques mètres plus loin. Jeremy s’approche du policier qui brasse la terre, met à jour le cadavre, et se concentre enfin sur la scène atroce qui se présente devant ses yeux. Une jeune femme blanche, aux cheveux blonds, est nue et encore à moitié enterrée dans la terre humide. Son corps est taché aussi bien par la boue que par le sang séché. Ses blessures sont multiples, profondes, du visage au ventre. Et peut-être plus bas, on ne le saura que lorsqu’elle sera entièrement déterrée. La mort a été violente, et même barbare. Du premier coup d’œil, on peut constater qu’il lui manque des bouts de chair, des bouts de peau. La jeune femme a été affreusement mutilée.  

« C’est affreux », ne peut s’empêcher de dire Jeremy.  

« Et encore. Dites-lui ce que vous m’avez dit », ajoute Douglas en s’adressant au médecin légiste qui libère minutieusement le corps en veillant à ne pas l’abimer.  

« Vous voyez les blessures, là ? », dit l’homme en désignant les plaies les plus profondes. « On y voit des traces de dents. Je vais peut-être dire une connerie, faudra que je confirme à la morgue, mais j’ai pas l’impression que ce soit une morsure animale. »  

Les trois hommes gardent le silence. Ce qui n’est pas dit est éloquent.  

 

Douglas et Jeremy roulent en direction du commissariat de Rotorua pour prendre connaissance des premiers relevés effectués sur la scène de crime. Douglas tente de détendre l’atmosphère.  

« Je sais bien qu’ils n’allaient pas être habillés en tenue traditionnelle, tout ça, mais quelque part, je peux pas m’empêcher d’être déçu… »  

Jeremy ne répond pas. Son visage est pâle et fermé. Douglas ne sait pas s’il peut oser lui poser les questions qui le turlupinent. Il ose, finalement.  

« Pourquoi le mec t’a appelé Kahurangi ?  

- C’était mon nom, à une époque.  

- Tu ne t’appelles pas Jeremy ?  

- Si, mais j’avais un autre prénom quand je vivais ici.  

- Donc tu as vécu dans ce village ?  

- Oui.  

- … Ben vas-y, raconte !  

- Non, pas maintenant. »  

Son ton est lapidaire et Douglas garde dans le silence. De nombreuses images défilent dans l’esprit de Jeremy. Il revoit son père. Ce père qui s’est séparé de sa mère, qui est venu l’enlever chez elle aux Philippines alors qu’il n’avait que 6 ans, pour l’emmener vivre auprès de lui dans ce village. Et ces années près de lui, alcoolique, violent, ridicule avec son corps peinturluré comme les hommes d’ici. Jeremy a eu une enfance malheureuse. Ni complètement Maori, ni Pakeha (homme blanc), seulement toléré dans cette réserve. Arana, leur chef à tous, a tenté malgré tout de l’initier aux coutumes maories. Mais Jeremy a refusé, rejeté la culture de l’homme qui l’avait arraché à sa mère. Une femme qu’il n’a plus revue, car elle est morte seule, après deux ans de démarches infructueuses pour récupérer son fils. Il a vécu près de dix ans dans ce village, refusant les autres, refusé par eux. L’enfer est long quand il dure une telle éternité.  

Aujourd’hui, il vit loin, a épousé Deborah, va bientôt avoir un enfant d’elle. Il est un autre homme, plus heureux. Il a oublié. Croyait-il. Mais il doit bien admettre que rien n’est enterré à jamais, même pas les corps de jeunes femmes blanches.  

 

 

Dans la chambre du motel, les deux coéquipiers sont assis sur le lit et s’adressent au téléphone de Douglas, d’où retentit la voix de Mrs. Shaughnessy. L’inspecteur vient de lui faire son premier rapport.  

« Le corps doit rejoindre la morgue ce soir. Le légiste travaillera dessus demain matin. Les gens du village ne l’ont pas identifié.  

- Comment réagissent les Maoris ? », demande Shaughnessy.  

- « Ils avaient l’air touchés. Je ne crois pas qu’ils soient ravis qu’on ait retrouvé ça au pied de leur totem », répond Douglas.  

« Jeremy, qu’en pensez-vous ? »  

L’inspecteur se force à sortir de son mutisme.  

« Je ne peux pas vous en dire plus. On ne les a pas encore interrogés.  

- Vous les connaissez, c’est vous qui mènerez les interrogatoires.  

- Je ne suis pas sûr que…  

- Jeremy, s’il vous plait. Faites un effort. Messieurs, restez conscients de la difficulté de l’enquête. Le gouvernement est en conflit avec ce village pour des histoires de propriété. Le terrain sur lequel le corps a été retrouvé est au centre l’affaire. Les Maoris veulent le récupérer parce que leur totem est dessus, et des sanctuaires aussi, ou je ne sais quoi. Cela ne peut pas être un hasard.»  

Douglas intervient.  

« Donc on peut s’interroger sur le fait que le corps est peut-être un message des Maoris. Ou si on veut nous le faire croire.  

- Exactement. »  

 

 

De retour dans sa chambre, Jeremy s’est ouvert une cannette de bière piochée dans le mini réfrigérateur. Il se pose sur son lit, lorsque l’on frappe à sa porte.  

Mahuika se tient devant lui.  

« Je peux te déranger une minute ? »  

Jeremy la laisse entrer. Ils s’assoient l’un en face de l’autre.  

« Je sais que ça doit être pénible pour toi de revenir ici. Mais j’ai été peinée que tu ne m’ais même pas saluée. Comme si on ne se connaissait pas.  

- Pardonne-moi.  

- Tu parles », dit-elle en souriant. « Tu es resté tellement beau que je ne vais même pas réussir à t’en vouloir. »  

Il sourie également. Elle lui caresse amicalement les cheveux. C’est vrai qu’il a eu tort d’être aussi froid avec elle. Elle est bien la seule qu’il ait plaisir à revoir. C’était sa seule amie. A l’adolescence, ils étaient même un peu amoureux l’un de l’autre. S’il n’était pas parti, peut-être auraient-ils vécu quelque chose de vrai.  

« Tu vis toujours auprès de ce vieux grigou ? », lui demande-t-il.  

« Non, je suis venue m’installer en ville. J’ai ouvert une librairie. Et je fais même partie du conseil municipal ! Je suis leur quota ethnique, je crois… »  

Jeremy la regarde en silence. Elle est toujours belle, elle aussi. Cet instant est agréable, le premier moment paisible depuis qu’il est revenu ici. Mais le visage de Mahuika s’assombrit.  

« Jeremy, cette histoire est dramatique. Même au-delà du meurtre. J’ai vu le corps, les blessures n’ont pas été faites par hasard. Elles correspondent aux stigmates du rite Akaneatu. Tu sais, la petite fiesta du temps où on était un peu cannibale sur les bords.  

- Je ne connais pas, non.  

- Oui, tu n’as jamais été très versé sur nos traditions. Mais c’est grave. Je ne peux pas être sûre qu’aucun d’entre nous n’aurait été capable d’une telle chose, mais c’est vraiment trop suspect. Tout ça arrive alors que le gouvernement est sur le point de rendre les terres du village.  

- Et qui aurait intérêt à vous faire cela ?  

- Beaucoup de monde. Ceux qui possèdent les terres aujourd’hui évidemment, et qui vont être obligés de les vendre à bas prix au gouvernement. Et tous les pakehas des environs qui ne peuvent pas nous sentir. »  

 

 

Deborah se repose sur le canapé, seule. Les mains posées sur son ventre arrondi par la grossesse, elle pense à Jeremy. Dehors, la pluie tombe sur la baie d’Auckland, dont les lumières filtrent jusqu’ici malgré la nuit. Ils ont à peine eu les moyens d’acheter cette maison sur l’île de Waiheke, qui fait face au centre-ville. Elle est minuscule, mais a au moins l’avantage de cette superbe vue sur la baie.  

Elle se fait du souci pour Jeremy. Elle sait que les jours prochains vont être difficiles. Et pourtant, elle se dit que quelque chose de bénéfique pourrait en sortir. Jeremy a gardé un traumatisme de son enfance à Rotorua. Au point qu’il n’a jamais aimé lui en parler, même à elle. Elle est loin de tout connaître de son histoire. Peut-être cette confrontation aura des répercussions utiles pour l’homme qu’il est aujourd’hui. Et pour le père qu’il va devenir.  

Un éclair d’orage zèbre le ciel à cet instant. La luminosité qu’il a posée un quart de seconde sur le jardin a attiré l’attention de Deborah sur quelque chose. Elle scrute la terrasse. Quelque chose s’y trouvait qui n’aurait pas dû y être, mais quoi ?… Il fait trop sombre. Un deuxième éclair éclate, et la silhouette d’un homme, grand, apparaît face à elle, juste de l’autre côté de la vitre. Deborah hurle de frayeur en plongeant son regard dans le visage de l’homme, masqué par un tatouage complexe, et qui pose un regard menaçant sur la jeune femme.  

 

 

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Un film de Sheinaz EL RAMANI  

 

Avec  

Baya SANTIAGO - Jeremy Ngata  

Shanti ADILASHUR - Mahuika Teramakau  

Aethawa UNGAVA - Arana Teramakau  

Matthew SORENSEN - Douglas Pembrose  

Aline SIRAL - Alice Shaughnessy  

Alyssa BALLARD - Deborah Ngata  

 

Sur une musique de Gaia LAWS  

Scénario : (1 commentaire)
une série A policier de Sheinaz El Ramani

Baya Santiago

Shanti Adilashur

Aethawa Ungava

Aline Siral
Avec la participation exceptionnelle de Matthew Sorensen, Alyssa Ballard
Musique par Gaia Laws
Sorti le 19 juin 2038 (Semaine 1746)
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