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Les Films du Corbeau présente
Le Sabre du Pirée

*** Ce film fait suite à La Lame de Damas, La Botte de Venise et L’Esquive andalouse. Il en signe aussi la fin. ***  

 

NB : La Grèce est sous domination ottomane jusqu’en 1830.  

 

 

1742, sur une île de la mer Ionienne.  

 

Une jeune femme, vêtue d’une robe miséreuse et voilée d’un châle fin qui la protégeait de l’aplomb brutal du soleil, progressait lentement sur les rochers qui bordaient la mer Ionienne. Sur sa tête, une jarre remplie d’eau douce pesait lourdement sur ses cervicales et l’obligeait à avancer avec prudence. Elle avait mal au cou, mal aux pieds et mal aux bras. Des callosités étaient apparues sur ses mains fines si peu habituées au travail. Mais elle ne se plaignait pas. Elle savait pourquoi elle s’était infligée une telle peine.  

Elle se retourna et aperçut à nouveau la silhouette des hommes à quelques distances derrière elle, qui ne tentaient pas de se cacher. Ils la suivaient depuis le village. Ils l’inquiétaient. Mais elle était seule et ne pouvait rien faire. Et on attendait l’eau qu’elle transportait.  

Elle rejoignit la maison de pêcheur isolée dont les murs de chaux l’abritait depuis maintenant plus d’un mois. Son aménagement était rudimentaire : une paillasse usée, une table branlante, et un tas de vieux filets de pêche odorants. L’homme qu’elle rejoignait se tenait allongé sur la paillasse, le corps en sueur et le teint pâle. Gaspard (Hugh Darby) était malade depuis plusieurs jours. Il se remettait petit à petit, mais pas aussi vite qu’il aurait pu. Ana Clara (Maria Lima) savait qu’il n’avait pas la volonté de se battre, alors elle le faisait pour lui. Elle le fit boire et passa un morceau de tissu imbibé d’eau sur son front.  

Elle aurait pu l’abandonner, concentrer sur lui toute sa frustration et sa colère. Car c’était pour lui qu’elle avait fui Cadix et son pays, pour lui qu’elle avait pris la mer, tournant le dos à sa famille et son statut privilégié pour échouer sur cette petite île de pêcheur, pour lui qu’elle avait accepté la misère. Parce qu’elle en était éperdument amoureuse. Sans espoir pourtant. Il tenait ses sentiments rivés sur l’image d’un fantôme, d’une fiancée perdue, morte depuis plusieurs années.  

Gaspard n’était plus que l’ombre de lui-même, chargé par le poids de la culpabilité et du désespoir. Ana Clara l’empêchait de se laisser aller à la mort. Elle s’oubliait pour le sauver et l’aider à redevenir l’homme qui l’avait éblouie.  

Elle se redressa quand elle entendit des pas de l’autre côté de la porte. Elle avait peur, elle aurait voulu que Gaspard la protège. Mais il n’était pas en état. Aussi fouilla-t-elle dans ses affaires et prit avec elle l’épée de Gaspard, qu’elle blottit dans ses jupes à l’abri des regards. Et elle sortit à la rencontre des trois hommes.  

« Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? »  

Ils la regardèrent des pieds à la tête, froidement. L’un d’eux tenta de regarder par-dessus son épaule, mais elle avait précipitamment fermé la porte derrière elle.  

« Combien êtes-vous, là-dedans ?  

- … Il y a mon mari… mon beau-frère et mon beau-père. »  

Ils se regardèrent en souriant.  

« Elle ment. Le pêcheur m’a dit qu’elle était seule avec un homme malade. »  

Il voulut s’approcher et l’écarter sans ménagement, mais Ana Clara dévoila son arme et la tendit maladroitement devant elle. Son regard était plus menaçant que sa posture.  

« N’avancez pas. »  

L’homme rit entre ses dents et approcha davantage. Ana Clara frappa et une estafilade ensanglantée apparut sur la joue de l’homme. Son sourire se transforma en rictus de colère.  

« Chienne ! »  

Rapide, il saisit le poignet de la jeune femme et le serra si fort qu’elle ne put garder l’épée en main. Alors elle le frappa avec ses jambes, agrippa son visage avec ses mains et ses ongles. Elle se débattait comme une diablesse. Les deux compagnons de son adversaire vinrent à son aide et la saisirent.  

« Lâchez-moi, pourceaux ! »  

Leurs mains se faisaient baladeuses. Ils « tâtaient la marchandise ».  

« La croupe est ferme, le muscle tendre. C’est un lot de choix », plaisantèrent-ils.  

L’un d’eux se tourna finalement vers la porte et s’apprêtait à la pousser, lorsqu’elle s’ouvrit d’elle-même. Gaspard apparut, blanc et faible sur ses appuis, mais menaçant. Il tenait un bâton de bois entre les mains. L’homme n’eut pas le temps de réagir que Gaspard lui avait déjà frappé le crâne avec son arme de fortune. Il se tournait maintenant vers les deux autres. L’un d’eux lâcha la jeune femme et sortit son arme à son tour, un sabre ottoman, et attaqua Gaspard. Malgré sa faiblesse, ses réflexes étaient encore bons et il détourna l’attaque sans difficulté, mais sans réussir à riposter. Son adversaire chargea à nouveau et lui entailla l’avant-bras. Gaspard lui envoya son bâton dans le ventre, le forçant à se plier de douleur. Mais la tête lui tournait, et Gaspard fut forcé de mettre un genou à terre. C’est à ce moment que le premier blessé, se relevant, lui retira le bâton des mains et l’utilisa pour lui envoyer un coup solide sur le dos du crâne.  

« Gaspard ! », hurla Ana Clara.  

Ses deux assaillants, reprenant leur respiration, le regardaient avec surprise.  

« Encore heureux qu’il soit mal en point, celui-là. M’est avis qu’il vaut mieux l’embarquer aussi. Il en a derrière le coffre.  

- Il est mourant.  

- Peut-être pas. On verra bien ce qu’on peut en tirer. »  

 

**  

 

Quand Gaspard reprit conscience, Ana Clara était penchée sur lui. Ils étaient tous deux assis sur le pont d’une goélette en mauvais état, en pleine mer. Leurs pieds étaient enclavés dans des chaînes qui les reliaient l’un à l’autre. Près d’eux, un vieil homme plutôt robuste, et un garçon malingre subissaient le même sort, pendant que les trois hommes et deux autres membres d’équipage manœuvraient l’embarcation.  

L’air du large fit du bien à Gaspard, qui se sentait toujours faible mais moins souffrant. Il réussit à se redresser légèrement.  

« Où sommes-nous ?  

- Je crois que ces hommes sont des marchands d’esclaves. Ils nous ont capturé, tu n’as rien pu faire. Comment te sens-tu, mi amor ?  

- Ca ira. Où nous emmènent-t-ils ?  

- Je l’ignore. Nous voyageons depuis plus de douze heures. »  

 

La goélette s’enfonça dans le port du Pirée, dont l’impressionnant phare surplombait l’embouchure avec majesté. Ils furent débarqués sans ménagement sur l’embarcadère. Et si Gaspard s’attendait à ce que la foule du port vienne naturellement les secourir, il en fut pour ses frais : de part en part, des hommes et des femmes, de toute nature et de toute couleur de peau, étaient tiraillés par des marchands, enchaînés les uns aux autres. Ils furent entraînés au cœur d’un marché grouillant d’animation, aux étals de bois adossés les uns aux autres, et aux allées surpeuplées. Tous ces étals ne proposaient qu’un seul et même « article » : des esclaves. Ana Clara ne quittait pas le bras de Gaspard, terrorisée et incapable de dire un mot. Ils furent installés, auprès leurs compagnons de mer, sur l’estrade d’un étal. Gaspard avait repris du poil de la bête, mais était encore faible. Il regardait les visages se succéder les uns aux autres avec passivité. Tout se déroulait beaucoup trop vite pour lui.  

Les images et les pensées se succédaient en lui. Il revoyait le jour où, cinq ans auparavant, Eulalie avait été enlevée sur le port de Nantes, emmenée au-delà des mers. Il avait sillonné la Méditerranée dans tous les sens, poursuivant les ravisseurs jusqu’à Damas, fui dans le désert avec sa bien-aimée, trouvé refuge à Venise où on les avait trahi, et où Eulalie avait perdu la vie… Après ce jour funeste, il avait perdu l’envie de se battre, repoussé toujours le moment du voyage retour, souillé par la honte et le désespoir de n’avoir pu sauver celle qu’il aimait. Il avait hanté les ports d’Espagne, combattu en Andalousie où Ana Clara s’était jointe à lui, échoué sur cette île inconnue de la mer Ionienne… Et il se retrouvait aujourd’hui parqué, enchainé comme une bête, vendu comme esclave. Il atteignait le fond. Il ne voyait maintenant que deux options : baisser définitivement les bras, ou tenter une ultime fois de rebondir et fuir, une dernière fois. Rejoindre la France par n’importe quel moyen.  

Il reprit conscience de ce qui l’entourait lorsqu’Ana Clara enfonça ses ongles dans son bras. Devant eux, un Ottoman richement paré (Avi Elias) se tenait debout et regardait fixement la belle Andalouse. A ses côtés, une jeune femme vêtue comme un homme, mais le visage voilé par le foulard propre aux femmes ottomanes, se tenait en retrait. L’homme échangea une bourse avec ceux qui les avaient capturés. Aussitôt, deux d’entre eux vinrent saisir Ana Clara et l’éloigner de Gaspard. La jeune femme se mit à hurler, un homme la frappa en lui liant les mains. Gaspard comprit enfin que sa compagne venait d’être vendue. Alors un sursaut de colère monta en lui.  

Il se jeta sur l’un des hommes, profitant de la surprise pour le frapper durement au visage. Il saisit son sabre et repoussa l’autre homme en fouettant l’air avec son arme. Ana Clara se réfugia derrière lui. Aussitôt, deux autres marchands d’esclaves dégainèrent leurs propres sabres pour venir secourir leurs congénères et entourèrent Gaspard. Celui-ci répondit à leurs attaques avec une dextérité impressionnante, et se défendit avec fougue et adresse. Ses adversaires étaient tailladés ou repoussés contre les étals qu’ils détruisaient sous leur poids. Gaspard semblait incontrôlable. L’Ottoman saisit son arme à son tour, il allait être obligé d’intervenir pour protéger son bien. Mais la jeune femme qui l’accompagnait, et qui n’avait rien manqué du combat, arrêta son geste et lui parla à l’oreille.  

Gaspard était hors d’haleine, mais ses adversaires étaient dans un moins bon état encore. Le combat était en suspens, les marchands entouraient le couple d’esclaves en hésitant. Ce diable d’homme était une lame beaucoup trop menaçante pour eux. Alors l’Ottoman s’avança. Gaspard tourna son sabre vers lui, mais l’inconnu tendit la main en avant dans un signe d’apaisement.  

« Calme-toi. Je ne souhaite pas te combattre. J’ai mieux à te proposer. »  

Il se tourna vers le marchand qui tenait la main fermée sur son avant-bras ensanglanté. Il lui lança une seconde bourse d’écus.  

« Pour les deux. Cela convient ?  

- Du moment que vous m’en débarrassez… »  

L’Ottoman se tourna vers Gaspard.  

« Es-tu prêt à me suivre ? »  

Gaspard hésitait.  

« Tu préfères que je vous laisse ici ? Des hommes d’armes prendront le relais de ces marchands. Combien de temps penses-tu tenir ? »  

Tous les marchands, les passants et les esclaves regardaient le jeune homme. Il n’avait pas de porte de sortie, et il savait que l’Ottoman disait vrai. Il baissa son arme.  

 

**  

 

Gaspard et Ana Clara se tenaient l’un contre l’autre sur le cheval, encerclés par les hommes d’armes de leur nouveau maître qui chevauchaient avec vigilance. L’Ottoman avançait à quelques pas devant, aux côtés de la jeune femme voilée. Un homme d’arme leur avait appris l’identité de leur nouveau maître : Jahandar Bayezid était le gouverneur de la province d’Athènes. L’homme le plus puissant de la ville, si ce n’était du pays.  

Il les mena jusqu’aux portes de son impressionnant palais aux architectures byzantines, qui surplombait la mer Egée et le port du Pirée. Ana Clara levait la tête pour admirer la richesse du domaine. Gaspard n’y vit qu’une prison plus luxueuse.  

Lorsqu’on referma les portes de l’enceinte derrière eux, la jeune femme aux vêtements d’homme dévoila son visage (Nour Pendraon), révélant des traits harmonieux dont l’expression assurée n’était pas sans rappeler celle du gouverneur. Bayezid échangea quelques mots avec sa fille, puis poursuivit son chemin sur une allée de pierres qui montait jusqu’au palais. La jeune femme resta sur place et désigna Ana Clara aux hommes d’armes. L’un d’eux avança vers elle pour la faire descendre de cheval, mais elle s’agrippa davantage à Gaspard, qui l’entoura d’un bras protecteur. Le soldat dégaina son sabre. Mais la fille du gouverneur l’arrêta d’un geste du bras.  

« Ne fais pas d’imprudence, esclave. Vous êtes maintenant chez vous, et vous serez bien traités si vous restez raisonnables. Ta compagne va rejoindre le service de ma famille, et tu pourras la revoir. »  

D’elle-même, Ana Clara apaisa Gaspard et accepta de suivre le soldat, qui la fit monter sur son cheval et la mena en direction du palais. La fille du gouverneur quitta Gaspard après l’avoir confié à un jeune homme au regard sauvage. Zefiros Dimopoulos (Aymeric Cruz) était le contremaître du palais, Athénien libre, et il conduisit l’esclave jusqu’à la caserne domestique. Dans ce large bâtiment au flanc du palais étaient logés et armés les esclaves du gouverneur destinés à renforcer la milice d’Athènes, pour la protection et la garde civile.  

Gaspard pénétra dans le dortoir, où une trentaine d’hommes se reposait d’une journée de maraude dans la cité. Il s’installa sur la paillasse qu’on lui désigna et regarda autour de lui. Il n’était pas libre, il ignorait précisément quelle tâche allait être exigée de lui, mais il ne pouvait se plaindre des conditions de sa détention. La paillasse était fraiche, les bâtiments éclairés et propres. On traitait bien son bétail.  

 

**  

 

Ana Clara sortit du bain et essuya son corps nu grâce au linge qu’on avait disposé près du bassin. La pièce d’eau était destinée aux domestiques du palais, mais les murs sertis de mosaïques colorées étaient très luxueux. Ce n’était pourtant rien en comparaison du palais, dont elle n’avait pour l’instant aperçu que quelques pièces, mais dont elle n’aurait pu comparer la magnificence à rien qu’elle connaissait. Même la Casa de las Cadenas, la demeure de son père, maire de Cadix, faisait pâle figure en comparaison de celle-ci.  

Une femme (Cassie Gintrac) entra et déposa des vêtements aux pieds d’Ana Clara. Malgré son âge mûr, elle était grande et belle, et ses yeux bleus paraissaient éclatants au milieu de son visage à la peau sombre. Mais son regard était dur.  

« Tu m’appelleras Yashna. Si tu entends parler de la Mauricienne dans cette demeure, c’est aussi de moi que l’on parle. Ne t’avise pas de me manquer de respect, car si je suis esclave comme toi, personne n’est au service de la famille Bayezid depuis aussi longtemps que moi. C’est entendu ?  

- Je n’ai pas de raison de te manquer de respect. »  

Yashna regardait le corps d’Ana Clara que la jeune femme s’empressa de couvrir de la tunique soyeuse qu’on lui avait donnée.  

« D’où viens-tu ? Sais-tu seulement travailler ? Ton corps et tes mains ne semblent pas avoir été faits pour le labeur.  

- Je me nomme Ana Clara Gálvez y Cortés. Je suis ici par erreur, mon père est le…  

- Tu es ici parce que tu le mérites. Je n’ai que faire de ce qu’à été ta vie. Cela n’intéresse personne ici ! Je vais t’attitrer au nettoyage des appartements du gouverneur. Ne causes pas de problèmes, sinon la faute rejaillira sur nous toutes. »  

 

**  

 

« J’ai connu le père de cette Eulalie dont tu me parles. C’était l’un des armateurs les plus appréciés du port de Nantes. Un homme droit. Dans mon ancienne vie, j’étais membre d’équipage d’un commerçant algérois, et nous jetions souvent l’ancre dans ce port. Cela me semble si loin… »  

Ajdir Aït Bou Chaïed (Younes Guerram) gardait ses yeux tournés vers la fenêtre ouverte, l’esprit en proie à des images du passé. Le « Kabyle », comme on l’appelait, occupait la paillasse voisine à celle de Gaspard. Celui-ci ressentit un élan au cœur en entendant cet homme parler de Nantes, et de ces personnes qu’il avait connues. Il n’avait pas entendu leur nom prononcés depuis si longtemps !  

Ajdir reprit la parole.  

« Si je devais fuir, il est certain que Nantes serait une bonne destination pour se faire oublier. La Méditerranée est un vase clos, nous serions vite retrouvés. Mais comment espérer s’évader un jour de cette cité ? »  

Ils n’eurent pas plus de temps pour y penser. Le contremaître Dimopoulos vint les chercher pour rejoindre l’entraînement. Gaspard ramassa l’uniforme et les armes dont on l’avait équipé et suivi les autres jusqu’à une cour poussiéreuse, sous un soleil de plomb, où Dimopoulos les aligna. Peu de temps après, un jeune homme à l’uniforme plus distingué pénétra dans la cour. Ajdir le désigna discrètement à Gaspard sous le nom de Cyrus Bayezid (Hamid Dehouli), le fils du gouverneur Jahandar. Il vint se poster devant les soldats et bomba le torse. Son visage reflétait le dédain et l’arrogance.  

« Esclaves, le gouverneur veut intensifier vos entrainements. L’agitation progresse dans les rues de notre cité, et la plupart d’entre vous ont des mains de paysans et n’ont jamais tenu correctement une arme. Aussi…  

- Que fais-tu Cyrus ? »  

Les visages se tournèrent vers la voix qui avait interrompu le fils du gouverneur, depuis l’entrée de la cour. Gaspard reconnu la jeune femme au foulard, qui à l’intérieur de la forteresse semblait préférer sa tête nue. Elle portait, comme la veille, une culotte bouffante d’homme et un plastron militaire, ainsi qu’un sabre accroché à son ceinturon. Ajdir la désigna à Gaspard comme étant Roksaneh, la sœur jumelle de Cyrus. Le visage de ce dernier s’assombrit en un rictus de colère.  

« Cesse de m’interrompre quand je parle à mes hommes, vipère.  

- Tu parles de MES hommes, Cyrus. Notre père m’a nommé Chef de garde, pas toi. »  

Cyrus éructa d’un rire dédaigneux et prit les soldats à parti.  

« Tu n’as pas pris ça au sérieux quand même. Tu vois nos hommes obéir aux ordres d’une femelle ? »  

La voix de Roksaneh devint plus dure. Elle s’approcha d’une démarche volontaire de son frère.  

« La ‘’femelle’’ sait manier les armes, contrairement à son imbécile de frère. Laisse-moi la place.  

- Cesse de m’humilier devant nos hommes, je te préviens…  

- Cesse de t’humilier toi-même et de nous faire perdre du temps. Maintenant, si tu as une réclamation à faire, portes-la directement au gouverneur. »  

Il fixa sa sœur avec un regard de haine, mais elle ne baissa pas les yeux. Cyrus s’écarta alors, le sabre à la main, et resta à quelques pas de sa sœur. Roksaneh se tourna vers les soldats et leva la voix.  

« Soldats, vous avez constaté par vous-même que les rues de notre cité étaient plus sensibles qu’auparavant. Des mouvements de contestation se multiplient et menacent la sécurité de notre peuple, de notre famille et de vous-même. Aussi, vous devez vous améliorer au combat. »  

Elle balaya les rangées de soldats du regard, qu’elle arrêta sur Gaspard.  

« Toi, le nouveau. Approche. »  

Gaspard s’avança de quelques pas.  

« Tu sembles avoir de l’expérience dans le maniement des armes. Mais hier, j’ai vu que tu tenais mal ton sabre. D’où viens-tu ?  

- Des contrées où l’on connaît mieux l’épée que le sabre.  

- Très bien. Alors tu mettras peu de temps à maîtriser ton arme. »  

Un soupir de dédain attira l’attention de la jeune femme vers son frère.  

« Cyrus, peut-être voudrais-tu faire une démonstration de sabre avec ce soldat ? »  

Il lui répondit par un regard de mépris.  

« Tu veux que je me battes contre un esclave ? J’ai mieux à faire.  

- Je veux que tu entraînes un soldat. Cela n’a rien de dégradant. Mais peut-être es-tu un peu ankylosé par l’inaction ? »  

Cyrus fut piqué par la provocation et s’approcha de Gaspard en sortant son sabre. De son côté, Roksaneh appela Ajdir à s’approcher pour se confronter à elle. Elle jeta un nouveau regard provocateur à son frère.  

« Fais mieux que la dernière fois, Cyrus. Notre père pourrait nous regarder depuis son balcon…  

- Tu parles trop, vipère. Soldats, engagez le combat ! »  

Gaspard et Ajdir attaquèrent. Gaspard maîtrisait effectivement le sabre avec plus de difficultés, car il pesait plus lourd et accrochait l’air différemment de l’épée. Aussi ses attaques manquaient de précision. Mais il était indéniablement plus rapide que Cyrus, qui portait ses coups avec violence plus qu’avec adresse. Gaspard dut se retenir de le désarmer trop vite. Il était le fils du gouverneur, tout de même. Mais Cyrus ne semblait pas retenir ses coups, quitte à le blesser. Aussi, usant d’une parade qu’on lui avait apprise enfant, il frappa le torse de Cyrus du manche de son sabre et envoya son arme voler à plusieurs toises. Cyrus posa le genou à terre pour retrouver son souffle.  

De son côté, Ajdir se défendait bien et montrait de l’intelligence dans ses attaques, mais il n’était pas assez expérimenté dans le maniement des armes pour faire le poids face à Roksaneh, qui était agile, rapide et puissante. La jeune femme désarma le Kabyle quelques instants seulement après Gaspard. Puis elle posa son regard sur son frère. Celui-ci se redressa, humilié une fois de plus, et siffla entre ses dents.  

« Tu me le paieras. »  

Mais au regard qu’il échangea sur Gaspard en s’éloignant, il était manifeste que sa haine ne se tournait plus seulement vers sa sœur.  

Roksaneh ne dédaigna pas y prêter attention et hocha la tête vers Gaspard en signe d’approbation.  

 

**  

 

Ana Clara déposa le plat de figues sur la table du gouverneur, qui déjeunait seul sur la terrasse de ses appartements, protégé du soleil brutal par des tentures de lin. La jeune femme sentait le poids du regard de Yashna qui pesait sur ses épaules, surveillant ses moindres gestes. Depuis qu’elle était entrée au service du gouverneur, la Mauricienne n’avait cessé de la reprendre, de lui mettre la pression et de la brimer pour lui apprendre à courber toujours plus l’échine. Elle n’agissait pas de la sorte avec les autres esclaves. Elle semblait avoir pris Ana Clara pour cible avant toute autre.  

Elle s’apprêtait à se retirer quand le gouverneur Jahandar la retint.  

« Assieds-toi un instant. »  

Le regard de Yashna montra à la jeune femme qu’elle se maudirait de répondre à l’invitation, mais elle n’osa désobéir à son maître. Jahandar l’observa en silence pendant un instant.  

« D’où viens-tu ?  

- D’Espagne.  

- Tu es différente des autres. Comment t’es-tu retrouvée esclave ?  

- Je me suis fait capturée sur une île, quelque part sur l’autre mer.  

- Sur une île de pêcheurs, m’a-t-on dit. Pourtant, tu ne ressembles pas à une femme de pêcheur. Et ton mari semble bien plus adroit muni d’une arme que d’un filet de pêche.  

- Je… »  

Elle hésita à lui confier la vérité. Mais qu’adviendrait-il si elle le faisait ? La libérerait-il s’il apprenait qui elle était ? Renoncerait-il à son investissement si facilement ? Ne la ferait-on pas davantage souffrir pour la faire mieux entrer dans le moule d’esclave, comme tentait de le faire Yashna chaque jour que Dieu fait ? Elle ne connaissait pas cet homme. Et il achetait des hommes et des femmes. Elle préféra garder le silence.  

Elle redouta la colère du gouverneur. Pourtant, le regard de celui-ci se fit plus intense, mais pas plus redoutable. Au contraire, il semblait piqué de curiosité. Peut-être même de respect. Il croqua dans sa figue.  

« Tu peux retourner à ton service. »  

Au moment où elle disparaissait, elle entendit Jahandar s’adresser à la Mauricienne.  

« Je ne veux pas que cette fille nettoie et serve. Envoie-la-moi ce soir. Je réfléchirai au meilleur usage qu’on peut tirer d’elle. »  

Lorsque Yashna recroisa le chemin d’Ana Clara, elle lui saisit le bras et le maintint fermement.  

« Petite catin, tu as réussi ce que tu voulais. Mais je te préviens, je défendrai ma place chèrement. »  

Ana Clara retira son bras brusquement.  

« Tu ne me fais pas peur. »  

Elle était fille de Gálvez y Cortés, Grand d’Espagne. Elle en avait assez d’avoir peur et d’être rabaissée. Elle ne serait pas une esclave.  

 

**  

 

Plusieurs semaines passèrent ainsi. Gaspard et Ana Clara parvenaient à se voir à de rares moments. Le jeune homme avait pleinement recouvré la santé et passait ses journées, ou ses nuits, à arpenter la cité au cœur de la milice civile. Ana Clara avait rejoint le service personnel du gouverneur. Elle préparait son linge, son lit, ses ablutions, son coucher. Elle avait redouté ses intentions en l’affiliant à sa chambre, mais il n’avait pas été irrespectueux. Au contraire, elle faisait la lecture quand il le lui demandait. Elle partageait une discussion avec lui quand il en éprouvait l’envie. Il ne la questionnait pas, il semblait juste vouloir l’entendre. Il ne se comportait pas de la sorte avec les autres esclaves.  

Pourtant, Gaspard et Ana Clara parlaient d’évasion chaque fois qu’ils se retrouvaient. Mais ils n’avaient pas d’idées réalisables, pas de moyens. Trop peu de libertés.  

L’occasion vint à Gaspard sans qu’il la demande. Il n’était pas sans savoir que la Grèce, sous l’empire ottoman depuis plusieurs siècles, n’avait jamais connu de réel repos. Les Grecs rêvaient, tout comme les esclaves, de liberté retrouvée et d’indépendance. Régulièrement, des rebelles se soulevaient ou tentaient de créer une émulation de révolte dans la cité. Mais ils étaient systématiquement rabroués par les forces ottomanes. Dont Gaspard faisait lui-même partie maintenant, à son corps défendant.  

Un soir où Gaspard et Ajdir s’étaient assis sur un muret pour contempler la cité, Zefiros Dimopoulos vint les trouver et s’assit auprès d’eux. Le jeune homme n’était pas esclave. Il était Athénien et travaillait librement pour la famille Bayezid. Chaque soir, il pouvait rentrer chez lui, où il retrouvait sa femme et ses enfants. Il s’adressa aux deux soldats.  

« Vous plaisez-vous ici ? »  

C’est Ajdir qui répondit.  

« Comment peut-on se plaire quand on n’a pas choisi ?  

- Vous voudriez retrouver la liberté ?  

- Es-tu un fou ? Evidemment que nous voulons tous retrouver la liberté. »  

Zefiros sauta du muret et se positionna en face d’eux, pour pouvoir capter leurs deux regards. Son visage s’anima d’excitation.  

« Alors tenez-vous prêt lorsque la lune sera au plus haut. J’ouvrirai les portes de la forteresse et les miens entreront. Alors il faudra vous joindre à eux. »  

Gaspard fronça des sourcils.  

« Mais de quoi parles-tu ?  

- De soulèvement ! De révolution ! Nous Athéniens souhaitons autant que vous retrouver notre liberté. Pousser les Bayezid et tous les leurs dans la mer Egée ! Ce soir, vous porterez vos coups non pas sur les miens, mais sur les leurs… »  

 

Gaspard voulait retrouver Ana Clara, pour la prévenir, pour l’avoir près de lui quand il faudrait fuir. Mais il ne pouvait pas rejoindre le palais sans se faire voir. Il éveillerait l’attention des soldats ottomans. Et quand l’heure du soulèvement arriva, il fut porté en tête de l’attaque par les siens, le reconnaissant comme leur héros et meilleur combattant.  

Mais les soldats ottomans étaient en éveil, ils devaient avoir été alertés. Aussi, s’ils ignoraient le moment de l’attaque, ils étaient déjà en arme et les esclaves, renforcés par les rebelles athéniens, ne purent pas profiter de l’effet de surprise. Le combat débuta aux flancs du palais, à l’intérieur de la forteresse. Certains esclaves n’avaient pas osé porter les armes et s’étaient recroquevillés dans la caserne. Gaspard comprit bien vite que son camp était en moins grand nombre que leurs adversaires, et bien moins entrainés. Mais les esclaves avaient gagné en dextérité au cours des entrainements et combattaient avec bravoure. Ils voulaient gagner leur liberté  

Ajdir se retrouva face à Cyrus, qui le blessa. Mais le Kabyle réussit à le blesser plus gravement encore.  

Gaspard ne pouvait plus ignorer que leur attaque était vouée à l’échec. Déjà des esclaves et des rebelles prenaient la fuite par la cité. Ajdir rejoignit Gaspard.  

« Viens, un navire va prendre le large ce soir. Nous pouvons fuir !  

- Je ne peux pas, je dois retrouver Ana Clara.  

- Tu ne pourras jamais atteindre le palais ! Viens avec moi.  

- Pars devant, je te rejoindrai. »  

Il n’y avait pas moyen de lui faire entendre raison. Ajdir renonça.  

« Tu t’es conduit avec moi comme un frère. Je t’attendrai autant que possible. »  

Gaspard se fraya un passage entre les combattants et commença à gravir les escaliers du palais. Mais une silhouette vint lui barrer la route. Malgré l’obscurité, il reconnut aussitôt Roksaneh. La jeune femme brandit son sabre devant lui et le regarda avec colère.  

« Alors tu es un rat, comme les autres. Je te croyais différent.  

- Ce n’est pas contre toi. Mais nous avons tous droit à notre liberté.  

- Imbécile, la liberté n’existe pas ! Me crois-tu plus libre que toi ?  

- Tu te bats pour sortir des chaînes qu’on a choisies pour toi. Je fais de même. Je te respecte. Va-t-en, je ne veux pas me battre contre toi.  

- Je suis la fille du gouverneur. Et que tu le veuilles ou non, je suis ton maître. »  

La jeune femme attaqua, Gaspard esquiva. Elle était experte au sabre, mais lui avait rapidement appris à maîtriser le sien. Il était le plus fort, mais il ne voulait pas la tuer. Il l’aurait simplement blessée si elle lui en avait donné l’opportunité. Mais elle frappait avec rage et dextérité, elle savait parfaitement protéger ses coups. La seule chance de Gaspard aurait été de contre-attaquer avec violence et frapper au cœur. Mais il n’arrivait pas à s’y résoudre. Alors leur combat durait, au fur et à mesure que Gaspard parvenait à faire reculer Roksaneh en direction du palais.  

Gaspard aperçut Jahandar qui se battait lui aussi contre des assaillants parvenus à ses portes. Où était Ana Clara ? Soudain, il sentit une douleur insoutenable lui vriller les côtes. Mais le coup ne venait pas de Roksaneh. Il venait de derrière. Gaspard se retourna et vit le visage de Cyrus, fier d’avoir enfoncé sa lame dans le dos de son adversaire. Gaspard chuta.  

« Immonde lâche ! », hurla Roksaneh en frappant son frère au visage.  

 

Ana Clara ne savait ce qu’elle devait faire. Par le balcon du palais, elle voyait les combattants s’acharner les uns contre les autres. Mais à la lueur de la lune, elle ne parvenait pas à percevoir qui était qui, et où était Gaspard.  

Elle se décida à fuir le palais pour tenter de le retrouver. Mais au même moment, la porte de la chambre s’ouvrit avec fracas. Jahandar apparu, le ventre et le visage ensanglanté. Il referma la porte derrière lui et s’effondra sur le dallage. Ana Clara était effrayée. Allait-il mourir ? Elle ne lui souhaitait pas, mais elle désirait avant tout fuir. Elle le contourna et s’apprêtait à ouvrir la porte lorsqu’il saisit son poignet et l’attira à lui.  

« Tu n’as pas encore fui ? Tu ne vas pas chercher à me tuer toi-aussi ? »  

Il semblait en rage, comme fou. Mais Ana Clara ne lui montra pas sa peur.  

« Laissez-moi partir. Je vous en prie.  

- Tu ne peux pas… Je ne te maltraite pas. Je te veux du bien… Le plus grand bien… Je ne pense qu’à toi… »  

Il perdit connaissance. Ana Clara le prit en pitié, mais elle n’hésita pas pour autant. Elle devait fuir.  

 

Sur le port du Pirée, Ajdir s’évertuait à retenir Dimopoulos de faire amarrer le navire. Il fallait attendre encore un peu.  

Devant lui, les rues d’Athènes s’animaient. Les habitants sortaient de chez eux, alertés par le bruit et les flammes qui provenaient du palais du gouverneur. Des hommes fuyaient en courant par les ruelles. On ignorait au juste ce qui se passait.  

Et Gaspard n’apparaissait pas…  

« Kabyle, nous ne pouvons plus attendre ! Monte ! »  

Ajdir hésita. Il fallait partir. C’était peut-être sa dernière chance. Il mit le pied sur le pont. Mais il n’arrivait pas à se résoudre.  

Dimopoulos le regarda avec effarement.  

« Mais qu’attends-tu bon sang ? Tu montes ou tu restes ? »  

Ajdir recula d’un pas.  

« … Je ne peux pas partir sans mon frère. »  

 

****************  

 

Un film de Cynthia KYA  

Sur un scénario original du Corbeau  

 

Avec  

Hugh DARBY - Gaspard  

Maria LIMA - Ana Clara  

Younes GUERRAM - Ajdir le Kabyle  

Nour PENDRAGON - Roksaneh Bayezid  

Avi ELIAS – Jahandar Bayezid  

Hamid DEHOULI - Cyrus Bayezid  

Cassie GINTRAC - Yashna la Mauricienne  

Aymeric CRUZ - Zefiros Dimopoulos  

 

Sur une musique de Joan JODOROWSKY  

Scénario : (2 commentaires)
une superproduction d'action de Cynthia Kya

Hugh Darby

Maria Lima

Younes Guerram

Nour Pendragon
Avec la participation exceptionnelle de Cassie Gintrac, Aymeric Cruz, Avi Elias, Hamid Dehouli
Musique par Joan Jodorowsky
Sorti le 13 juin 2037 (Semaine 1693)
Entrées : 29 777 255
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