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Les Films du Corbeau présente
La Fuite en avant

Québec, 1892.  

 

Lorsque le hurlement des loups, lointains, s’éleva dans la montagne, la jument s’ébroua de peur et se cambra. Eugénie (Katia Oblomov) jura et s’agrippa aux rênes, qu’elle tira avant de parvenir à calmer la bête en lui frottant les naseaux. Elles étaient en nage toutes les deux. Ses jupes l’empêchaient de progresser facilement dans la neige épaisse. Elle regrettait d’avoir refusé la proposition d’Oneida de porter les braies qu’elle lui avait confectionnées. Elle avait dû continuer le chemin à pied pour tirer la jument et elle se demandait comment elle parviendrait à sortir de la forêt de sapins. Elle se blottit contre le cheval pour se donner du courage. La fumée de son souffle se mêlait à celle de l’animal.  

Soudain, elle aperçut la silhouette d’un homme au loin, dans le sillon des traces de son propre passage. Elle plissa les yeux, car la blancheur de la neige était aveuglante. L’homme était trop loin pour qu’elle puisse le reconnaître, mais elle n’eut aucun doute. Seul celui qu’elle redoutait pouvait l’avoir suivie jusqu’ici. Elle perçut alors l’attelage qu’il trainait harnaché derrière lui, et qui lui confirma ses doutes. Elle sortit sa carabine Winchester de sous la selle et l’arma. Elle la porta à son épaule. L’homme s’était arrêté. Il l’avait vue, lui aussi. Elle visa. Elle tira. L’homme s’effondra.  

 

********* LA FUITE EN AVANT **********  

 

Six mois plus tôt  

 

Eugénie stoppa sa monture à l’embouchure du sentier. Devant elle s’étendait le lac Mistassini, et la chaîne des monts Otish s’élevaient paisiblement dans son prolongement. Si sa jument se reposait bien cette nuit, elle parviendrait peut-être à l’issue de son voyage au soir de la journée prochaine. Cela faisait plusieurs semaines qu’elle avait quitté Québec, au grand damne de sa paroisse, où tous avaient tenté de la dissuader de son idée fixe. On n’avait jamais vu une femme seule traverser ces terres sauvages, presque inconnues et jamais pratiquées, si ce n’était par les trappeurs, les évangélistes ou les chercheurs d’or. Mais Eugénie n’était pas de celles qui s’engageaient à la légère. La quasi-totalité des communautés d’Indiens Hurons s’étaient sociabilisées et converties au christianisme. On connaissait une tribu d’entre eux qui s’était réfugiée au creux du mont Yapeitso, loin de toute civilisation, loin du savoir et de la connaissance. Eugénie s’était fait pour mission d’aller leur porter ce savoir. La paroisse lui avait donné ses lettres d’institutrice, elle se devait de porter ses connaissances à ceux qui en étaient démunis. Les communautés huronnes de Québec n’avaient plus besoin d’elle, elle voulait repousser ses propres frontières connues et offrir un lien à ces derniers Hurons mystérieux un lien vers la culture dominante de leur nation.  

Remplie de ces grands idéaux, elle n’avait pas hésité, pas reculé, même lorsque les derniers visages croisés dans la bourgade de Saint-Honoré avaient continué de la dissuader, arguant qu’elle ne serait pas la bienvenue et qu’elle s’apprêtait à se heurter aux derniers sauvages du territoire. Mais elle croyait en elle, et elle croyait au bien-fondé de sa mission. Elle ne saurait échouer. D’ailleurs, si elle avait voulu renoncer, elle avait de bonnes raisons de ne plus revenir en arrière.  

 

Le lendemain, alors que le soleil déclinait derrière les sommets aux neiges résistantes, elle aperçut les premières fumées. Bientôt, les toits furent en vue. La tribu des Yakwenra s’était installée dans la plaine qui s’étendait au pied du mon Yapeisto, au bord d’un cours d’eau qui rejoignait le lac. Sous le soleil doré de cette fin de journée, le tableau lui parut idyllique. Elle eut sa première surprise en constatant qu’au milieu des tipis, quelques cahutes en bois avaient été construites. Les Yakwenra n’étaient donc pas aussi primitifs qu’on le lui avait laissé entendre. Elle en ressentit une bouffée de courage supplémentaire.  

Elle parvint aux abords du village alors que le crépuscule s’installait et que les Hurons avaient allumé les premiers feux. La nuit qui s’installait allait être plutôt chaude, aussi certaines familles allumèrent des torches plantées dans l’herbe devant leurs tentes ouvertes. D’autres s’enfermaient déjà dans leurs habitations, huttes ou maisons en rondins de bois. Eugénie mit pied à terre et soupira de soulagement. Quelques têtes se tournaient vers elle, mais personne ne s’approcha. Elle ne s’était pas attendu à des cris de joie à son arrivée, d’autant plus qu’elle ignorait s’ils avaient été prévenus de sa mission. Mais elle espérait attirer leur curiosité, si ce n’était par elle-même, peut-être par les mystérieux paquetages de livres qu’elle avait arrimés à sa selle et qui avaient rendu son voyage d’autant plus pénible. Mais elle fut déçue, car elle ne récolta que quelques regards méfiants, quelques visages interrogateurs qui se détournaient rapidement pour s’engouffrer dans l’isolement de leurs tipis.  

Un groupe d’une demi-douzaine d’entre eux s’était regroupé autour d’une flambée. Ils étaient assis dans l’herbe et terminaient un plat de poisson en discutant. Eugénie attacha sa jument au tronc d’un épicéa et la déchargea des sacoches qui l’alourdissaient tant. Elle les laissa au sol et s’approcha du groupe d’Indiens. Quelques uns la dévisagèrent sans lui adresser la parole. Au lieu de cela, Eugénie constata qu’ils s’étaient tus à son approche.  

« Bonsoir, je suis Eugénie Blanchard. »  

Aucune réponse.  

« J’arrive de Québec. Quelqu’un vous a-t-il prévenu de mon arrivée ? »  

Ils restèrent silencieux. Loin de se démonter, Eugénie décida de s’asseoir parmi eux. Les regards qui se tournaient vers elle n’étaient ni amicaux, ni belliqueux. Ils l’ignoraient, simplement. Eugénie les observa en souriant timidement. Ils buvaient un breuvage qui lui était inconnu, et elle le regardait avec envie, étant assoiffée par son voyage. Mais elle n’osa pas demander. Quelques uns tournaient leur regard vers l’un d’entre eux, un homme plutôt jeune et aux cheveux longs (Baya Santiago). Eugénie se fit la réflexion qu’ils devaient chercher auprès de lui quelle conduite tenir. Il devait donc avoir une forme d’autorité sur les autres. A ses côtés se tenait une jeune femme, belle (Courteney Campbell-Seasong), qui tenait dans ses bras un enfant en bas âge. Il dormait la tête posée sur le ventre arrondi de sa mère, visiblement dans un état de grossesse avancée. Elle était la seule à répondre aux regards d’Eugénie, sans pour autant exprimer le moindre sentiment. Un autre homme attira particulièrement son attention. Il était le plus âgé du groupe et détonnait par son accoutrement résolument plus traditionnel (Aethawa Ungava). Son visage était marbré de traits de peinture, ses cheveux noués par des lacets dont s’échappaient des plumes de paon, et il se tenait emmitouflé dans une couverture aux motifs tribaux en fumant une longue pipe en terre fine. Il jetait de temps à autres un coup d’œil furtif à la jeune femme, sans pour autant chercher à accrocher son regard.  

Au bout de quelques minutes de silence, le jeune homme sembla répondre à l’attente des autres en prenant les paroles. Mais il ne s’adressa pas à Eugénie. Il parla dans leur langue, le wendat. Les autres jouèrent le jeu et lui répondirent peu à peu, semblant continuer une discussion déjà commencée. Ils semblaient décidés à ne pas faire cas de la présence d’Eugénie, et la jeune femme s’en fit une raison. Elle sortit de sa besace des restes de viandes séchée et mangea auprès d’eux, en silence. Au bout d’un moment, les Indiens se levèrent et se dispersèrent, sans un mot de plus à la jeune femme. Elle regarda le jeune homme disparaître, accompagné de sa jeune épouse et de leur enfant, dans une petite maison de bois. Elle se releva à son tour et retrouva son paquetage. Elle installa sa tente de fortune auprès de la rivière, à quelques pas des premières habitations. Avant de s’y enfermer, elle regarda le village où toute trace de lumière avait disparu. Elle savait que sa mission n’allait pas être simple.  

 

 

Lorsqu’elle émergea de sa tente le lendemain matin, le soleil était levé depuis quelques minutes à peine. Elle fut néanmoins surprise de voir que la vie avait débuté dans le village et qu’elle n’avait rien entendu. Plusieurs Hurons s’étaient regroupés au pied d’un grand sycomore. Ils étaient assis en cercle, dans l’herbe, et écoutaient l’un d’entre eux s’exprimer dans leur langue. Eugénie s’approcha d’eux. Là encore, elle n’attira que très peu de curiosité sur elle. Ils semblaient s’être passé le mot, résolus à l’ignorer complètement. Elle s’assit en tailleur légèrement en retrait et écouta l’homme s’exprimer. Elle comprit de quoi il s’agissait. Cette cérémonie quotidienne se pratiquait également dans la communauté huronne qu’elle avait pratiquée à Québec. Lorsque l’homme termina son récit, il reçut une succession de hochements de têtes pensifs et silencieux. L’attention des membres du groupe se tourna alors vers une vieille femme proche du conteur, et elle entama à son tour un récit. Eugénie écouta patiemment les Indiens s’exprimer, chacun leur tour. Et lorsque son propre voisin eut terminé de parler, elle éleva la voix à son tour. Elle parlait un Wendat approximatif, mais suffisamment limpide pour surprendre l’assemblée et attirer, enfin, leur curiosité.  

Elle leur conta sa rencontre de la nuit dernière avec un jaguar menaçant. Mais au lieu de fuir ou de le combattre, elle l’avait écouté. Et le jaguar avait ensuite accompagné son voyage à travers la plaine pour lui montrer le chemin. Elle avait inventé ce rêve de toutes pièces, mais elle reçut en retour des hochements de tête respectueux et pensifs, avant que son autre voisin prenne son tour de parole. Elle était ravie mais se cacha bien de le montrer. Elle avait marqué des points. Elle connaissait l’importance que les Hurons portaient aux rêves, et qu’ils se regroupaient chaque matin pour se les raconter et méditer sur leur signification. Le jeune homme qu’elle avait remarqué avec son épouse la veille la fixait encore. Mais elle n’arrivait pas à savoir avec quel sentiment.  

Lorsque le dernier d’entre eux eut raconté son rêve, tous se relevèrent et rejoignirent les autres membres de leur tribu, affairés à leurs tâches quotidiennes. Mais le jeune homme resta en arrière et s’approcha d’Eugénie. Elle fut surprise de l’entendre s’adresser à elle en français.  

« Vous êtes l’institutrice ?  

- Alors vous saviez que je viendrais ?  

- Un marchand nous a prévenus lors d’un de ses passages. Je suis Tekoa, le chef de ce village. »  

Il se dirigea vers le cœur du village et elle marcha à ses côtés. Il lui montra un tipi sur lequel la jeune femme enceinte qui l’accompagnait la veille était occupée à recoudre quelques pans de peau déchirés.  

« Ce tipi est pour vous. Voici ma femme, Oneida. »  

Eugénie salua la jeune femme, qui lui répondit par un hochement de tête timide.  

« Vous parlez très bien français.  

- Nous n’avons pas toujours vécu ici. Lorsque je n’étais pas encore un homme, nous étions installés près de Trois-Rivières. Les évangélistes nous ont appris le Français, et votre religion.  

- Pourquoi êtes-vous partis ?  

- Parce que nos anciens avaient perdu le contact avec les esprits. Vos coutumes ne nous convenaient pas. »  

Eugénie regardait autour d’elle. Des hommes apportaient des belettes et des castors, probablement chassés dans les environs, et les déposaient aux pieds de femmes qui les dépeçaient et grattaient leur peau. La vente de fourrures était, à sa connaissance, le seul négoce qui liait encore cette tribu aux autres Canadiens. D’autres membres du village s’éloignaient vers les cultures de maïs qu’Eugénie avait aperçues à son arrivée. Parmi eux, autant d’adultes que d’enfants. Eugénie se tourna vers Tekoa.  

« Je suis venu enseigner à vos enfants le français et les mêmes connaissances qu’aux autres enfants de ce pays. Cela vous pose-t-il un problème ?  

- Je n’ai pas l’intention de vous en empêcher, si c’est la question que vous vous posez. Mais vous devrez vous débrouiller. Les connaissances que vous amenez et votre religion ne sont qu’une partie infime de ce qui existe en ce monde, c’est pour cela que nous ne nous sommes pas plu auprès des vôtres. Certains d’entre nous ne verront pas vos efforts d’un bon œil. »  

 

 

Le temps passa et Eugénie parvint à convaincre quelques familles de lui confier leurs enfants. D’autres ne voulaient pas en entendre parler. Eugénie avait le plaisir de voir, à ses cours, venir parfois même quelques adultes. Oneida, la jeune épouse de Tekoa, accompagnait souvent leur fils ainé, Anoki (Damien Leblanc), et s’attardait à écouter Eugénie. Dans ces cas-là, l’institutrice choisissait de s’intéresser au grand Atlas qu’elle avait amené avec elle, car elle avait remarqué la lueur d’intérêt que le sujet allumait dans le regard de la jeune Indienne lorsqu’elle posait ses yeux dans le livre. Son fils Anoki était l’un de ses élèves les plus assidus et les plus attachants. Son nom voulait dire « comédien », et Eugénie s’amusait de voir à quel point il ne l’avait pas volé. Il apprenait la langue française à une vitesse ahurissante et témoignait d’un esprit et d’un humour parfois tumultueux, mais irrésistible.  

Eugénie trouvait pas à pas sa place dans le village. Chaque jour, Tekoa trouvait un moment pour l’accompagner dans une promenade dans les environs. Il lui parlait de l’histoire de sa tribu, de leurs coutumes, de leurs croyances. Eugénie appréciait particulièrement ces moments. Peut-être trop, elle s’en rendait compte. Tekoa était beau et son esprit serein, éclairé. Mais il était marié, et bien avant cela, il était Indien…  

C’était pour cette même raison qu’Oneida ne disait rien non plus et les regardait fréquemment s’éloigner du village avec une douleur de plus en plus palpable au creux du ventre.  

 

Un jour, Sahale, le vieil homme aux plumes de paon, s’approcha de la jeune épouse de Tekoa. Il suivit son regard et vit le chef de son village marcher de l’autre côté de la rivière, en pleine conversation avec l’institutrice. Il s’adressa à Oneida.  

« Tu dois parler à ton époux. Cette femme n’a rien de bon à faire au milieu de nous, et encore moins au milieu de Tekoa et toi. »  

Oneida se sentit honteuse d’avoir été prise en train de les observer. Elle se détourna.  

« Ils ne font rien de mal.  

- Tu es seule juge. Même si tu juges mal.  

- Et elle ne fait rien de mal dans le village. Au contraire. Elle apprend à nos enfants des choses importantes.  

- Les Français ne croient qu’en un esprit simple et sanglant. Ils ignorent tous les autres esprits, et traitent bien mal nos esprits de la nature. Rien de bon ne peut venir des sciences de cette femme.  

- Tu vis dans un autre temps, Sahale.  

- Peut-être. Mais c’était un temps heureux, que ces Français ont mis à feu et à sang. Si nous nous sommes retirés ici, c’est pour nous préserver d’eux. »  

La jeune femme ne lui répondit pas et s’éloigna. Sahale resta immobile, le regard posé sur Eugénie qui souriait à Tekoa.  

 

 

A plusieurs heures de chevauchée, dans le bourg de Saint-Honoré, un homme (Marc Mesnil) pénétra dans une pension de famille. Il portait sur lui la saleté et l’odeur d’un long voyage à pied. Ses vêtements et la carabine qu’il portait sanglée dans son dos trahissaient sa condition de trappeur. Il s’adressa à la patronne et lui montra un daguerréotype montrant une jeune femme, posant dans une tenue de mariée. C’était Eugénie. La vieille femme acquiesça.  

« Je me souviens d’elle, elle a dormi ici il y a plusieurs semaines. La pauvre, elle s’était mise en tête de rejoindre ces Hurons sauvages qui se sont retirés à quelques jours d’ici. Je lui ai dit qu’elle commettait une erreur, et je n’ai pas été la seule ! Mais elle ne nous a pas écoutés, et nous ne l’avons plus revue. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Elle est de votre famille ?  

- C’est ma femme. »  

La voix de l’homme était dure, et son regard sombre.  

 

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Un film de Paul BIRDNAM  

Sur un scénario original du Corbeau  

 

Avec  

Katia OBLOMOV - Eugénie Blanchard  

Baya SANTIAGO - Tekoa  

Marc MESNIL - Blanchard  

Courteney CAMPBELL-SEASONG - Oneida  

Aethawa UNGAVA - Sahale  

Damien LEBLANC - Anoki  

 

Sur une musique de Lea CHUSID  

Scénario : (2 commentaires)
une série A sentimentale (Drame/Western) de Paul Birdnam

Baya Santiago

Katia Oblomov

Marc Mesnil

Courteney Campbell-Seasong
Avec la participation exceptionnelle de Aethawa Ungava, Damien Leblanc
Musique par Lea Chusid
Sorti le 10 août 2035 (Semaine 1597)
Entrées : 26 677 617
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