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Les Films du Corbeau présente
Ya Nui

Rawaï Beach, île de Phuket, Thaïlande, 2007.  

BO : https://www.youtube.com/watch?v=Eq6w1pZulFg  

 

Sayan (Baya Santiago) voyait les cartes défiler sans vraiment comprendre les règles du jeu. Il était ivre et avait trop fumé. Mais le tas de jetons posé devant lui était suffisamment fourni pour qu’il maintienne l’illusion… Au-dehors de la paillotte, le tonnerre grondait sourdement, au loin. A cette époque de l’année, la chaleur était telle en journée que l’orage éclatait chaque soir, dès la tombée de la nuit. Il rafraichissait l’air, bien qu’il resta malgré tout moite et collait les vêtements sur la peau. Il chassa les insectes qui tournoyaient autour de son visage et autour du néon au-dessus de leur tête. Il appréciait particulièrement venir s’oublier dans le quartier gypsy de la ville, où les étrangers étaient rares et où les habitants à la peau sombre ne questionnaient pas, ne jugeaient pas.  

Il but une nouvelle gorgée de bière. Il rit à l’ânerie qu’il supposa avoir entendu. Il était encore conscient de ses mouvements et de ses paroles. Il lui fallait plus d’oubli. Il se leva, manqua de s’écrouler sur son voisin, et s’éloigna. La place du marché devait être vidée à cette heure et se serait probablement remplie de la faune nocturne. Il tâtonna sa poche et vérifia qu’une liasse de bats s’y trouva bien. Il pourrait acheter là-bas de quoi dormir sans rêver.  

 

Nils (John Mears) le regarda monter les escaliers en se prenant les pieds une marche sur deux. Quand il était dans cet état, Sayan semblait avoir 10 ans de plus… Le jour était sur le point de se lever. Il hésita à lui claquer la porte au nez. Mais sa porte ne fermait pas à clef de toute façon. Et il n’arrivait pas à fermer la porte devant Sayan. Nils était venu sur l’île de Phuket pour la photographier après le passage du tsunami qui avait tout ravagé, ce jour noir de décembre 2004. Il n’en était plus reparti. Au cours de l’année dernière, il avait rencontré Sayan.  

- Khun Nils, vous êtes très en beauté ce soir, dit Sayan en ricanant.  

- Pas toi.  

Il lui tourna le dos et le laissa aller se vautrer sur le canapé. Avant de retourner se coucher, il alluma tout de même le ventilateur électrique au plafond du salon, histoire de lui aérer la tête. Nils se recoucha, mais ne trouva pas le sommeil. Il aimait trop Sayan, et cet amour lui faisait mal. Car Sayan était nocif. Sayan était une épave. Quand il était sain, il était le plus formidable des hommes. Mais il n’aimait pas rester sain. Et s’enfonçait chaque soir plus profondément, tentant d’oublier ses fantômes.  

Nils savait qu’il n’avait aucune chance dans cette histoire. Entre lui et Sayan vivait un fantôme. Un fantôme qui s’appelait Boonrit.  

 

*  

 

Sayan sortit d’une maison aux planches de bois et au toit de tôle. La petite fille à qui il venait de rendre visite s’était entaillé la jambe, mais la blessure ne s’était pas infectée. Il était occupé à rangert ses instruments médicaux dans sa mallette quand son attention fut attirée par un mouvement dans le ciel. Il ne comprit tout d’abord pas ce qui se passait. Les oiseaux sillonnaient l’air en se rassemblant dans un drôle de ballet. C’était étonnant, à cette heure chaude de la journée. Puis il se rendit compte qu’ils fuyaient tous dans la même direction, de l’autre côté de la colline. Puis il aperçut un couple de gibbons traverser le jardin. Puis un gecko jaune les suivre à fond de train. Puis un chien. Tous fuyaient dans la même direction. Que diable fuyaient-ils ?  

Sayan regarda dans la direction opposée de leur course. La colline déclinante lui offrit une vision dégagée sur la mer d’Andaman. Et il sentit son sang glacer dans ses veines. Une vague gigantesque approchait à une vitesse folle du rivage. La côte allait être dévastée. Le mur d’eau fonçait tout droit sur la plage de Ya Nui, un kilomètre plus bas que l’endroit où il se tenait. Son ventre se contracta. Boonrit…  

 

Sayan se réveilla en sursaut. Il était en sueur. Des pulsations de douleur lui vrillaient les tempes. Il fixa le plafonnier dont les lames tournaient dans le vide, et reconnu l’appartement de Nils. Il était sur son canapé. Tout se remettait en place. Il respira. Mais il était frustré. Tout ce qu’il avait cherché à faire ce soir-là pour ne pas rêver avait échoué. Il était retourné à Ya Nui, encore.  

L’image de Boonrit était encore gravée sur sa rétine. Boonrit, emporté par une vague monstrueuse. Bonnrit, dont on n’avait pas retrouvé le corps et dont il n’avait pas réussi à faire le deuil. Lentement, douloureusement, il se rendormit.  

 

*  

 

Nils terminait son café noir. Sayan était assis dans le canapé, les yeux dans le vide, les traits tirés. Une tête de déterré. Il cuvait en évitant son regard. Nils eut envie de le provoquer.  

- Tu travailles à quelle heure ?  

- Dans une demi-heure.  

- Tu sens mauvais. Si tu n’es pas capable de tenir un scalpel, tu pourrais au moins avoir la délicatesse d’une petite douche pour épargner tes patients.  

Sayan lui renvoya un regard noir.  

- Je vais bien.  

- C’est ça…  

Il avait envie d’une dispute. Mais il n’avait pas le temps. Et puis quand Sayan était désarmé, comme il l’était, là, devant lui, il n’avait pas envie de frapper. Il l’aimait trop. Il ferait mieux de mettre un terme à cette histoire. Mais il n’en avait aucune envie.  

- Faut que j’y aille.  

- Tu vas où ?  

- Je te l’ai déjà dit, j’ai un sujet photo à Phuket Town. J’y reste jusqu’à ce week-end.  

- Ah…  

Avant de sortir, Nils fit finalement demi-tour et s’approcha de lui. Il l’embrassa. Ils se fixèrent quelques secondes en silence.  

- Fais plus attention à toi.  

- Toi aussi.  

Nils était sur le point de refermer la porte d’entrée, quand Sayan le rejoignit.  

- Dis, tu aurais le temps de passer au commissariat de Phuket d’ici ce week-end ?  

- Pourquoi ?  

- Voir s’ils ont remis la liste à jour.  

Nils ne répondit pas et s’éloigna. Il était énervé. Cette liste, toujours… Même trois ans après le drame, les autorités thaïlandaises continuaient de tenir la liste des disparus à jour et de les identifier, de les déclarer morts faute d’espoir de retrouver leur corps. On n’avait jamais fait le bilan exact des morts du tsunami. On avait seulement compté les corps des touristes. Il se disait que si on connaissait le nombre des morts thais, ce serait trop effroyable. Sayan espérait toujours du nouveau concernant Boonrit. Avoir le fin mot de l’histoire, la confirmation, une bonne fois pour toutes, de sa mort.  

Sayan avait toujours dit à Nils que Boonrit était son frère. Mais Nils savait très bien qu’il n’avait pas de frère. Boonrit était son amant, et à ses yeux, un fantôme qui le séparait continuellement de Sayan. Il eut envie de lui répondre non, qu’il en avait ras-le-bol de sa liste. Mais il savait qu’il le ferait. Nils désirait autant que lui avoir la preuve de la mort de Boonrit. Qu’il soit enterré une fois pour toutes et qu’il les laisse enfin poursuivre leur vie.  

 

*  

 

- Docteur Sirhindorn, vous allez bien ?  

- Oui.  

L’infirmière avait noté son teint pâle et ses yeux vitreux. Aujourd’hui néanmoins, il était propre. Les autres jours, il retrouvait ses couleurs au fur et à mesure de l’action rencontrée au cours de la journée. Il restait un excellent médecin, même s’il était évident pour tous qu’il n’était plus que l’ombre de lui-même. Ils s’arrêtèrent devant la porte d’une chambre d’hôpital. Sayan l’interrogea du regard.  

- Astrid, la jeune noyée.  

Ils pénétrèrent dans la chambre. Une jeune femme à la chevelure rousse (Gaby Virmarsson) était alitée. Un infirmier était assis à ses côtés et changeait ses pansements, laissant entrevoir les plaies qui lui sillonnaient la jambe et les bras. Elle était éveillée. Sayan se reconnût dans ses yeux creusés de fatigue et sa pâleur.  

- Je vais terminer les pansements.  

L’infirmier sortit. Sayan s’assit à sa place et poursuivit de nettoyer les plaies. Elles avaient été causées par les rochers contre lesquels les vagues avaient entrainé le corps de la jeune femme. Sayan la regarda, mais elle fixait son regard sur ses plaies.  

- Votre famille n’a pas été contactée ?  

- Je suis seule.  

- Ils sont restés au pays ?  

- Non, ils sont morts.  

- Je suis désolé.  

Elle ne répondit pas. Puis poursuivit d’une voix faible.  

- Le tsunami.  

- Où cela ?  

- A Ya Nui Beach.  

Ya Nui. Encore.  

- C’est sur cette plage que cela vous est arrivé ?  

- Oui.  

- Vous êtes tombée d’un rocher, c’est bien cela ?  

- Oui.  

Elle détourna le regard.  

- Il n’y a qu’un rocher sur cette plage.  

- Oui.  

Sayan était persuadé qu’elle n’était pas tombée du rocher.  

- Moi aussi, j’ai perdu quelqu’un de cher à Ya Nui. Moi aussi, je suis monté sur ce rocher.  

Elle le regarda dans les yeux, cette fois-ci. Intensément.  

- Mais je ne suis pas « tombé ». J’ai rebroussé chemin.  

Les yeux de la jeune femme se remplirent de larmes.  

 

*  

 

BO : https://www.youtube.com/watch?v=IYGl-l0Toig  

 

Nils pénétra dans le Sunlight Bar. Les enceintes y criaient de la musique et des projecteurs palpitaient de lumières criardes. Les tables étaient disposées autour d’une piste de danse où des hommes et des femmes, jeunes, ondulaient sur une même chorégraphie. Chacun était vêtu d’une tenue de soirée sexy, les femmes maquillées à outrance, et chacun dansait dans des mouvements joyeux et sensuels. C’était la particularité du Sunlight bar : les serveurs et serveuses y assuraient le show. Pendant que certains s’occupaient du service, une demi-douzaine d’entre eux dansaient et charmaient les clients.  

Nils s’assit et regarda autour de lui. Quelques hommes à la peau blanche, quelques couples de touristes, quelques thais également venus s’égayer après leur journée de travail. Nils détestait ces endroits, mais il avait besoin de s’entourer de bruit. Dans le silence, il pensait à Sayan. Et cela lui faisait mal.  

Il observa les danseurs. Ils avaient tous une vingtaine d’années. Quelques hommes, certains efféminés, et autant de femmes. Parmi elles, certaines avaient les traits plus masculins, ou la musculature propre aux « ladyboys ». Nils n’était pas sûr de savoir distinguer chacun d’entre eux, car certains étaient parvenus, par un maquillage subtil ou une chirurgie précise, à se transformer en femmes aussi gracieuses que les autres. Nils se prit à observer chacune des danseuses pour trouver la faille et découvrir, peut-être, leur nature secrète. C’était comme un jeu. L’une d’entre elles (Courteney Campbell-Seasong) attirait particulièrement son attention, car elle était de loin la plus belle et la plus sensuelle. Elle était lourdement maquillée et cachait une partie de son visage derrière une perruque bleue électrique, si bien que Nils n’arrivait pas à se persuader qu’elle n’avait rien à dissimuler.  

Elle se rendit compte de l’insistance de son regard et lui répondit par de fréquents sourires. Quand vint le moment de laisser la place sur la piste de danse à une autre serveuse et reprendre le service à son tour, elle se dirigea vers lui pour prendre sa commande. Lorsqu’il lui régla son verre, il rajouta un billet de 100 bats qu’il glissa dans la bretelle de sa robe, comme le voulait la coutume du bar. Flattée, elle resta partager un verre à ses côtés. Elle aimait son regard d’acier. C’est lui qui parla le premier.  

- Comment vous appelez-vous ?  

- Kim.  

- J’ai l’impression d’avoir déjà vu votre visage. Nous sommes-nous déjà rencontrés ?  

- Non, je pense que je m’en souviendrais !, répondit-elle en riant.  

- J’habite à Rawai Beach. Vous y allez peut-être de temps en temps ?  

Le visage de Kim se referma légèrement.  

- Non, je ne vais jamais par là-bas. Il faut que je retourne danser. Restez, je suis sûre que cela vous plaira.  

 

Nils tournait dans son lit en pensant à Sayan. Il n’aimait pas l’imaginer seul à Rawai. Chaque nuit, il le voyait pousser plus loin les excès. A la poursuite de son fantôme. Habituellement, Nils imaginait Boonrit grâce aux rares photos que lui avait montrées Sayan. Un visage flou et harmonieux, un visage qui représentait bien malgré lui une menace pour Nils. Mais ce soir-là, il se surprit à lui donner le visage de Kim. Cette pensée le troubla.  

 

*  

 

Sayan se glissa dans la chambre d’Astrid. Elle dormait. Ce qui n’avait rien d’étonnant en plein milieu de la nuit. Il l’observa en silence. Les blessures sur son visage jaunissaient, signe de guérison. Il avait passé une partie de l’après-midi à discuter avec elle. Elle n’avait plus besoin de ses soins. Ses blessures n’étaient pas graves, et sa détresse psychologique était destinée à l’attention d’un thérapeute, ce n’était pas son travail. Mais il se sentait touché par elle, car il y reconnaissait sa propre détresse. Astrid était une jeune islandaise qui avait perdu les siens, emportés par la vague, ce maudit matin de décembre. La laissant seule au monde. Traumatisée par le tsunami, elle était pourtant revenue en Thaïlande pour arpenter cette plage où elle avait tout perdu. Et où elle avait tenté de se perdre à son tour. Ce besoin de se confronter à la mort et à l’angoisse qui l’envahissait dès qu’elle s’approchait de cette plage, il le comprenait. C’était la même raison pour laquelle il ne s’était pas enfui de Rawai. Et c’était la même raison pour laquelle il venait attendre, plusieurs fois chaque semaine, le lever du soleil à Ya Nui. Pour voir si la vague ne revenait pas, et ne l’entrainerait pas à son tour. Pour peut-être retrouver Boonrit.  

 

*  

 

Dans les toilettes du bar, Kim releva sa longue chevelure noire et l’enferma dans une nouvelle perruque. Ce soir, elle serait rouge. Elle corrigea la trace de maquillage sensée adoucir la courbure de son nez. Puis elle sortit et se prépara à prendre son service du soir. Ses collègues avaient déjà envahi la piste de danse.  

Lorsqu’elle entendit son nom, elle se retourna par réflexe. Dans la même seconde, elle prit conscience du nom qui avait été utilisé et se figea. En face d’elle se tenait le jeune homme de la veille. Il la fixait de son regard d’acier.  

- Qu’avez-vous dit ?  

- Je vous ai appelé Boonrit.  

Son sang se glaça. Elle n’avait plus entendu ce nom depuis plusieurs années. Et elle n’avait plus à se reconnaître dans ce nom. Elle lui tourna le dos et se dirigea vers la piste de danse. Mais il la retint par le bras.  

- Attendez…  

- Lâchez-moi !  

- Sayan vous crois mort, vous savez ?  

Sayan… Un autre nom sorti du passé, comme une pointe enfoncé dans son estomac. Elle ne pouvait pas y faire face. Elle était sur le point d’exploser en sanglots.  

- Je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que vous voulez. Mais vous vous trompez de personne. Je m’appelle Kim !  

Elle rejoignit la piste de danse et rattrapa la chorégraphie de ses collègues. Elle vit l’Européen sortir du bar. Elle dansait mécaniquement, les gestes y étaient. Mais elle dû s’arrêter. Car ce soir, elle n’y arriverait pas.  

 

Nils faisait les cent pas sur le port de Phuket, le regard au le sol. Il avait mal au ventre, tellement ses nerfs étaient à fleur de peau. Boonrit n’était pas mort… Boonrit était devenu une femme… C’était insensé. Mais ce qui le tourmentait surtout, c’était de savoir s’il devait le dire à Sayan.  

Qu’adviendrait-il si Sayan était mis au courant ? Retrouverait-il Boonrit derrière sa nouvelle nature ? Choisirait-il Kim ? Et qu’adviendrait-il de Nils ? Il savait que les sentiments de Sayan pour lui ne tenaient qu’à un fil. Pourtant, il n’avait pas perdu espoir que son deuil se fasse et que lui-même parvienne à combler le vide laissé par Boonrit. Ne fallait-il pas continuer et oublier Boonrit une bonne fois pour toutes ?  

 

 

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Un film réalisé par Fano TOENGA TE POKI  

Sur un scénario original du Corbeau  

 

Avec  

Baya SANTIAGO - Sayan Sirhindorn  

Courteney CAMPBELL-SEASONG - Kim  

John MEARS - Nils  

Gaby VIGMARSSON - Astrid  

 

Musique composée par Lea CHUSID  

BO : 1) https://www.youtube.com/watch?v=Eq6w1pZulFg  

2) https://www.youtube.com/watch?v=IYGl-l0Toig  

Scénario : (3 commentaires)
une série B dramatique de Fano Toenga Te Poki

Baya Santiago

Courteney Campbell-Seasong

John Mears

Gaby Vigmarsson
Musique par Lea Chusid
Sorti le 06 juillet 2035 (Semaine 1592)
Entrées : 15 537 597
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