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Les Films du Corbeau présente
Marybell et l'intrigant Mr. Swann

Londres, 1888  

 

Les talons de ses bottines résonnaient sur les pavés humides. Hormis quelques chats errants qui fuyaient à son approche, la ruelle obscure était vide. Elle entendait le son de voix nasillardes et de musique s’élever d’un quelconque tripot voisin. Marybell Smith (Earinn Stone) était en retard, sinon elle n’aurait pas traversé cette venelle qu’elle évitait habituellement. Mais la nuit s’était installée sur le quartier de Whitechapel et l’heure du couvre-feu que lui avait imposé son père était dépassée depuis un moment. Elle n’avait pas vu l’heure passer en compagnie du père Stuart. Elle avait tenté de lui confier ses inquiétudes, lui parler de son drôle d’état. Il avait ressenti son trouble, mais elle n’avait pas réussi à s’ouvrir. Il l’avait compris et l’avait respecté.  

Elle resserra le châle troué qui recouvrait ses épaules et contourna un bac d’immondices mal odorantes, renversé sur les pavés, dans lequel fouillaient des chats affamés et contourna l’angle de la ruelle. Le visage tourné vers ses chaussures, elle ne vit pas la silhouette de l’homme dans lequel elle se cogna.  

« Pardonnez-moi, Monsieur. »  

Elle leva à peine les yeux vers son visage, qui de toute façon n’était éclairé par aucune lanterne, mais senti l’odeur d’oignons et de vin frelaté qui se dégageait de son haleine. Elle le contourna, mais l’homme agrippa son bras.  

« Minute. »  

Elle lui renvoya un visage apeuré. Il lui serrait le poignet.  

« Où cours-tu comme ça ma belle ? On peut causer…  

- Lâchez-moi, s’il vous plait ! »  

Mais l’homme resserra son étreinte et l’attira brusquement contre le mur. Il ricana et promena une main brutale contre l’échancrure de ses reins. Marybell était terrorisée et voulut crier, mais il lui plaqua une main poisseuse sur la bouche. Elle se débattit, mais il était plus puissant qu’elle. Elle glissa le long du mur et l’homme la coinça contre les pavés par la lourdeur de son corps. Elle n’arrivait plus à bouger et sentait ses mains rugueuses fourrager du côté de ses jupons.  

C’est alors qu’elle sentit la colère remplacer la peur, une colère sourde gonfler depuis ses entrailles et s’emparer progressivement de tout son corps. Elle n’avait plus peur, elle avait juste envie de mordre, de frapper, de lacérer. Soudain, l’homme fut projeté en arrière par une puissance invisible et furieuse. Son corps vint violemment frapper le mur d’une bicoque, à plus d’un mètre du sol. Il resta là un instant, des gargarismes sortant de sa bouche étranglée et les membres tremblants. Marybell le fixait avec une lueur de fureur dans le regard. Elle avait envie de l’écraser, de l’éventrer, de voir son corps se réduire en poussière. Mais elle reprit soudain contrôle sur ses nerfs et posa la main sur son front douloureux. L’homme s’écrasa au sol et resta pantelant sur le pavé, le corps perclus de soubresauts épileptiques. Marybell s’éloigna en courant.  

« Seigneur, aidez-moi ! Que m’arrive-t-il… »  

 

 

************** MARYBELL ET L’INTRIGANT Mr. SWANN **************  

Une coproduction Les Films du Corbeau & Les Flims Plalstique  

 

 

Marybell arriva en vue de sa maison, petite et sombre, enclavée dans une série de masures miséreuses de Pinchin Street. De la lumière s’échappait des volets fermés. Elle prit le temps de réajuster ses robes et poussa la porte avec crainte. Trois visages se tournèrent vers elle. C’est celui de son père (Richard Parker) qu’elle aperçut le premier. Il posa sur elle un regard furieux et menaçant. Elle sentit son sang se glacer dans ses veines. Il se tenait droit et les poings serrés. Il ne semblait pas enivré. C’était déjà ça. A ses côtés, assise sur une chaise, sa mère (Olivia Fallon) tournait vers elle un sourire béat et angélique. Comme à son habitude. Elle ne semblait pas inquiète. Mais sa mère était rarement consciente des émotions qui l’entouraient. Elle fut surprise de découvrir le troisième visage. Son parrain, Druxicle Swann (Hugh Darby), leur avait rendu visite. Elle ne l’avait plus vu depuis des mois. Il la regardait avec inquiétude.  

La voix de son père, dure, s’éleva.  

« Où étais-tu ?  

- Je… suis désolée.  

- Tu as vu l’heure ? Ta mère se faisait un sang d’encre. »  

En entendant parler d’elle, Antonia Smith tourna le visage vers son époux. A voir son expression, Marybell se douta qu’il s’agissait d’une simple formule. Antonia s’inquiétait rarement, car elle était « hors du monde ». Peut-être n’avait-elle même pas remarqué l’absence de sa fille.  

« Nous étions inquiets. Que t’est-il arrivé ? »  

C’était Swann qui s’exprimait, d’une voix plus douce. Il désignait la tâche de saletés qui recouvrait un pan de sa robe.  

« J’ai glissé sur les pavés », se contenta-t-elle de répondre. « Je suis navrée, vraiment. J’étais avec le père Stuart. Je n’ai pas vu le temps passer… Je vais vous préparer du thé. »  

Elle baissa les yeux et s’avança vers le fourneau pour poser la bouilloire sur le poêle à charbon. Pendant qu’elle s’activait, le silence retomba dans la pièce. Elle se demandait ce que Swann faisait ici. Elle aimait son parrain, si étrange et mystérieux, mais ses visites étaient rarement joyeuses. Son père et lui ne s’entendaient pas, et ses visites étaient systématiquement l’occasion de silences tendus et d’échanges de regards métalliques. Marybell n’avait jamais compris pourquoi son père acceptait de recevoir cet homme s’il le détestait autant. Il n’était pas du genre à se laisser imposer quoi que ce soit. Pourtant, à chaque fois, il gardait le silence et semblait contenir une colère violente. Swann, de son côté, s’en rendait compte mais ne se laissait pas décontenancer. Il venait voir Marybell, sa filleule, et se préoccupait assez peu de ses parents.  

Comment s’était-elle retrouvée liée à cet homme riche, si distingué, si différent d’elle et de sa famille ? Elle ne l’avait jamais su. Son père refusait catégoriquement qu’on mentionne son nom dans la maison. Pourtant, il venait rendre visite à sa filleule. Tantôt plusieurs fois dans la même semaine, et tantôt elle n’entendait plus parler de lui pendant près d’une année. Que faisait-il de son temps, de sa fortune ? Elle n’en savait rien. Il avait toujours été dans les parages, tout simplement. Offrant à Marybell des livres pour s’instruire – c’était lui qui avait payé les cours pour lui apprendre à lire et à écrire -, des tissus pour se vêtir, des douceurs sucrées parfois. Et à chacune de ses visites, brèves, il s’enquerrait de sa santé, de son humeur, et disparaissait à nouveau pour une durée indéterminée. Marybell avait de l’affection pour lui, en même tant qu’une certaine méfiance. Elle acceptait ses attentions, mais avec réserve. Car elle savait que toutes ses visites étaient suivies par une période où son père serait encore plus dur et violent que d’habitude.  

 

Swann termina sa tasse de thé et rompit la tension ambiante en se levant.  

« Marybell, suis-moi. J’ai à te parler. »  

Il l’entraina dans l’unique chambre de la maison. Alors qu’il refermait la porte sur eux, Marybell vit son père les fusiller du regard. Swann s’assit sur une chaise et l’invita à le rejoindre. Elle s’assit sur le lit, auprès de lui. Le regard de son parrain était doux mais intense. Elle avait toujours l’impression qu’il cherchait à fouiller les tréfonds de son âme.  

« Comment te sens-tu, vraiment ?  

- … Bien, Mr. Swann.  

- Tu vas avoir 16 ans dans quelques jours. C’est une étape importante dans la vie d’une jeune fille. Tu es bientôt une adulte. Beaucoup de choses changent en chacun de nous lorsqu’on approche de cet âge. L’as-tu jamais ressenti ?  

- ...Rien de très notable.  

- A ton âge, je me souviens avoir vu le monde changer autour de moi. Mais c’était moi qui changeais. Des choses étonnantes se produisaient. Des petits riens du quotidien. J’étais emporté, survolté, rempli d’émotions intenses et qui m’étonnaient moi-même. Tu vois ce que je veux dire ?  

- Pas vraiment. »  

Que cherchait-il à lui dire ? Ses mots faisaient douloureusement écho dans l’esprit de Marybell. Serait-il possible qu’il ait compris ce qu’elle traversait elle-même ? Marybell fut sur le point de s’en ouvrir à son parrain, mais elle n’osa pas. Ce qu’il lui arrivait, elle ne le comprenait pas. Cela lui faisait peur. Cela lui faisait honte. Il n’aurait pas comprit non plus.  

Swann la fixait en silence.  

« Tu sais que tu peux tout me dire, Marybell. C’est important.  

- Je le sais, mon oncle. »  

Elle mentait. Qu’espérait-il au juste ? Elle avait toujours été convaincue de sa bienveillance, mais elle ne pouvait pas lui donner toute la confiance qu’il attendait. Il était trop absent, trop mystérieux. Bénéfique pour elle, mais il mettait l’équilibre de sa famille en péril à chacune de ses visites. Elle n’avait jamais osé le lui dire, mais elle avait parfois espéré qu’il cesse de venir la voir. Le plaisir de ses visites était trop chèrement payé par ses conséquences sur l’humeur de son père…  

C’est d’ailleurs cet instant que son père choisit pour pénétrer brutalement dans la pièce.  

« Ca suffit, c’est quoi ces messes-basses ? Swann, si vous avez des choses à dire à ma fille que ses parents ne peuvent pas entendre, alors c’est qu’elles ne sont pas bonnes à dire. »  

Les deux hommes se fixèrent sombrement. Puis Swann se redressa et se tourna vers Marybell.  

« Je m’en vais. Mais n’oublie pas ce que je t’ai dit. C’est important. »  

Swann quitta la maison. Le silence s’installa à nouveau dans la cuisine. Percival Smith déboucha une bouteille de gnôle qu’il but en quelques goulées. Marybell desservit la table pour préparer le repas. Antonia, toujours assise sur sa chaise, fixait toujours la porte derrière laquelle Swann avait disparu, le regard flottant.  

« Ce monsieur Swann est vraiment très distingué », dit-elle innocemment.  

Elle ne vit pas le geste de son mari, qui leva sa main lourde de l’autre côté de la table et vint la jeter contre le visage de son épouse. Antonia s’effondra sur le sol en criant de surprise. Marybell hurla.  

« Non papa, arrête ! »  

- Toi, tiens-toi à carreau ! Si je te reprends à trainer dans les rues, tu pourras y rester pour chercher ton pain ! »  

Antonia se releva, choquée, la main sur sa joue tuméfiée.  

« Mais qu’est-ce que j’ai dit ? Mr. Swann n’est pas…»  

A ces mots, Percival se précipita sur elle et lui envoya son poing dans la figure.  

« Sombre conne, je t’ai dit cent fois que je ne voulais pas entendre son nom dans ma maison ! Comment faut te le faire entrer dans ta caboche de conne ? »  

Un coup de botte vint faire gicler le sang de la bouche d’Antonia qui ne parvenait pas à parer les coups. Marybell se jeta sur son père, mais il la repoussa avec violence et elle s’effondra à son tour sur le plancher. Il se pencha sur sa femme, l’agrippa par le col et la souleva du sol.  

« Vous me faites chier toutes les deux ! »  

Il s’apprêtait à la frapper de nouveau, elle était terrorisée. Marybell la sentit alors monter en elle. La colère furieuse. Ses yeux fixaient le dos de son père. Soudain, alors que sa poigne s’abaissait vers sa cible, Percival fut projeté dans les airs et vint frapper le mur de plâtre. La violence fut telle qu’il traversa le mur et s’écroula sur le sol de la chambre. Il disparut derrière un nuage de poussière blanche. Le silence retomba dans la pièce. La colère de Marybell s’effondra instantanément pour laisser place à la surprise, puis à la peur. C’était elle qui avait fait cela.  

Elle se redressa lentement. Sa mère était recroquevillée sur elle-même, le visage en sang. Marybell s’approcha du trou béant et, une fois que la poussière se dissipa, elle vit le corps de son père effondré sur le plancher. L’avait-elle tué ? Non. Il bougea. Elle recula, terrorisée, et avant que son père ait pu reprendre ses esprits, elle sortit de la maison et s’enfonça dans les rues de Whitechapel.  

 

 

Elle ne savait pas où aller. Elle était un monstre. Elle aurait pu le tuer, elle l’avait senti. Elle en avait eu furieusement envie. Son propre père… C’est alors qu’elle repensa aux mots de Swann. Il avait compris ce qu’elle traversait. Ses émotions violentes, nouvelles. Avait-il vécu la même chose ? Elle savait où il habitait. Elle décida de le rejoindre.  

Un mystère parmi tant d’autres dans la personnalité de son parrain, elle n’avait jamais compris comment il pouvait avoir choisi de vivre dans cette énorme maison, lugubre, dans le quartier de Whitechapel. Il était fortuné, pourquoi n’avait-il pas choisi un quartier plus distingué, moins mal famé ? Sa maison détonnait au milieu des autres. Non pas par son éclat, car elle ne semblait pas en meilleur état que les autres, mais par sa dimension. Elle poussa la grille rouillée du jardinet qui longeait le trottoir et franchit les quelques marches du perron. Elle chercha la sonnette, mais il n’y en avait pas. La maison semblait éteinte et n’encourageait pas le visiteur à s’y aventurer. Elle frappa, elle appela, mais n’obtint pas de réponse. Elle posa la main sur la lourde poignée en fer forgée et la porte s’ouvrit. Elle pénétra avec crainte. Elle n’avait jamais osé rendre visite à son parrain, qui ne le lui avait d’ailleurs jamais proposé.  

La maison était silencieuse et obscure, seulement éclairée par les lampadaires de la rue et la lumière de la lune. Elle s’aventura dans un large hall.  

« Mr. Swann ? Parrain ? »  

Sa voix résonnait dans le vide. Elle se pencha dans l’encadrement de la porte d’un salon, et c’est alors qu’elle remarqua à quel point la maison était bizarrement agencée. Aucun meuble, aucune trace de vie. De la poussière sur les vitres et les linteaux, des toiles d’araignées dans les angles du plafond. Swann vivait-il réellement ici ? La maison semblait abandonnée depuis des années.  

Après avoir visité le rez-de-chaussée, elle se décida à gravir le grand escalier en bois massif. Qui pouvait vivre dans un tel endroit ? Assurément, Swann était étrange. Mais à ce point ? En haut des escaliers, elle découvrit le seul élément de décor qui semblait habiller les murs de la maison : un tableau ancien. Marybell y reconnut le portrait de Swann. C’était bien l’homme qu’elle connaissait, avec le même visage qu’il arborait aujourd’hui. Pourtant, le tableau semblait ancien, la peinture s’écaillait par endroits. C’est alors qu’elle réalisa cette autre étrangeté concernant Swann : elle l’avait toujours connu avec le même visage. Elle se souvenait du temps où les cheveux de sa mère blanchirent. Elle gardait une image de son père lorsque les sillons de colère lui barraient le front moins profondément. Mais Swann avait toujours eu le même visage.  

Elle poursuivit son exploration des lieux et parvint à une nouvelle chambre, vide en apparence. Mais cette fois, elle sursauta quand elle découvrit un siège volumineux posé le long du mur, près d’une cheminée éteinte. Il n’était pas vide. Elle s’approcha et découvrit une silhouette bien étonnante. Sur le siège était assise une femme (Toni Bergman) à la peau blanche. Sa robe volumineuse, d’un autre temps, avait été blanche mais le temps en avait élimé la couleur. Ses grands yeux noirs étaient ouverts sur le vide. Son teint lui rappela la porcelaine, et sa coiffe blonde, presque blanche elle aussi, ses tissus et son visage était striés de toiles d’araignée. Il s’agissait à l’évidence d’une poupée, d’un pantin bien étrange et aux dimensions dignes d’une personne réelle. Marybell la trouva aussi belle, éclairée par un rayon de lune, que dérangeante.  

Soudain, elle poussa un cri de frayeur. Les yeux de la poupée avaient bougé et s’étaient posé sur elle ! Lentement, la bouche minuscule de la femme blanche s’étira en un sourire charmant et glaçant à la fois, à mesure qu’elle observait Marybell. Son corps était immobile, mais une voix douce et cristalline s’éleva dans la pièce.  

« Vous êtes très ravissante, Mademoiselle.  

- Je… Veuillez me pardonner… Je ne devrais pas être là… Je vais vous laisser… »  

Marybell, effrayée, reculait lentement, mais la voix de la femme blanche la retint.  

« Je vous en prie, restez ! Cela fait si longtemps que je n’ai pas pu observer un nouveau visage. »  

La jeune fille n’osa pas bouger pendant que le regard de la femme blanche se promenait sur ses haillons, sur ses mains, sur son visage.  

« Swann m’a tellement parlé de vous. Quel âge avez-vous ?  

- … Bientôt 16 ans, Madame.  

- C’est bien cela. »  

C’est alors que Swann pénétra dans la pièce, et il se figea de stupeur quand il découvrit Marybell. Elle se sentit prise en faute. Le front de son parrain se barra de contrariété et il se précipita vers la jeune fille, la saisit par le bras, et l’entraina hors de la pièce. Marybell entendit la voix de la femme blanche s’élever doucement.  

« Non, Swann, restez,… »  

Alors qu’ils dévalaient les escaliers, Swann s’adressa à elle avec colère.  

« Que fais-tu là, bon sang ?  

- Je suis navrée, vraiment ! Je ne savais pas… Je voulais vous voir… »  

Ils étaient parvenus dans le hall, et Swann s’arrêta brusquement. Il se pencha vers elle et l’agrippa par ses épaules.  

« Pourquoi ? Il s’est passé quelque chose ? »  

Marybell était décontenancée devant sa tension. Elle ne savait plus où elle en était.  

« … Oui, je crois… Je ne sais pas par où commencer….  

- C’est important, Marybell. Dis-moi.  

- Je ressens cette colère, par moments, et je n’arrive pas à la contrôler. Alors il se passe des choses insensées. Ce n’est pas de ma faute ! Je crois que j’ai fait du mal à mon père… »  

Swann se calma et se redressa. Il la regardait sombrement.  

« Je vois. Ces émotions dont je te parlais. Il ne faut pas que tu t’inquiètes. Rentre chez toi. Je viendrai te voir dans quelques jours, avant ton anniversaire.  

- Rentrer chez moi ? Je ne sais pas si…  

- Fais-moi confiance. Ton père ne t’embêtera pas. »  

Alors qu’elle s’éloignait de la maison, Marybell n’arrivait pas à retrouver son calme. Si elle ne devait pas s’inquiéter, pourquoi, alors, son parrain la regardait-il s’éloigner avec cet air grave ?  

 

 

Il eut raison sur un point : lorsqu’elle osa rentrer chez elle, son père ne lui causa pas de soucis car il n’était plus là. Sa mère pansait ses blessures en silence. Elle avait retrouvé son visage insouciant, voire inconscient. Marybell s’assit à ses côtés. Elle aurait voulu lui parler de ses tourments, de Swann, de cette femme blanche. Mais c’aurait été parler à un mur. Sa mère n’avait jamais été connectée au monde réel, toujours enfermée dans son monde.  

 

 

Percival Smith sifflait un broc de bière dans le pub qu’il avait rejoint. Il s’était enfoncé dans un recoin du bar et fixait la chandelle de sa table avec un regard sombre. Il n’avait pas nettoyé le sang séché qui avait perlé sur le coin de son crâne, ni la poussière blanche de ses vêtements. La nuit était avancée, et quelques braillards riaient avec la tenancière quelques mètres plus loin, sans s’occuper de lui.  

Soudain, la flamme de sa chandelle vacilla. Le visage de Percival se durcit. Il parla à voix basse, alors que personne ne lui faisait face.  

« Le moment approche, et je n’arrive plus à la contenir. »  

Si quelqu’un s’était approché de lui, il l’eut prit pour un fou, car il parlait à une chandelle de suif virevoltante.  

« Elle est bien plus puissante que je ne l’imaginais.  

- C’est maintenant qu’il faudrait jouer notre dernière carte.  

- Il faut que j’en fasse plus. Sa colère est une bonne chose, mais elle pourrait nous échapper.  

- Est-ce que je peux éloigner Swann ? Peut-être m’en débarrasser une bonne fois pour toutes ? Oui, il ne faut plus qu’il l’approche.  

- Plus ? Plus de sang, l’entourer de sang… Et la faire fuir ? Non, l’entourer de terreur. Pour l’acculer à choisir dans la peur…»  

 

 

Le vent s’était levé et soufflait dans les conduits du poêle avec violence. Marybell avait aidé sa mère à se coucher. Elle s’apprêtait à rejoindre elle-même sa couche, mais n’arrivait pas à s’y résoudre. Trop d’émotions l’envahissaient. Elle ne trouverait pas le sommeil. Et elle redoutait que son père ne revienne et ne s’en prenne à elle ou à sa mère.  

Soudain, elle entendit du brouhaha provenant de la rue, des bruits de pas précipités, des cris. Elle se rapprocha de la porte mais tarda à ouvrir. Puis elle se décida. Le vent s’engouffra dans la cuisine, il était étonnamment puissant. Elle s’avança dans la rue, à l’autre bout de laquelle quelques silhouettes munies de lanternes échangeaient des propos avec énergie. Une femme longea la rue et passa près de Marybell, elle était très pâle et cachait son visage derrière un mouchoir.  

« Madame, que se passe-t-il ?  

- C’est affreux, mademoiselle. On a retrouvé une femme éventrée. Une prostituée. Je l’ai vu. L’homme qui lui a fait ça est un monstre sanguinaire, et il rôde dans les rues… Rentrez chez vous ! »  

La femme poursuivit son chemin et disparut à l’angle de la rue. Un meurtre sauvage. Trop d’événements improbables, terribles, se produisaient ce soir. Marybell ne pouvait s’empêcher d’y chercher un lien. Les silhouettes au loin s’étaient éloignées. Marybelle s’apprêta à se renfermer chez elle, lorsque la lumière des lampadaires de la rue vacilla étonnamment, manquant presque de s’éteindre. Pourtant, les flammes du gaz étaient protégées du vent par des vitres. L’attention de Marybell fut alors retenue par une silhouette qui s’avançait à l’autre bout de la rue. Un homme, le manteau volant dans le vent. Il avançait calmement dans sa direction. Sans trop savoir pourquoi, Marybell sentit la terreur monter en elle. Elle se demanda si l’homme n’était pas son père, mais elle ne le distinguait pas encore suffisamment. Elle recula lentement. Une ombre planait sur la rue, quelque chose de sombre et de malfaisant s’avançait vers elle. Mais elle n’arrivait pas à s’échapper, une puissance invisible la tenait rivée là, en attente de ce qui allait se produire, de ce qu’allait faire cet homme qu’elle redoutait.  

Soudain, une main lui agrippa le bras et la fit crier de frayeur. C’était Swann, surgit de nulle part. Il semblait paniqué.  

« Marybell, ne reste pas là ! Nous devons fuir ! »  

Il l’entraina derrière lui et tous deux coururent dans la direction opposée à celle de la silhouette inquiétante. Swann regarda derrière lui : l’homme marchait toujours, pourtant il semblait gagner du terrain. Alors il plaqua Marybell contre lui.  

« Tiens-toi bien à moi. »  

Et leurs pieds quittèrent le sol. Marybell s'accrocha instinctivement aux bras de son parrain et un cri se bloqua dans sa gorge alors que les premières fenêtres passaient devant ses yeux. Les toits de Whitechapel apparurent, les lumières glauques de la ville s'éloignèrent pour laisser apparaître la lueur blanchâtre de la lune qui se reflétait sur les ardoises humides. Swann entraînait la jeune fille dans son envol, zigzagant entre les fumées des cheminées qui se dressaient sur leur passage. Le vertige laissa lentement sa place à une exaltante sensation de liberté. Oubliant temporairement le danger inconnu qui la poursuivait et qu’ils avaient distancé, Marybell finit par se détendre et accepta de flotter dans la brume londonienne à une vitesse vertigineuse.  

 

 

Après avoir longé la Tamise, ils s’étaient réfugiés sur le chantier du pont qui se construisait depuis deux ans sur la Tamise. Ils avaient gravi les escaliers d’une des deux tours en construction, qui valait déjà à ce projet le nom de « Tower Bridge », et s’étaient réfugiés sur un parapet qui surplombait le fleuve. Le brouillard les entourait et les protégeait des regards. Marybell avait reprit ses esprits et se réfugia contre le mur en regardant son parrain avec méfiance.  

« Mais Seigneur, qui êtes-vous donc ?  

- N’aie pas peur de moi, Marybell. Je suis là pour te protéger.  

- Allez-vous me dire ce qui se passe ?  

- Il faut d’abord que tu te calmes. C’est une histoire longue et terrible. J’ai besoin que tu sois forte. »  

Autant elle avait ressenti l’obscurité fondre sur elle dans Pinchin Street quelques minutes plus tôt, autant elle pouvait sentir la bienveillance de Swann à ce moment. Mais elle redoutait ce qu’il s’apprêtait à dire.  

« Le monde qui t’entoure depuis ta naissance n’est pas celui que tu crois, Marybell. Tu n’es pas une jeune fille comme les autres, et tu ne l’as jamais été. Tu as une importance primordiale dans ce monde. C’est pour cela que je veille sur toi depuis ta naissance. Mais je ne suis pas le seul à te surveiller.  

- Qui ?  

- C’est compliqué.  

- Qui est cette femme blanche que j’ai vue chez vous ?  

- Justement… C’est ta mère. »  

Marybell resta pétrifiée.  

« Vous dites n’importe quoi. Je ne suis même pas sûre qu’elle soit humaine !  

- Effectivement, elle ne l’est pas tout à fait. Et toi non plus. »  

C’en était trop. Marybell se redressa. Tout tournait autour d’elle.  

« Vous mentez. J’ai une mère ! Vous la connaissez ! Et je suis une fille comme les autres !  

- Je suis navré, mais Antonia n’a jamais été ta mère. Et tu sais très bien que tu n’es pas comme les autres. Ne se produit-il pas des choses étranges en toi ces derniers temps ? »  

Elle n’osa pas répondre, mais il n’était plus temps de jouer aux faux semblants.  

« Tu as des pouvoirs, Marybell. Nous le savons tous les deux. Comme tu as pu le voir, j’en ai moi aussi. Et tu vas bientôt avoir 16 ans. Le moment est arrivé où nous allons vraiment connaître l’étendue de tes pouvoirs. Alors, tout dépendra de toi.  

- Je ne comprends pas… »  

Ils furent interrompus par un événement étrange. Sur le pont qu’ils surplombaient, le brouillard émit un mouvement et une silhouette s’en détacha. Un homme marchait sur la parcelle de pont déjà construite et tourna la tête dans leur direction.  

« Swann, laisse la petite s’en aller ! »  

Marybell reconnut son père. Swann se redressa. Surprise et perdue, Marybell eut le réflexe de descendre l’escalier pour le rejoindre.  

« N’y va pas, Marybell !  

- C’est mon père !  

- Non, ce n’est pas ton père. »  

Que voulait-il dire à nouveau ? Elle ne pouvait pas écouter une parole de plus et termina de rejoindre le pont. Percival se tenait immobile, il la regardait avec dureté. Marybell était au bord des larmes.  

« Père, que se passe-t-il ? Je ne comprends plus rien. Swann me dit que vous n’êtes pas mon père…  

- Ah, il t’a déjà raconté ça ? Il n’en avait pas le droit. »  

Il n’y avait aucune trace de compassion dans sa voix. Swann les rejoignit et se positionna devant la jeune fille, face à Percival.  

« Laisse-la tranquille », dit Swann.  

« Tu n’as pas le droit de la garder avec toi, et tu le sais. Elle doit choisir elle-même quand le moment viendra.  

- Ca m’est égal. J’en prends le droit.  

- Je ne te laisserai pas faire.  

- Moi non plus. »  

Autour d’eux, immobiles et menaçants l’un en face de l’autre, le vent souffla plus fort et le brouillard se mit à tourbillonner.  

 

 

Antonia errait dans les rues de Whitechapel, sa chemise de nuit volant au gré du vent qui devenait implacable. Elle ne savait plus où elle était. Quelque chose avait relâché son étreinte sur son esprit. Elle était vide, elle n’était plus rien.  

Dans la maison de Swann, la Femme blanche ouvrit ses grands yeux et tourna la tête vers la fenêtre. Elle regarda le vent s’abattre sur les arbres et sur les carreaux, des nuages noirs prendre peu à peu le pas sur la lumière de la lune. Une fêlure vint strier la porcelaine de son front, reflétant la colère qui montait en elle.  

« Non, ce n’est pas censé se passer comme cela. »  

Lentement, elle se leva de son fauteuil, étirant les toiles d’araignées qui la recouvraient dans son mouvement, faisant voler des nuages de poussières dans les tissus de sa robe.  

 

 

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Un film de Gabor CZINKA  

Sur un scénario du Corbeau et de Ronan Cartalinatesto  

 

Avec  

Earinn STONE – Marybell Smith  

Hugh DARBY - Druxicle Swann  

Richard PARKER - Percival Smith  

Toni BERGMAN - la Femme blanche  

Olivia FALLON - Antonia Smith  

 

Sur une musique de Pavel RYE  

 

Scénario : (2 commentaires)
une série A fantastique (Ado-Gothique) de Gabor Czinka

Hugh Darby

Earinn Stone

Richard Parker

Toni Bergman
Avec la participation exceptionnelle de Olivia Fallon
Musique par Pavel Rye
Sorti le 07 septembre 2035 (Semaine 1601)
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