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Les Films du Corbeau présente
Une autre histoire

 

Allongée derrière la dune, Aann (Suri PENDRAGON) réglait son objectif en regardant le ciel. Les nuages s’amoncelaient, une pluie fine était prévue pour 5h52. Il était 5h08, le débarquement et les premiers tirs allaient débuter dans 2 minutes. Comme toujours, Aann sentit ses intestins se contracter : le trac. Même si elle n’était pas à son coup d’essai, elle était même l’une des tempo-journalistes les plus aguerries malgré son jeune âge.  

Depuis que la chaîne DEM (Deus Ex Machina) avait lancé l’émission Heure H, elle avait effectué cinq voyages temporels. La guerre de Troie, la guerre de Cent Ans, le meurtre d’Henri IV, l’assassinat de JFK : autant d’événements historiques marquants que les tempo-journalistes avaient pu filmer depuis qu’on avait inventé l’équipage temporel. Aann était rôdée à l’exercice : filmer l’événement sans se faire remarquer. Recroquevillée à plus de 500 mètres de la Sword Beach, elle attendait maintenant le début de l’attaque. La pénombre et la distance n’était pas un problème, sa caméra pouvait filmer en pleine nuit, à plus de 30 km de la cible, sans perdre aucun détail.  

5h10, le premier tir de l’artillerie navale américaine fut lancé. L’histoire s’était mise en marche, le Débarquement de Normandie commença et Aann n’en perdait pas une miette. Plus d’une heure plus tard, alors que soldats alliés et allemands se déchiraient sur le sable, elle prenait une légère collation, se débarrassait des fourmis de ses jambes, lorsque le soldat apparut : un soldat allemand arriva en courant et s’immobilisa lorsqu’il l’aperçut. Aann avait la bouche pleine, elle se figea de stupeur. Que faisait-il là ? Aucun historien n’avait signalé sa présence sur cette trajectoire. Comment était-ce possible ? Son uniforme était recouvert de sang et son visage reflétait une grande détresse. Un déserteur, vraisemblablement. La barbe ! Elle s’était faite surprendre comme une bleue. L’homme pointa son arme sur elle et aboya des paroles qu’elle ne comprenait pas. Elle avait bien des notions d’Allemand moderne, mais pas d’ancien allemand. Le soldat était angoissé, ses mains tremblaient, et Aann eut peur. Les mains en l’air, elle aurait du se sentir confiante : il lui suffisait de récupérer sa caméra et appuyer sur le bouton du bracelet magnétique qu’elle portait au poignet pour disparaître purement et simplement. Mais elle n’osait pas bouger, le soldat était beaucoup trop nerveux. Il cria encore plus fort, et Aann vit son doigt se contracter sur la gâchette. Il avait trop peur, il allait tirer. Tant pis pour la caméra, elle appuya sur le bouton…  

 

 

Elle chuta de près de 2 mètres et se réceptionna lourdement sur le sol. Elle était étourdie. Où était-elle tombée ? Où était passé la cellule de réception, et ses collègues chargés de la réceptionner ? Elle reprit possession d’elle-même et leva les yeux. Elle ne reconnut rien, absolument rien. Il faisait nuit et elle se tenait sur une place, dans une ville qu’elle ne connaissait pas. Autour d’elle, d’immenses bâtiments de fer, de bronze et de métaux divers s’élançaient vers le ciel obscur. Rien à voir avec le Paris qu’elle avait quitté quelques heures plus tôt, aux bâtiments de bois et de verre. Face à elle, une femme (Mystic SILVER) qui semblait faite de métal, aux yeux perçants et aux cheveux blonds peroxydés, la regardait dans les yeux depuis l’immense affiche placardée sur l’un des bâtiments principaux. Elle était perdue, ne comprenait pas ce qui se passait.  

Soudain, elle entendit un bruit de pas précipités. Elle se retourna et aperçut un jeune homme, un adolescent (Thor DEGAST) qui courrait dans sa direction. Il lui saisit le bras et la tira violemment en arrière.  

- Vite Aann, viens avec moi !  

Aann résista.  

- Qui es-tu ? Comment connais-tu mon nom ?  

- Je suis Pyirka, ton neveu. Mais je t’en supplie, suis-moi ! On n’a pas beaucoup de temps, ils vont s’apercevoir de l’erreur. Je t’expliquerai plus tard.  

Aann refusait de bouger. Qui était ce fou ? Son neveu ? Elle n’avait aucun neveu ! Pourtant, il avait les mêmes yeux que sa sœur Kou…  

Elle fut trop longue à se décider. A l’autre bout de la place, des cris retentirent. Elle vit plusieurs dizaines d’hommes armés courir dans leurs directions. Ils avaient tous le même visage (Jeremy HAMLISCH), un visage froid et belliqueux. Derrière eux apparut un appareil volant qui brandissait un projecteur dans leur direction. Le bruit était assourdissant. Aann prit peur. Elle actionna le bouton de son bracelet pour disparaître une fois de plus, mais l’appareil ne répondait pas.  

- Que se passe-t-il ?  

- Les drones. On a encore une chance si tu te décides enfin à bouger ton cul !  

Elle ne comprenait pas ce qui se passait, mais elle se mit à courir à perdre haleine à la suite de Pyirka. Il l’entraina dans un enchevêtrement de rues et de ruelles, d’escaliers et de sous-terrains. Les drones humains étaient toujours à leur poursuite, ils couraient bien plus vite qu’eux. Quelques projectiles la frôlèrent et frappèrent les murs de métal qui l’entouraient. Pyirka déboucha sur une nouvelle place, au bout de laquelle Aann apercevait une longue rambarde. De l’autre côté, un noir complet. Le jeune homme arriva le premier à la rambarde et, d’un saut, se tint au bord d’un vide sans fond. Il se tourna vers elle et sortit de sa poche une arme curieuse, avec laquelle il visa la jeune femme. Il appuya sur la détente, Aann se jeta au sol, effrayée. Aucune balle ne sortit, aucun son ne fut produit, mais les deux drones qui étaient sur le point de mettre la main sur Aann furent violemment propulsés en arrière. Puis Pyirka s’adressa à Aann.  

- Fais-moi confiance.  

Alors il sauta et disparut dans l’obscurité. Aann se tenait debout devant le vide. Il était fou ! Elle se retourna : les drones se relevaient, d’autres les rejoignaient, ils n’étaient plus qu’à quelques mètres d’elle. Qui devait-elle suivre ? Elle se décida pour le vide et sauta en hurlant.  

Elle tombait, tombait, et hurlait tant qu’il lui restait du souffle. La chute lui paraissait interminable. Puis elle distingua une lumière, un sol pavé s’approchait d’elle à une trop grande vitesse. Elle allait s’écraser ! Mais Pyirka actionna une nouvelle fois son arme, et Aann fut immobilisée en plein vol, jusqu’à atterrir délicatement sur le sol. Elle n’avait plus de voix, elle fixait le jeune homme et son arme avec effroi. Il sourit, fier de lui.  

- C’est un rayon apesanteur. Je l’ai piqué…  

 

 

La nuit était bien avancée et les deux fuyards s’étaient réfugiés dans une chambre miteuse de ce quartier obscur qui contrastait beaucoup avec la grandiloquence et la rutilance de la partie supérieure de la ville où Aann avait « atterri ». Dans les rues, on les cherchait : ils pouvaient entendre les troupes de drones humains et voir les torches fouiller et traquer. Aann était recroquevillée dans un angle de mur, loin de la fenêtre, encore tremblante d’émotion, et elle se réchauffait en sirotant une boisson chaude, passablement infâme mais alcoolisée. C’était ce dont elle avait besoin.  

Alors Pyirka lui raconta.  

Etant « châtain », sa vie était vouée à des tâches subalterne. Et on l’avait affecté à l’école des futurs soldats. C’est à la sortie de la caserne qu’un inconnu, un certain Anchor, l’avait approché et expliqué quelle aide on attendait de lui. Sa tante avait voyagé dans le passé, et son retour était prévu aujourd’hui, à une heure précise. Pyirka devait être là pour la recevoir et la protéger, car les forces gouvernementales voulaient mettre la main sur elle. Au cours de son dernier voyage, elle avait commis une erreur qui avait détraqué l’avenir. A cause de cette erreur, l’armée nazie avait pu repousser les troupes alliées il y avait de cela quelques siècles, en 1944. Alors le régime nazi avait consolidé son pouvoir et envahi une grande partie de l’Europe en quelques années. Au bout d’une centaine d’années, ils étaient devenus la plus grande puissance mondiale, et leurs terres s’étendaient de l’Europe entière à une majeure partie de l’Afrique, et une bonne partie de l’Asie.  

Aann n’en croyait pas ses oreilles. Quelle erreur aussi invraisemblable avait-elle pu commettre ? La seule qui lui venait à l’esprit était d’avoir laissé derrière elle sa caméra. Certes, s’ils étaient parvenus à la faire fonctionner, ils auraient pu découvrir des heures et des heures d’images, de ses missions principalement, mais aussi quelques unes de son quotidien à sa propre époque. Mais cela suffisait-il ? Les paroles de Szivin, son instructeur et rédacteur en chef, lui revinrent en mémoire : « Il est vital de ne rien altérer car nul ne peut en deviner les conséquences. » Elle comprenait maintenant à quel point il disait vrai.  

Aujourd’hui, les forces nazies étaient à la tête d’un pays totalitaire qui avait assumé et nourri toutes leurs idéologies pestilentielles. Ainsi, Aann appris que les milliards d’habitants de cette immense nation se voyaient attribuer une valeur et une fonction dans la société en fonction de leur race. Ainsi, Pyirka était-il un « châtain », et voué à évoluer dans la classe moyenne sans espoir d’évolution.  

- Et cela ne te désespère pas ?  

- Je ne sais pas, je ne me suis jamais posé la question. C’est comme ça, et ça l’a toujours été !  

- Non Pyirka. Ca n’a pas toujours été ainsi.  

Elle n’insista pas. Elle ne pouvait pas lui faire comprendre, à moins d’un tête-à-tête qui aurait duré des jours, ce que des millénaires d’histoire lui avaient apprit à elle. L’endoctrinement d’un pays comme celui-ci était trop fort. Une sombre idée passa par l’esprit de la jeune femme.  

- Et les Juifs, que sont-ils devenus ?  

- Les quoi ?... Jamais entendu parler.  

Aann comprit qu’en plusieurs centaines d’années, le peuple avait dû être totalement éradiqué de ce pays. L’idée lui donna la nausée... Elle pouvait seulement espérer qu’ils avaient trouvé refuge ailleurs.  

- Et maintenant, que fait-on ?  

- On attend le jour, et on rejoindra Anchor.  

Ils gardèrent le silence quelques instants. Aann pensa à autre chose.  

- Tu m’as dit que j’étais ta tante… Alors tu es le fils de Kou ? Où est-elle ?  

- Avec les autres porteuses, j’imagine. Moi je ne l’ai jamais vue.  

- Tu n’as jamais vu ta mère ?  

- Je suis issu de sa première portée. C’est tout ce que je sais.  

Aann ne comprenait pas de quoi il parlait. Etait-il né dans une boîte en carton sous l’escalier ? Cela faisait trop d’informations en même temps. Elle était angoissée et épuisée. Elle se tut et le laissa se reposer.  

 

 

Le lendemain, Pyirka et Aann marchaient dans la rue, camouflés chacun sous une capuche. Des soldats (réellement humains cette fois) infestaient les rues et les cherchaient sans doute. Heureusement pour eux, les trottoirs étaient bondés, et la lumière atteignait difficilement ce quartier enfoui aux tréfonds de la ville. Aussi passaient-ils facilement inaperçus.  

- Où sommes-nous, Pyirka ?  

- A Paris-2. C’est le niveau des « bruns ». Toi, tu es arrivée à Paris-4.  

Cette ville était donc Paris ? Elle en eut froid dans le dos. Une ville construite en étage, nivelant les habitants par leur race… Aann n’osait même pas imaginer à quoi pouvait ressembler Paris-1. A chaque détour de rue, elle croisait le même visage affiché sur les murs, cette femme glaçante qu’elle avait vue à son arrivée. Elle demanda à son neveu qui elle était.  

- Kassandra, notre Führer. Elle nous guide plutôt bien, elle a le don de voyance. C’est pratique !  

Aann s’arrêta. Pyirka se retourna et l’interrogea du regard.  

- Pyirka, je ne te comprends pas bien. Si tu es satisfait de ton sort, et des gens qui te dirigent, pourquoi t’es-tu mis en danger pour les empêcher de m’arrêter ?  

Le jeune homme regardait le sol.  

- Je ne sais pas très bien. Anchor m’a dit que tu étais ma tante. Nous, les enfants de porteuses, nous n’avons pas de famille. Alors je me suis dit, une tante c’est plutôt cool…  

Il avait fui sa caserne, violé l’ordre établi par sa nation toute puissante, et tout ça pour la rencontrer, elle. Aann se sentit émue, aussi bien que chargée d’une nouvelle responsabilité sur les épaules. Soudain, son attention fut attirée par un groupe d’hommes, de l’autre côté de la rue, qui travaillait à la maçonnerie d’une façade en béton armé. Un homme brun, au visage buriné, maniait une truelle.  

- Szivin !  

Elle traversa la rue en courant et rejoignit l’homme (Nathan CALVITIE). Elle se jeta dans ses bras. Szivin fut surpris, il ne put réagir car il avait les mains prises.  

- Szivin, dis-moi que tu me reconnais !  

Les autres ouvriers s’étaient arrêtés pour les regarder. Szivin la regardait avec effroi, il cherchait à s’éloigner de son étreinte. Aann ne comprenait pas sa peur. Alors Pyirka la prit par le bras et l’entraîna plus loin.  

- Tu es folle ? Tu vas nous faire repérer !  

- Mais je connais cet homme, c’est mon collègue, c’est mon ami !  

- C’est un « brun » surtout ! A la peau brune en plus. Il n’a pas le droit de te parler, voyons ! Ils pourraient le tuer pour ça. Et il ne te connaît pas, réfléchis ! Les liens que tu avais dans ton monde n’existent plus ici.  

Elle se sentit giflée par les mots de son neveu. L’idée ne lui était pas venu à l’esprit. Et Sangmor, l’homme qu’elle aimait et qui partageait sa vie… existait-il seulement dans ce monde-ci ? Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Mais Pyirka lui tira la manche.  

- Anchor est là.  

Au bout de la rue, un homme brun (Ariel COHEN) les attendait avec un regard inquiet.  

 

 

Anchor les avait emmené dans une boutique désaffectée et dont la vitrine était barricadée de parpaings. Il serrait les mains d’Aann, il la regardait avec beaucoup d’émotion.  

- Si vous saviez à quel point nous vous attendions…  

Aann appréhendait cette rencontre. Elle ne savait pas ce qu’on attendait d’elle. Alors, il lui expliqua comment ils avaient infiltrés les dignitaires nazis, les « Aryens », les purs. Comment ils avaient appris qu’ils attendaient son arrivée, qu’ils la craignaient parce qu’elle était la seule qui pouvait éventuellement revenir en arrière, et ruiner des siècles d’histoire. Pourtant, ils ne la voulaient pas morte, et ça, ils n’avaient pas réussis à comprendre pourquoi. Elle se garda bien de lui préciser que son bracelet ne fonctionnait plus…  

Il lui parla de la Führer Kassandra, à quel point elle régnait d’une main de maître sur ce monde. Elle était vénérée et redoutée parce qu’elle avait des dons de voyance, disait-on parmi le peuple. Mais le peuple ne connaissait pas les origines de la victoire nazie au XXème siècle. Et Anchor et les siens étaient persuadés qu’elle tenait ses soi-disant dons de voyance de la technologie héritée de l’erreur d’Aann, d’une façon ou d’une autre. Ils avaient également réussi à savoir que depuis des siècles, le gouvernement travaillait d’arrache-pied à recréer la technologie qui avait permis à la jeune femme de voyager dans le temps. Mais ils n’avaient visiblement pas réussi, sinon l’histoire aurait forcément prit une tournure bien plus tragique. Lui et les siens n’existeraient pas, par exemple.  

- Mais qui êtes-vous ?  

- Les enfants de David.  

Il découvrit son épaule, sur laquelle Aann put apercevoir un tatouage en forme d’étoile de David. Elle sentit une chape de plomb quitter ses épaules.  

- Vous n’avez donc pas disparus ?  

- Non, nous sommes toujours là. Peu nombreux, mais nous hantons les souterrains, et infiltrons les étages quand nous le pouvons. Nous voulons changer le monde, réparer ses erreurs. Votre erreur, Aann. C’est pour ça que nous avons besoin de vous.  

- Mais que puis-je faire ?  

- Vous devez infiltrer le sommet, découvrir où ils en sont et ce qu’ils savent. Vous devez repartir dans le passé et corriger votre erreur. Car le monde d’où vous venez vaut mieux que celui-ci, n’est-ce pas ?  

Il fixait sur elle un regard intense. Tout ce qu’il était et tout ce qu’il avait fait jusqu’à présent n’avait de sens que si la réponse d’Aann était positive.  

- Oui Anchor. Mon temps n’est pas parfait, mais il vaut mieux que celui-ci.  

L’homme brun parut soulagé. Alors il se tourna vers Pyirka.  

- Maintenant, parlons de nos plans. Cela repose encore sur toi, garçon…  

 

 

L’ascenseur montait, et Aann pouvait découvrir les différents étages de la ville. A mesure qu’ils progressaient, la ville se faisait plus lumineuse et plus prospère. Ils parvinrent à Paris-7, un quartier aéré, où la lumière du soleil réchauffait la peau et permettait à la végétation de proliférer. A la sortie de l’ascenseur, deux soldats contrôlaient les nouveaux arrivants. L’un d’eux était en armes et portait le même visage que les traqueurs de la veille : un drone sans doute. C’est l’autre, plus « humain », qui s’adressait aux arrivants. Anchor leur avait teint les cheveux en blond. Aann se trouvait ridicule et ne pouvait pas croire que la supercherie pouvait fonctionner, mais Pyirka l’avait rassurée tout le long du trajet. Et effectivement, le soldat les regarda rapidement et se contenta d’une simple question, comme aux autres :  

- Que venez-vous faire ici ?  

C’est Pyirka qui répondit.  

- Je suis issu de la première portée de Kou. J’ai 16 ans, et je viens lui poser ma question.  

Le soldat lui indiqua où la trouver et les laissa passer. Aann n’en revenait pas.  

- Vas-tu enfin m’expliquer qui sont ces porteuses, et quelle est cette question ?  

- Les porteuses, se sont elles.  

Aann regarda devant elle. Dans les rues agréables où ils progressaient à présent, les seuls passants qu’ils croisaient étaient des femmes, jeunes pour la plupart, toutes blondes et le ventre arrondi par leur grossesse, toutes visiblement paisibles.  

- Les Aryennes les plus pures sont vouées à la bureaucratie et à l’élite. Les Aryennes moins pures, qui ont des impurs dans leur lignée, ou les yeux sombres, ou vairons…  

Aann leva les yeux au ciel, il était impensable qu’une société se bâtisse sur des bases aussi superficielles…  

- … sont vouées à la procréation d’Aryens les plus purs possibles.  

- Mais toi, tu n’es pas Aryen ?  

- Ce n’est pas une science exacte. J’étais la première portée. C’est souvent la moins réussie.  

Aann eut le réflexe de le contredire, mais visiblement le jeune homme ne semblait pas ému le moins du monde par ce qu’il disait. Il récitait une vérité acceptée de tous.  

- Et cette question ?  

- Jusqu’à 16 ans, l’âge de majorité, nous pouvons décider de bifurquer, ne pas emprunter la voie qui nous est destinée. A condition que notre choix reste dans le cadre de notre race. C’est le seul moment où nous pouvons rencontrer notre porteuse, et lui demander conseil.  

Ils pénétrèrent dans un bâtiment en cuivre étincelant et s’adressèrent au soldat de garde. Il leur indiqua que Kou n’était pas ici. Elle était en réhabilitation, deux étages au-dessus. La « réhabilitation », expliqua Pyirka alors qu’ils reprenaient l’ascenseur, était la période entre deux grossesses, où les porteuses reposaient leur corps, où les médecins travaillaient à améliorer leurs portées, et où elles étaient mises à profit de l’élite en tant que petit personnel.  

Le nouvel étage était encore plus rutilant et raffiné que les précédents. Il ne restait plus qu’un étage au-dessus d’eux, et Pyirka indiqua à sa tante qu’il s’agissait de l’étage réservé à la Führer.  

A cet étage, les passants étaient mixtes. Tous blonds eux aussi, ils étaient vêtus de vêtements précieux, uniformes ou tenus de bureaucrates. Ils trouvèrent Kou (Ruth IMMEL) affairée à l’entretien des fleurs dans le parterre d’un bâtiment gouvernemental. Elle les regarda s’approcher d’elle avec une curiosité polie. Aann sentait son cœur battre fort, elle était très émue de revoir sa sœur. Mais rapidement, elle se rendit compte que son visage n’évoquait rien à sa sœur. Elle laissa Pyirka parler. Au son de sa voix, elle devina que lui aussi était ému. Il rencontrait sa mère pour la première fois.  

- Bonjour Kou. Je suis ta première portée.  

Kou lui sourit. Elle dégageait une grande bienveillance.  

- Enchantée de te rencontrer. Excuse-moi, mais je ne me souviens plus de ton nom…  

- Pyirka.  

- Tu n’es pas parfait, mais tu es tout de même très beau. Je suis ravie ! Mais je ne me souvenais pas que tu étais si blond…  

Aann était très mal à l’aise pour son neveu. Et pour sa sœur : penser que du haut de ses 25 ans, elle avait sans doute déjà donné naissance à une dizaine d’enfants…  

- Tu es venu me poser ta question, c’est ça ?  

- Pas tout à fait. En fait, je viens pour la femme que tu vois là.  

Kou tourna son regard vers Aann en souriant.  

- Elle voudrait devenir porteuse à son tour. Pourrais-tu l’aider ?  

- Elle doit être importante pour toi si tu renonces à ta question pour l’aider. Ses yeux sont très sombres, mais elle est très belle. Je vais en parler à Kassandra, elle acceptera peut-être. Venez avec moi.  

Le cœur des deux fugitifs se mit à battre à tout rompre. Etait-ce aussi facile que cela de rencontrer la Führer ? Ils ne s’y étaient pas préparés. Ils la suivirent en silence. Mais quelqu’un retint Aann par l’épaule. Elle se retourna et resta muette de stupéfaction…  

Sangmor ! (Erwan ROUX) L’homme qu’elle aimait et avec qui elle vivait heureuse dans un autre temps lui faisait face, dans un uniforme de haut dignitaire. Il était blond, et non roux comme elle l’avait connu, mais c’était bien lui. Lui aussi paraissait choqué de la retrouver ici. Oubliant toute prudence, elle était sur le point de fondre en larmes et se jeter dans ses bras, quand il lui saisit la gorge avec violence et cria :  

- Gardes, emparez-vous d’eux, ce sont les fuyards que l’on cherche !  

Pyirka sorti son rayon apesanteur, mais des drones s’étaient déjà jetés sur lui. Aann était immobilisée par la poigne de fer de Sangmor, elle fixait son regard, implorant, mais n’y trouvait que de la glace. Elle essayait de prononcer quelque chose, mais elle était étranglée. Il relâcha son étreinte. Elle reprit sa respiration et prononça :  

- Sangmor ! Je t’en supplie…  

Le soldat fut désarçonné. Il la regarda avec stupéfaction. Il avait le souffle court. Puis il reprit ses esprits et agrippa ses cheveux.  

- Je ne sais pas comment tu me connais, et pourquoi ta voix résonne en moi de cette façon, mais n’espère rien de ma part.Tu es une ennemie de la Nation.  

Il la frappa au visage avec une telle violence qu’elle en perdit conscience.  

 

 

Aann se réveilla et sentit sa tempe vibrer de douleur. Ses mains ne voulurent pas bouger, elle se découvrit assise sur un lourd fauteuil en marbre, les mains piégées dans des liens métalliques. Elle reprit ses esprits : à ses côtés, Pyirka était dans la même position qu’elle et regardait devant lui avec une crainte non dissimulée. Elle leva les yeux, et se retrouva face à cette femme, cette drôle de créature affichée partout dans les rues. Mais cette fois, elle était belle et bien là et regardait Aann avec une froide curiosité. Sa peau teintée d’argent et sa chevelure blonde, presque blanche, lisse et rigide, aurait pu donner une illusion très réussie de statue si elle n’avait pas cligné des yeux. Dans son dos, une grande baie vitrée laissait entrevoir la ville, des kilomètres de profondeur de ville. Seule la splendeur des sommets était perceptible à une telle hauteur. Kassandra prit la parole. Sa voix était suave et profonde.  

- Vous voici enfin parmi nous, Aann. Vous excuserez mon cher Sangmor. Il ne mesure pas sa force lorsqu’il est ému.  

Aann avait peur de cette femme. Son regard était acéré, et elle ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’elle se trouvait face à un Führer. Même associé à une femme, ce mot était trop lié, dans son esprit, à des millions de meurtres causés au cours d’une des guerres les plus traumatisantes des siècles passés. Kassandra s’approcha de la jeune femme et l’observa de plus près.  

- Vous rendez-vous compte que personne, dans l’histoire de l’humanité, n’a été aussi attendue que vous ? Peut-être plus encore que le Messie de l’ancienne religion… Sentez-vous ce poids sur vos épaules ?  

Aann était paralysée par la peur, incapable de lui répondre.  

- Vous êtes intimidée ? Je ne vous jette pas la pierre, je suis presque envieuse de toute l’attention que l’on vous porte depuis quelques siècles. Mais je vais vous éviter de languir. Vous méritez de savoir pourquoi vous m’intéressez tellement.  

Elle longea la pièce et la jeune femme la suivit du regard. Elle la vit s’asseoir sur un siège entouré d’armatures circulaires qui lui était particulièrement familier : l’équipage temporel ! Ici, dans ses appartements, la Führer possédait l’exacte réplique de la machine à remonter le temps qui était à l’origine de ce désastre ! Aann sentit une sueur froide couler le long de sa colonne vertébrale.  

- Vous connaissez ma petite machine ? Nous avons bien travaillé, n’est-ce pas ? C’est grâce à vous, alors je vous remercie. Mais… Elle se releva et tournait maintenant autour de l’équipage. Voyez-vous, c’est très bête. J’ai tout ce qu’il me faut, sauf une chose : le mode d’emploi ! Nous sommes incapables de la faire fonctionner !  

Aann ne put s’empêcher d’intervenir.  

- Pas étonnant, puisque son concepteur était Juif…  

Le visage de Kassandra s’assombrit, et son sourire se fit plus carnassier.  

- Voilà un mot que je n’avais plus entendu depuis longtemps… J’imagine que ce n’est pas la peine que je vous débarrasse de votre bracelet pour aller chercher la solution moi-même. S’il fonctionnait encore, vous ne seriez déjà plus ici ! Nous l’avions prévu. Alors il nous reste… vous ! Vous, Aann, vous devez bien savoir ce qui nous manque pour la faire fonctionner ?  

Aann était dans une tension telle qu’elle dut se retenir pour ne pas éclater d’un rire incontrôlé.  

- Et si je le savais, vous pensez vraiment que je vous le dirais ? Pour que vous fassiez de ce monde un endroit plus horrible encore ?  

Kassandra s’approcha du siège de Pyirka, qui assistait à cette discussion dans un mutisme exemplaire. Elle sortit de son corsage métallique un léger tube noir, qu’elle prit en main comme une lampe torche. Elle l’utilisa pour viser la jambe du jeune garçon, et pressa l’objet. Un très fin rayon bleu en sortit et se fixa sur son pantalon. Le tissu émit un léger crissement, puis le rayon atteignit sa peau. Pyirka grimaça, puis gémit, puis hurla de douleur. Kassandra relâcha sa pression, le rayon disparut. Puis elle visa la gorge du jeune homme et regarda Aann.  

- Je crois, oui…  

A ce moment, une déflagration se fit entendre au loin. Par la baie vitrée, ils virent tous trois une épaisse fumée monter dans le ciel. Une porte s’ouvrit et Sangmor apparut.  

- Ma Führer, un groupe de rebelles « bruns » vient d’attaquer le 6ème niveau.  

Kassandra se tourna vers Aann, le visage implacable.  

- Ne me dites pas que vous avez eu le temps de vous faire des petits amis depuis hier soir ?  

Elle rejoignit son bureau et appuya sur une touche. Un écran transparent apparut en lévitation face à son visage. Elle questionna Sangmor.  

- Quelle garnison de drones est sur place ?  

- La 26-B.  

Elle pianota sur un clavier invisible, sur le bureau de marbre noir, puis une image s’afficha. Des hommes bruns étaient munis d’armes et combattaient une garnison de drones. Aann reconnu le visage d’Anchor, vêtu d’un marcel noir. Kassandra le distingua aussi et zooma sur le tatouage de son épaule. Elle s’affaissa légèrement sur son siège.  

- Ca alors…  

Elle se releva énergiquement et marcha à grand pas vers la porte.  

- Je vous laisse réfléchir, Aann. Je doute d’en avoir pour longtemps. Sangmor, veillez à ce qu’ils ne s’ennuient pas.  

Elle sortit, laissant Sangmor seul face aux deux prisonniers. Pyirka se tortillait encore de douleur, ne pouvant calmer la blessure de sa jambe. Aann fixait Sangmor, émue aux larmes. Cet étranger qu’elle aimait tant. Il la regardait à son tour. Son regard se faisait dur, mais à nouveau sa poitrine vibra d’un souffle court. Aann l’avait déjà vu se comporter ainsi, lorsqu’il était furieux contre elle et qu’il combattait en lui-même pour ne pas céder trop vite à l’envie de la prendre dans ses bras. Se pourrait-il qu’il l’ait reconnue ?...  

 

 

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Un film d’Ewan NOYES  

Sur un scénario original du Corbeau  

 

Avec  

Suri PENDRAGON - Aann  

Erwan ROUX - Sangmor  

Thor DEGAST - Pyirka  

Mystic SILVER - Kassandra  

Ariel COHEN - Anchor  

Ruth IMMEL - Kou  

Nathan CALVITIE - Szivin  

Jeremy HAMLISCH - les drones humains  

 

Sur une musique de Pavel RYE  

Scénario : (1 commentaire)
une superproduction de science-fiction de Ewan Noyes

Erwan Roux

Suri Pendragon

Thor Degast

Mystic Silver
Avec la participation exceptionnelle de Ruth Immel, Nathan Calvitie, Ariel Cohen, Jeremy Hamlisch
Musique par Pavel Rye
Sorti le 24 octobre 2031 (Semaine 1399)
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