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Les Films du Corbeau présente
Allonge-toi, meurs... et crève encore

Nantes, 1957.  

 

La lourde porte en fer se referma derrière lui. Antoine Fandor tourna la tête à droite, à gauche… la rue était vide. Il alluma une cigarette.  

« Elle n’est pas venue. »  

Cela faisait bientôt 5 ans qu’elle avait arrêté de venir le voir. Elle lui écrivait pourtant, des mots courts qui ne racontaient pas grand-chose, mais elle écrivait. C’est que qui lui importait. Il n’était pas un grand bavard non plus. Mais depuis cette lettre où il lui avait annoncé sa sortie prochaine, plus un mot. C’était il y a un mois. Il pensait qu’après 7 ans de prison, il l’aurait oublié, il serait passé à autre chose… Mais ce n’était pas possible d’oublier Elisa. Il mit son imper devenu trop grand (en 7 ans, il avait perdu du poids) sur son épaule et longea le trottoir.  

 

7 ans au lieu de 12. Il s’en était pas si mal sorti grâce à sa "bonne conduite". Faut dire qu’il avait plongé pour le meurtre d’un petit truand minable, et le juge avait eu un doute sur le cas de légitime défense. Il ne l’avait pas cru, mais au moins, on avait allégé sa peine sans trop de problème. Peut-être pour le remercier d’avoir débarrassé la ville d’un branque comme celui-là… 7 ans pour un meurtre, ce n'est pas grand chose. Mais pour un meurtre qu’on n’a pas commis, c'était toujours beaucoup trop… Quand Fandor était arrivé sur place ce fameux soir, le Borgne était encore penché sur le corps du petit truand, son flingue toujours fumant à la main. Le Borgne, c’est le nom que se donnait Morlet, le gros bonnet de la pègre nantaise de l’époque. « Parce que je ne dors jamais que d’un œil », qu’il disait. Putain d’emplâtré celui-là… Il avait lâché son flingue et s’était enfui en courant. Faut dire que comme privé, Fandor avait sa réputation et le Borgne sans ses sbires n’était jamais fier de se retrouver face à lui. Un privé redouté, mais pas bien préparé ce soir-là… Comme il n’avait pas pris d’arme avec lui, il avait ramassé le flingue à côté du corps et coursé le gros Morlet. Course-poursuite sur les docks, deux ou trois bourres-pifs, et le Borgne était tombé à la flotte. Pas remonté. C’en était fini du Borgne.  

Alors la flicaille s’était rameutée, avait trouvé le cadavre de l’autre gus, trouvé l’arme qui l’avait abattu dans les mains de Fandor… Le corps du Borgne, lui, n'était pas remonté pour pouvoir porter le chapeau. Pas de témoins pour appuyer Fandor, par contre (comme par hasard…) il s'était trouvé tout un tas de témoins pour jurer que le Borgne-qu’il-repose-en-paix était ailleurs ce soir-là. Fandor n’avait pas eu le dessus et décroché le gros lot : 12 années fermes. Pire qu’un bleu sur ce coup-là…  

 

 

Il se rendit directement chez Elisa, mais personne ne répondait. La concierge ne l’avait pas vue depuis plusieurs jours… Il erra quelques heures dans les rues de Nantes avant de se décider à rejoindre le Blue Moon’s Café, l’ancien lupanar du Borgne. Pas vraiment envie de renouer avec les crapules de la grande époque, mais il avait des chances d’y trouver Elisa. Alors qu’il s’approchait de l’entrée, il buta dans un petit homme qui sortait au même moment.  

- Ca alors, Fandor ! Ah ben mon vieux, ça m’fait quelque chose de te revoir…  

Lampin, l’une des ex petites frappes du Borgne. Pas le plus malin, mais le plus futé dès lors qu’il fallait dégoter un tuyau. Il avait toujours eu Fandor à la bonne, et lui avait rendu pas mal de petits services à l’époque qui s’étaient avérés décisifs pour le sortir d’un bourbier ou deux… Et c’était probablement l’un des seuls dans cette piaule qui serait heureux de le revoir.  

- Toujours de service Lampin ?  

- Ben tu penses ! Tant que j’peux être utile… Tu m’connais ! Mais qu’est-ce que tu viens foutre dans le coin ? C’est que ça a bien changé depuis l’époque. Oh dis, tu te souviens quand…  

Lampin n’était jamais avare de bons tuyaux, mais le tout avait toujours été de démêler l’information au milieu d’un flot de paroles pas des plus intéressantes. Fandor n’était pas là pour ça, et il l’interrompit.  

- Je cherche Elisa.  

- Me dis pas que t’es toujours après elle ? (Il avait vraiment l’air ennuyé pour lui) Elle est bien mignonne, mais tu sais, y’en a pas deux pareil pour t’attirer des ennuis. J’te l’ai toujours dit.  

- Et je t’ai toujours dit ce que je faisais de tes bons conseils. Elle est là ?  

- J’pourrais pas te dire, Fandor. Je fais plus gaffe à la marchandise. C’est que j’ai une Dame maintenant, tu sais ! Oh elle est pas facile, mais pas bien méch…  

- Content pour toi mon vieux, l’interrompit Fandor en lui tapant sur l’épaule. A la prochaine.  

Il laissa là son « vieux copain » et pénétra dans le bouge.  

 

Une fois habitué aux volutes de fumées qui emplissaient la salle, Fandor retrouva l’univers familier d’hommes de tous âges frayant, assis à une table ou accoudés au comptoir, avec des créatures pour tous les genres, sirotant ensemble un whisky ou une coupe de champagne, discutant d’une voix feutrée, échangeant des regards mystérieux et libidineux tandis qu’un groupe de musiciens jouaient un jazz tranquille. Fandor alluma sa cigarette et inspecta la faune présente ce soir-là. Au comptoir, une belle brune lui tournait le dos. Un dos qu’une robe dénudait suffisamment pour deviner le début de sa croupe, promesse de bien des merveilles… Elisa aussi aimait bien se dévoiler de cette manière. Pas trop, « juste de quoi suggérer »…  

Il vint s’accouder au comptoir, aux côtés de la femme qui lui lança un regard velouté au travers de ses yeux mi-clos. Elle était superbe.  

- Fandor… Si on m’avait dit que je te reverrai un jour…  

- Salut Dora.  

Elle tirait langoureusement sur sa cigarette tout en l’observant.  

- Il y a quelque chose de changé en toi. Ta carrure. Tu es moins enrobé. Tes cheveux aussi, ils ont blanchi. Moins sauvage, mais pas mal quand même.  

- Merci, Dora.  

- Ne me dis pas que tu es venu chercher des compliments ? Si tu me dis que c’est pour mes beaux yeux, je ne te croirai pas non plus.  

- Elisa.  

Elle souffla la fumée de cigarette en un soupir de lassitude.  

- Elisa. Toujours Elisa. Le temps ne t’a pas fait changer de refrain, à ce que je vois. Elle rapprocha son visage du sien. Si tu avais choisi la brune, plutôt que la blonde, tu serais dans un meilleur état, crois-moi…  

Elle sentait l’alcool. Ses yeux mi-clos n’étaient sûrement pas qu’un simple caprice de séduction.  

- Elle est là ce soir ?  

- Non. Ca fait plusieurs jours qu’on ne l’a pas vue. Je ne m’en plaindrai pas, tu sais ce que j’en pense…  

- Comment je peux la trouver ?  

Elle souffla une nouvelle volute de fumée, visiblement lasse de l’insistance de Fandor.  

- Tu peux toujours demander au Borgne, pour ce que j’en ai à faire…  

Fandor la fixa avec dureté.  

- Qu’est-ce que tu racontes ? Le Borgne est mort.  

Elle le regarda avec ironie.  

- Pas celui-là, « l’autre »…  

Elle tourna la tête en direction d’une fenêtre qui donnait sur la grande salle, la fenêtre de l’ancien bureau du Borgne, dont un store cachait la vue mais qui laissait entrevoir des rais de lumière. Fandor regardait cette fenêtre avec animosité. Trop de mauvais souvenirs… Il laissa Dora au comptoir et se dirigea vers la porte du bureau, à l’étage. De l’autre côté de la porte, il entendait un brouhaha de paroles et de rires. Il hésita, puis ouvrit la porte.  

Quelques hommes se tenaient sur des fauteuils et des canapés, faisant face au lourd bureau de ‘feu le Borgne’, et sur lequel dansait une femme aux cheveux blonds peroxydés, presque totalement dénudée, au rythme des paroles chantées (« braillées » serait plus juste) par un homme jeune, au visage aviné et plutôt stupide, assis à la place du Borgne et qui claquait les fesses de la danseuse dès qu’il en avait l’occasion. Il riait fort, et les hommes autour de lui partageaient son plaisir, bien qu’avec plus de modération. Lorsque la porte s’ouvrit, plusieurs de ces hommes tournèrent le visage vers Fandor. Il reconnu certains visages du temps d’alors, qui le reconnurent également, s’il en jugeait par le changement d’expression qui s’opérait en eux. Le silence s’installa entre eux, mais n’arrêta pas les braillements du jeune homme qui n’avait rien remarqué. Il fallu que la danseuse s’immobilise devant la gêne ambiante pour qu’il tourne son regard vers la porte.  

- Ca alors, mais c’est Antoine Fandor !  

Gilles Morlet, le fils du Borgne. C’était un adolescent particulièrement imbécile et arrogant la dernière fois que Fandor l’avait vu. Et le temps n’avait visiblement pas grand effet sur lui, se disait-il : toujours son visage de gamin attardé malgré le beau costume, toujours ce rictus et cette voix d’idiot du village…  

Il était ivre.  

- C’est le GRRRAND Antoine Fandor ! Ne me dis pas que les argousins t’ont laissé filer ! Il riait seul.  

Un homme à la carrure impressionnante vint se placer entre lui et Fandor. Il dévisageait le privé avec une haine non dissimulée.  

- Qu’est-ce que tu viens foutre ici, salopard ? Tu fous en l’air le Borgne et tu viens repointer ta sale face de rat ?  

Morlet s’interposa entre les deux hommes, avec des gestes mal calculés.  

- Ola, tout doux, tout doux Razzano… Fandor est venu en copain, c’est pas vrai ? On oublie le vieux Borgne, il est mort, c’est du passé et tout et tout. Maintenant le Borgne, c’est moi !  

Fandor ne put s’empêcher de réagir.  

- Les chaussures ne sont pas trop larges pour toi, petit ?  

Morlet lui lança un regard noir. Puis il rit, sans grande conviction.  

- Toujours le même, le privé. Toujours à me prendre pour un cave… Mais fais bien gaffe à qui tu t’adresses maintenant. Les choses ont changé…  

Son ton était lourd de menaces, mais Fandor n’arrivait pas à être impressionné. Il était fatigué de tout ce cirque.  

- Je viens chercher Elisa. Où est-elle ?  

Morlet rit.  

- C’est pas vrai que t’en es toujours là ? Mais la belle Elisa, ça fait bien longtemps qu’elle t’a oublié !  

Alors qu’ils parlaient, la danseuse blonde avait récupéré ses quelques vêtements et passait près d’eux pour sortir. Mais Morlet l’agrippa et plaqua son corps contre le sien.  

- La belle blonde Elisa (il caressait les cheveux blonds de la danseuse), c’est une de nos meilleures… Elle a tout ce qu’il faut là où il faut (il agrippait les seins de la danseuse, qui paraissait effrayée), et elle couine comme une chienne quand tu la prends par derrière…  

Il glissait sa main le long du ventre de la danseuse, mais il n’eut pas le temps d’atteindre l’entrejambe... Fandor venait de lui décocher l’une de ses meilleures droites qui l’envoya valser contre Razzano et les projeta au sol. Par réflexe, il ramassa aussitôt le revolver qui était tombé de la veste de Razzano, et fit face aux autres hommes qui, eux aussi, avaient sorti l’artillerie. Pendant que Morlet reprenait ses esprits, les hommes se tenaient immobiles, face à face, et la danseuse en profita pour s’esquiver. Morlet se redressa et Fandor lui pointa le revolver à quelques centimètres du visage.  

- Où est Elisa ?  

- Espèce de foutu crevard, j’en sais rien où elle est cette pute. Elle a décampé il y a pas trois jours, impossible de remettre la main dessus. Mais si je la retrouve, compte sur moi pour lui faire passer l’envie de te revoir…  

Fandor n’en tirerait rien de plus. Il crut le moment bon pour reculer dans le couloir, fermer la porte et faire demi-tour. A travers la cloison, il entendait les cris de rage hystérique de Morlet. « Fais pas bon rester dans le coin… », se dit-il.  

 

A la sortie du Blue Moon’s, il héla un taxi. Alors qu’il s’apprêtait à monter, une femme l’arrêta. C’était la danseuse, qui avait eu à peine le temps d’enfiler une veste (il apercevait un sein mal camouflé) et de récupérer son sac à main.  

- Attendez. Je… Je connais Elisa. Elle a été chic avec moi.  

- Vous savez où la trouver ?  

- Non, mais si vous voulez bien m’emmener loin d’ici, je suis sûre de pouvoir vous aider à la retrouver.  

- … Comment tu t’appelles ?  

- Melody.  

- Et ton vrai nom ?  

- On s’en fout.  

Fandor la considérait en silence, puis :  

- Monte.  

 

Alors que le taxi les éloignait du bouge, Fandor faisait le point : il commençait à réaliser dans quel pétrin il venait de se fourrer le jour-même de sa sortie de prison. Tous les truands de la ville allaient vouloir sa peau, venger le Borgne (le vrai, pas l’autre moufflard).  

Et où était Elisa ? Elle avait disparu deux jours avant sa sortie de prison. Cela ne pouvait pas être un hasard… Etait-ce elle qui ne voulait pas le voir ? L’avait-on « prié » de disparaître ? Ou lui était-il arrivé quelque chose ?  

Autre chose le turlupinait : il n’arrivait pas à croire que la pègre nantaise avait laissé le jeune con du Borgne prendre la tête de son empire. C’était insensé. Ou alors, on le cadrait. Qui aurait eu le cran ? Il ne pouvait penser qu’à un nom, impossible : le Borgne lui-même. S’il ne le savait pas mort… Mais son corps n’avait pas été retrouvé. Serait-ce possible ?  

 

Le taxi les déposa devant la pension où Fandor s’était engagé auprès de la justice à loger à sa sortie de prison. Melody le suivait. Mais il n’eut pas l’occasion de pénétrer dans l’immeuble que deux agents de police l’accostèrent.  

- Antoine Fandor ?  

- Qu'est-ce qu'on lui veut ?  

- Suivez-nous s’il vous plait.  

Il alluma une cigarette, et tendit les clefs à Melody.  

- Attends-moi là-haut, mon petit.  

Puis il monta dans le véhicule des agents de police.  

 

Ils garèrent la voiture sur les docks. Fandor n’était pas menotté, mais il avançait encadré par les deux agents. Il ne savait pas ce qu’ils lui voulaient, mais cela ne ressemblait pas à une petite sauterie pour fêter sa libération… A mesure qu’ils avançaient, Fandor se concentra sur les lieux : des images lui revenaient en mémoire. Ils revenaient sur les lieux du crime, celui survenu 7 ans auparavant. Mais très vite, ils bifurquèrent et approchèrent d’un groupe d’hommes de loi, affairés au bord de l’eau. L’estomac de Fandor se crispait : ils se tenaient à l’endroit exact où le Borgne était tombé à l’eau. Il pensait à toute vitesse : "Ne me dites pas qu'ils ont retrouvé… Non, pas 7 ans après, et justement ce soir !" Pourtant, il aperçut bientôt la forme d’un être humain étendu sur le sol et recouvert d’un drap blanc. Ils s’en approchèrent et les agents le confièrent à un autre homme.  

- Monsieur Fandor ? Commissaire Janvier. (Aux agents :) Vous l’avez fouillé ?  

Les agents s’exécutèrent immédiatement et trouvèrent le revolver resté dans sa poche.  

- Un Smith & Wesson M19, ça devient intéressant. (Il se retourna vers un collègue) Je crois que j’ai l’arme.  

Il se pencha ensuite et tira le drap, découvrant le visage sans couleur d'une femme morte.  

- Vous la reconnaissez ?  

Le visage de Fandor demeura impassible, pourtant il tomba à genou. Elisa était étendue devant lui, trempée, une balle plantée en plein milieu du front…  

 

 

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Un film policier de Leonard BRUMEL  

Sur un scénario original du Corbeau  

 

Avec  

Leonard BRUMEL - Antoine Fandor  

Ruth IMMEL - Melody  

Steven ARNOLD - Gilles Morlet  

Jessica DANNA - Dora  

 

Sur une musique de Lea CHUSID

Scénario : (1 commentaire)
une série B policier de Leonard Brumel

Leonard Brumel

Ruth Immel

Steven Arnold

Jessica Danna
Musique par Lea Chusid
Sorti le 31 août 2030 (Semaine 1339)
Entrées : 15 945 160
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