Cinejeu.net : devenez producteur de cinéma ! (jeu en ligne gratuit de simulation économique)

Seskoisa Production présente
Spooky Child

François pénétra dans la pièce blanche, et aperçut la petite fille qui se tenait dans un coin, immobile.  

Richard lui avait dit qu’elle présentait un mutisme, probablement causé par le traumatisme. Elle ne semblait pas consciente de la réalité. Ses traits délicats ne trahissaient aucune émotion. Aucune crainte, ni désir de fuir. Une neutralité déroutante.  

Son regard était noir et vide. Un vide aux profondeurs abyssales, qui lui donnait le frisson. Il y reconnut immédiatement les symptômes de la catatonie.  

Ses cheveux étaient gras, entremêlés. Vaguement dégoûté, François distingua la peau au teint cireux de l’enfant, qui était tapissée de sang coagulé. Le reflet tremblotant des néons donnait un aspect encore plus cadavérique à la jeune fille.  

-Alors, Émilie, est-ce que ça va aller?  

Seul le bourdonnement harassant des néons lui répondit.  

-Tu aurais besoin de quelque chose?  

Sa conversation avec les néons se poursuivit.  

-Tu as faim? Tu veux que j’aille te chercher quelque chose à manger?  

François remarqua alors ses mains. Elles semblaient avoir littéralement baigné dans un seau de peinture rouge. Il eut un haut-le-coeur, et fit une pose. La fille continuait de fixer le néant.  

-Alors, tu veux que je te dise, je crois que tu as envie de sortir d’ici, non? Une pièce capitonnée, tu ne trouves pas ça effrayant? Moi, si. J’ai toujours détesté venir ici. Et j’aimerais bien sortir au plus vite. Tu vois, tu pourrais m’aider en répondant à mes questions. Qu’est-ce que tu en dis?  

L’enfant ne réagit toujours pas. C’était plus grave qu’il ne le pensait. Le traumastime avait peut-être causé une psychose schizophrénique, car ses tentatives pour la mettre en confiance restaient vaines. Émilie Drolet semblait aussi inatteignable qu’une huître fermée.  

-Qu’est-ce qui s’est passé? Est-ce que tu peux me le dire?  

Seul l’imperceptible soulèvement de sa poitrine indiquait qu’elle vivait encore. Légèrement agacé, le psychologue pédiatrique s’approcha de l’enfant avec une prudence calculée.  

-Pourquoi as-tu fait ça? répéta François. Tu peux me le dire.  

Les lèvres de l’enfant se séparèrent enfin. D’une voix rauque, elle murmura deux syllabes, le regard toujours aussi vague:  

-Oui-Ja.  

 

 

* * *  

 

Quinze minutes plus tôt  

 

François examinait un dossier quand Richard arriva. Il était blême et semblait exténué.  

-On a un problème, commença Richard. Il y a une petite fille.  

Il ouvrit le dossier qu’il tenait sous son bras.  

-Une certaine Émilie Drolet. Elle ne parle pas aux policiers. Elle ne répond à personne. C’est comme si elle était dans un autre monde. Alors, comme tu es un spécialiste avec les enfants...  

-Elle a quel âge?  

-Neuf ans.  

-Tu as parlé à ses parents? Elle souffrait de mutisme avant de venir ici?  

-Je ne leur ai pas parlé, ils sont morts. Elle les a tués.  

-Quoi?  

-Sa soeur et ses amies aussi.  

Richard haussa les épaules.  

-Comment c’est arrivé? questionna François.  

-Tu ne veux pas connaître la réponse.  

François soupira. Il envisageait justement de quitter le bureau.  

-Il y a combien de temps qu’elle est là dedans?  

-Un peu plus d’une heure.  

-Elle a mangé?  

-Non.  

-Elle a eu des tranquilisants?  

-Cinquante milligrammes de neuroleptiques.  

-Tu as l’air épuisé. Tu devrais retourner chez toi.  

-Je finis le rapport et j’y vais.  

Richard tourna les talons et repartit, morose, vers son bureau. François somnola un moment, et comprit qu’il ne survivrait pas sans sa dose de caféine. Il se leva en soupirant de mécontentement et alla chercher une tasse de café.  

La tâche ne serait pas aisée. Les cas de meurtres étaient rares, mais des plus pénibles.  

Hésitant un moment à fuir cet édifice à toutes jambes, François se résigna au couloir qui menait à la salle capitonnée.  

 

* * *  

 

-Qu’est-ce que tu as dit? Oui-Ja? Comme le jeu Oui-Ja?  

Elle ne dit mot. François envisageait un cas de mutisme sélectif.  

-Émilie?  

Elle cligna des paupières à l’adresse de son nom. Il en fut grandement étonné. C´était impossible. Pour une personne victime d´une crise catatonique, cette réaction était dénuée de tout sens.  

François s’approcha, les sourcils froncés.  

Du théâtre?  

-Émilie? Tu m’entends?  

Le psychologue pédiatrique se pencha en avant, tout près de la fillette. L’odeur écœurante du sang caillé le poussait instinctivement vers l’arrière, mais l’incrédulité le forçait à tenir le coup. D´aussi près, les pupilles de l´enfant ne semblaient pas aussi fixes qu’elles auraient dû être.  

François claqua des doigts, à quelques centimètres de son visage. Cette fois, Émilie cligna nettement des yeux. Il se releva en soupirant.  

-Je sais que tu m’entends, Émilie.  

Toujours aucune réaction. Elle poursuivait obstinément son numéro. S’il était impossible de dialoguer avec un patient, il ne fallait pas insister. Il en avait eu la preuve éloquente le jour ou, sur la berge du St-Laurent, ils avaient retrouvé un petit garçon de sept ans, les cheveux trempés jusqu’à la racine, en crise d’hypothermie. Ils n’avaient pas son identité, et François avait fait l’erreur de réclamer son nom à deux reprises. La morsure sur sa clavicule avait nécessité huit points de suture.  

Faisant volte-face, François s’apprêtait à sortir quand un bruit le retint. De petits gémissements étouffés. La main sur la poignée, il jeta un coup d’oeil en arrière.  

La petite fille était étendue sur le sol, recroquevillée en une petite masse rougeâtre. Son indolence fallacieuse avait pris fin. Et c’était peu dire.  

Elle était secouée de violentes convulsions, suivant le rythme effréné de ses sanglots. Au bout d’un moment, elle se mit à s’arracher les cheveux.  

Devant cette scène déconcertante, François tentait de garder le calme du professionnel expérimenté. Il s’approcha d’Émilie Drolet, une panique démesurée l’envahissant malgré lui.  

-Émilie! Calme-toi! ÉMILIE!  

Dans un hurlement de bête sauvage, elle se jeta sur lui. Surpris, il tomba à la renverse. L’enfant se mit à lui lacérer violemment le visage. Étouffant un cri de douleur, il la plaqua avec aisance sur le sol et se précipita sur la porte. François l’ouvrit et la referma brusquement derrière lui.  

-Vite, vite! Un état de crise!  

Deux gardes de sécurité approchèrent au pas de course. Un instant plus tard, ils étaient à l’intérieur, l’entourant de toute part. Prise au piège, la petite fille se calma, reprenant son attitude apathique.  

-À trois! lança l’un des gardes.  

Émilie se tourna vers François, et lui sourit. D'un sourire enfantin, naïf, qui le désorienta complètement.  

-Qu’est-ce que... commença François.  

L’enfant introduisit son index dans sa bouche et l’arracha d’un seul coup. Un craquement sonore, terrible. Et beaucoup de sang.  

Les trois hommes se précipitèrent sur l’enfant.  

La fillette avait été transférée d’urgence au centre St-Pierre. On lui avait administré des sédatifs, et Émilie dormait profondément. François était assis, songeur, juste à côté du lit de l’enfant. De solides courroies de cuir lui retenaient bras et jambes.  

Par simples mesures préventives, avait-il précisé aux infirmières. Mais les risques de rechute étaient élevés. Bien sûr, il avait gardé cette réflexion pour lui-même. Il était inutile d’inquiéter davantage le personnel de soutien, qui avait été bouleversé par l'événement.  

Le jour précédant, l’hémorragie avait été ardue à contrôler. La fille se débattait avec une vigueur effarante, mordant et griffant les agents de sécurité. Lorsque, au bout du combat acharné auquel avaient participé quatre gardiens, ils étaient finalement parvenus à la droguer, Émilie avait déjà perdu beaucoup de sang. Elle ne retrouverait pas l’usage de ses trois phalanges. Et puis, il était inutile de tenter de refixer son doigt, car plusieurs nerfs de la main avaient été déchirés.  

Mais, pour l’instant, son état était stable.  

François, pour sa part, était aussi troublé que fasciné. Il était incroyable de voir à quel point la psychologie humaine pouvait dérailler, se perdre dans un tourbillon d’idées folles. Ses diagnostics étaient confus. Il n’arrivait pas à mettre un mot sur le trouble de la fille. Psychose, schizophrénie, catatonie et mutisme sélectif... Le cas était d’une complexité encore jamais vue.  

Le psychiatre pédiatrique contempla le visage aux yeux clos. Les paupières étaient agitées de tics, et sous elles, il savait que les pupilles remuaient en tous sens. Elle rêvait.  

Il ne restait plus qu’à attendre. Le réveil en dirait long sur son état.  

Au bout d’une heure, Richard fit irruption dans la pièce, l’air nerveux.  

-Je crois avoir trouvé quelque chose.  

François se leva, curieux.  

-Quoi?  

-Rien de très précis, mais peut-être une piste. La scène du crime a été analysée, et les enquêteurs ont confirmé que la famille était au beau milieu d’une partie de Oui-Ja.  

-De Oui-Ja?  

Les mains de François se crispèrent.  

-Oui, tu sais, ce jeu qui consiste à incanter les esprits...  

-Non, non, je sais ce qu’est le Oui-Ja... C’est juste que... C’est précisément la seule chose qu’elle ait dite depuis deux jours.  

-Hé bien...  

Richard fit une moue dubitative.  

-Tu crois vraiment que ça a un lien avec les meurtres?  

-Je ne sais pas.  

François se rassit, l’esprit ailleurs. Oui-Ja. C’était la seule réponse qu’il avait obtenue d’elle, et il n’aurait pas plus de précision avant son réveil.  

Richard jeta un coup d'oeil au couloir, impatient.  

-Bon, je crois que je vais te laisser à tes réflexions de psychanalyse.  

-Oui, oui. D'accord.  

Richard quitta rapidement la pièce.  

François se tourna d’un air anxieux vers la fillette. Les sédatifs ne devraient plus faire effet très longtemps.  

Il prit quelques notes dans son calepin, et fut interrompu au bout de quelques secondes par un gémissement aiguë. Il leva la tête, et aperçut Émilie, qui se réveillait peu à peu. Ses yeux s’ouvrirent enfin. Surprise, elle jeta un coup d'oeil au plafond, puis tout autour d’elle. Et, inexorablement, vers les liens qui la retenaient.  

-Émilie?  

La fillette se trémoussa de fureur, tirant avec force sur les courroies de cuir. Puis, résignée, cessa. Sur son visage se lisait un profond dépit, et aussi autre chose, de plus vague. Un mélange de regret et de culpabilité.  

C’était une expression que François n’avait jamais vue sur le visage d’un enfant.  

-Émilie?  

Elle fixait le plafond d’un œil vide.  

-Émilie? répéta le psychiatre pédiatrique.  

-Quoi? répondit la fillette sans daigner se tourner vers lui.  

Son cœur fit un bond dans sa poitrine.  

-Est-ce que tu sais pourquoi tu es ici?  

Elle resta un moment silencieuse, puis répliqua:  

-Vous n’en saurez jamais autant que moi sur la cause de ma présence ici, docteur.  

François resta bouche bée. Sa réponse avait été si cinglante, si étrange. Si peu infantile...  

-Qu... Quoi? balbutia t-il, décontenancé.  

-Vous avez très bien compris.  

Puis, sans ajouter un mot, elle ferma les yeux et soupira. François la fixa un moment d’un air incrédule et quitta la pièce, la tête bourdonnante de questions inassouvies.  

Quelque chose clochait. Cette petite fille n’était pas normale.  

-Quel perspicacité! Elle a assassiné cinq personnes, fit une voix dans sa tête.  

Appuyé sur un mur, le pédo-psychiatre gémit. Il n’avait pas dormi depuis deux jours, et un mal de tête lancinant le tenaillait.  

-Ça va? l’interrogea un petit homme chauve, qu’il avait déjà croisé quelques fois sur l’étage.  

-Oui, oui. Je suis simplement fatigué. Je... Je dois y aller.  

François s’éloigna hâtivement. Inquiet, l’homme chauve le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il soit disparu dans l’ascenseur. Soulagé, le pédo-psychiatre relut les quelques notes qu’il avait prises:  

« Imite les symptômes de la catatonie. Se forme une carapace pour dissimuler quelque chose. Intonation et commentaires très matures. Formulation des phrases très ( trop) avancée pour son âge... »  

Sa lecture fut interrompue par le bruit sourd des portes qui s’écartaient. Le rez-de-chaussée lui apparut. C’était un vaste hall d’entrée, semblable à celui de tous les hôpitaux de la province. François traversa le hall et sortit à l’extérieur.  

À l’horizon, le soleil commençait à décliner. Il se dirigea vers le stationnement et se laissa tomber sur le siège avant de sa BMW. Puis, se souvenant soudain d’un détail, il inscrivit dans son calepin: « Tic: elle se mordille la lèvre ». Il douta un instant de l’utilité de cette remarque, puis remit le calepin dans sa poche. Sait-on jamais.  

Il démarra et quitta le stationnement. Homme célibataire et sans enfants, François était libre de rentrer chez lui aux heures qui lui convenaient.  

Quelques minutes plus tard, à présent coincé dans les embouteillages de l’heure de pointe, François alluma la radio. Le poste diffusait un bulletin de nouvelles. Il évoquait avec éloquence les détails morbides du crime de Émilie Drolet, que les médias surnommaient maintenant « la bouchère puérile ». Charmant.  

La route fut longue. Une fois enfin parvenu à son condominium, François s’étendit sur son lit, léthargique, et s’endormit au bout de quelques minutes.  

 

***  

 

-Non! Non, ne fais pas ça!  

François était retenu par des courroies de cuir sur le lit. Émilie Drolet se tenait près de lui, brandissant un couteau de cuisine assez long pour éventrer un rhinocéros.  

-Qui a l’air fou, maintenant, hein? Qui? hurlait la fillette.  

Elle éclata d’un rire rauque et frénétique, puis lui trancha la gorge d’un geste sec et précis.  

 

***  

 

François s’éveilla en sursaut. La lumière crue du soleil fusait depuis la fenêtre. Il jeta un coup d’oeil au réveil. Dix heures. L’homme se frotta les yeux en geignant.  

La sonnerie du téléphone retentit, et il répondit nonchalamment:  

-Quoi?  

-Je suis désolée si je vous réveille, docteur Lecourt, mais Émilie Drolet, de la chambre  

D-330, vous réclame depuis deux bonnes heures. Elle ne dit vouloir parler qu’à vous. Je... C’est votre patiente, si je ne m’abuse?  

Un vif intérêt balaya sa mauvaise humeur. Il répondit laconiquement:  

-Oui, oui, j’arrive tout de suite.  

François raccrocha sans attendre la réponse, s’habilla et se précipita dans sa voiture.  

Une fois à l’hôpital, il se courut au quatrième étage, ou était située l’aile psychiatrique. Il pénétra dans la chambre D-330 et s’arrêta au pied du lit, à bout de souffle.  

-Tu t’es remise à parler?  

-Oui, répondit simplement Émilie.  

Le médecin la dévisagea avec curiosité.  

-Prenez un siège, lui proposa t-elle.  

Cette façon qu’elle avait de s’exprimer! Si simple, si posée...  

Il s’asseoya en soupirant bruyamment, le front moite.  

-Hé, bien! Qu’as-tu à me dire, Émilie?  

-J’ai soif, répondit-elle.  

François fronça les sourcils.  

-Quoi, c’est tout?  

-Je veux seulement à boire, apportez-moi un verre d’eau!  

Avec une certaine appréhension, il s’exécuta. François pencha le verre sur la lèvre de l’enfant, et elle but à grandes lampées.  

-Merci, dit-elle lorsqu’elle eut terminé.  

-Maintenant, qu’as-tu à me dire?  

Émilie se mordilla nerveusement la lèvre.  

-Je... Ce n’est pas moi qui les ai tués.  

-Pardon?  

-Ce n’est pas moi, c’est quelqu’un d’autre.  

-Qui donc?  

Elle se mordit la lèvre avec encore plus de force. François examinait chacun de ses mouvements, analysant ses réactions faciales en espérant y déceler un indice.  

-Vous ne comprendriez pas, murmura Émilie.  

-Je pourrais essayer, suggéra t-il.  

Elle gémit.  

-Je... Savez-vous ce qu’est le Oui-Ja, docteur?  

-Bien sûr.  

-Y avez-vous déjà joué?  

-Une fois ou deux, il y a longtemps.  

-Ça avait marché?  

François fit semblant de réfléchir.  

-Plus ou moins.  

La fillette grimaça et détourna le regard.  

-Il y a deux jours, ça a fonctionné. Très bien même.  

-Qu’est-ce qui s’est passé?  

Émilie se mordit à nouveau la lèvre.  

-Ils... Ils étaient en train de jouer au sous-sol lorsque je suis arrivée.  

-Ils... Ils étaient en train de jouer au sous-sol lorsque je suis arrivée.  

L’enfant fixait toujours le plafond, se remémorant péniblement la scène. Les traits tordus par l’émotion, elle se mordit vigoureusement la lèvre. François craignait à chaque instant de voir la lèvre céder sous la pression, éclaboussant les murs de sang.  

-Et ensuite? s’enquit le pédo-psychiatre.  

-Je... Vous ne pourriez pas me détacher, ça fait mal, implora Émilie.  

-J’ai bien peur que non.  

La fillette fit une moue boudeuse, se renfrognant encore davantage. Craignant de perdre ses précieuses révélations, François émit une proposition.  

-C’est donnant donnant.  

Elle tourna vers lui ses yeux sombres, dénués d’émotions. Ne pourrait-il donc jamais lire en elle? Un frisson lui parcourut l’échine. En vingt-deux ans de carrière, cela ne lui était jamais arrivé. Depuis ses tout débuts, la psychologie infantile n’avait jamais eu de secret pour lui, et tôt ou tard, il finissait toujours par élucider les cas les plus obscures.  

Et pourtant, Émilie Drolet le tenait dans le creux de sa main. Elle savait pertinemment qu’un coup d’oeil en sa direction suffirait à le troubler. Elle était vive d’esprit, et terriblement habile.  

Ignorant son désir de prendre la fuite, l’homme maintint le regard de la fillette. S’il affichait le moindre signe de faiblesse, il perdrait toute crédibilité, et du même coup, toute chance d’obtenir des informations. Et puis, jamais il ne s’était senti aussi lié avec un patient. Peut-être y avait-il là une quelconque piste...  

Il ne parvenait plus à détacher ses yeux des siens. Ils étaient si profonds, si vides, qu’il s’y perdait, emporté par les flots de la noirceur, chutant dans le néant...  

Saisi d’effroi, François secoua la tête. Que lui arrivait-il?  

Les lèvres d’Émilie s’étirèrent en un sourire satisfait.  

-Donnant donnant, vous dites? Je vous donne des détails, et vous me détachez?  

-Oui, balbutia François d’une voix rauque.  

Honteux, il comprit qu’elle avait eu le dessus. Puis, se ressaisissant, il prit la parole:  

-Ils jouaient au Oui-Ja lorsque tu es arrivée...  

François remarqua, presque avec soulagement, qu’elle se mordillait à nouveau la lèvre. Il avait de nouveau le contrôle de la situation.  

-C’est ça. Pierre et Louise se tenaient au milieu de la pièce...  

-Qui sont-ils? l’interrompit le pédo-psychiatre.  

-M... Mes parents, répondit Émilie après une hésitation. Vous ne devriez pas le savoir?  

-Oui, assura François.  

Il inscrivit dans son bloc-notes qu’elle ne nommait ses parents que par leur prénom, faisant fi du traditionnel Maman ou Papa. Fait plutôt anormal à cet âge.  

Émilie jeta un coup d’oeil méfiant à son carnet.  

-Qu’est-ce que vous écrivez? interrogea t-elle.  

-Rien de très important, continue, la pria François.  

-Je...  

Au même moment, elle s’arc-bouta brusquement et se mit à tirer avec fureur sur les courroies de cuir. Déçu, François appuya sur le bouton d’urgence. Deux infirmières apparurent dans le cadre de la porte, armées de sédatifs.  

-FAITES-LA SORTIR! hurla Émilie en se débattant impétueusement. NON! VA T-EN! AAAAAAHHHHHH!  

François fit signe aux deux femmes de s’arrêter.  

-Quoi? Que se passe t-il, docteur Lecourt? questionna l’une des infirmières, affolée.  

-DEHORS! AAAAAHHHHH! DEHORS! DEHORS! DEHORS!  

Émilie tentait en vain d’arracher les lanières avec ses dents. Son visage écarlate était silloné de veines, et leur protubérance s’accentuait à chaque seconde, menaçant d’éclater.  

-Sortez! ordonna François.  

-Mais docteur...  

-AAAHHH! SORT!  

-Écoutez-la, dehors, allez, vite, vite!  

Les deux infirmières s’éclipsèrent, et François referma la porte derrière elles. Il se retourna vers la fillette qui criait toujours. Ses hurlements suraigus, presque bestiaux, lui meurtrissaient terriblement le tympan; François était persuadé que ses oreilles siffleraient des jours durant.  

En temps normal, les sédatifs auraient jeté la fillette dans les pommes, mettant un terme à la crise d’hystérie. Mais c´était un cas particulier et les drogues n’auraient servi en rien à long terme. François souhaitait décimer le problème à la source.  

Ne sachant que faire, il se laissa tomber sur une chaise, et se mit à prendre des notes. Émilie poursuivait assidûment son numéro, mais François ne se laissa pas impressionner. Ce n’était pas la première crise d’hystérie dont il était témoin. Il jeta un nouveau coup d´oeil à ce qu´il avait écrit:  

« Nomme ses parents par leur prénom. Sautes d’humeur récurrentes. »  

-Docteur? fit une voix douce.  

Il releva la tête et aperçut Émilie qui le fixait, affichant un air poliment intrigué.  

-Que s’est-il passé, docteur Lecourt?  

François, incrédule, se mit à griffonner frénétiquement dans son calepin.  

-Quoi? Qu’est-ce qu’il y a? l’interrogea la fillette, de plus en plus inquiète.  

Décidément, garder le silence n’était pas une bonne approche. Le pédo-psychiatre entreprit de lui expliquer se qui venait de se passer. Elle écouta attentivement, son visage prenant une expression de plus en plus désespérée. Lorsqu’il eut terminé, elle éclata en sanglots. Son état était pitoyable. Les cheveux gras et entremêlés, le teint blafard, ligotée à un lit, sanglotant...  

Elle le fascinait autant qu’elle le répugnait.  

-Pourquoooiii... murmura-t-elle d’une voix lasse entre deux sanglots.  

Se retournant, il vit les deux infirmières qui, par la petite fenêtre aménagée dans la porte, assistaient à la scène. Il marcha d’un pas ferme vers la sortie.  

Lorsqu’il fut hors de la pièce, François était fatigué, troublé et surtout inquiet. Il avait espéré que cette séance interrogatoire lui apporterait un soupçon de réconfort, un brin de logique dans lequel il pourrait se réfugier momentanément. Mais c’était peine perdue. Chacune de ses hypothèses étaient réfutées par la fillette, un instant après qu’elles aient germé dans son esprit. Ses gestes, ses paroles, tout se contredisait.  

Plus horrifiant encore, il était persuadé qu´Émilie savait ce qu’elle faisait.  

Il s’adressa aux deux infirmières d’un ton autoritaire:  

-Doublez sa dose de sédatifs jusqu’à ma prochaine visite, elle ne doit pas se blesser. Et ne la détacher surtout pas!  

***  

Quand François se présenta au centre de la Sûreté du Québec, le bureau de Richard était vide. Agacé, il parcourut presque la totalité des couloirs de l’étage avant de trouver son collègue, assis près de la photocopieuse.  

-T’es là, toi!  

Le visage de Richard s’éclaira soudain.  

-Je voulais justement te parler! Il y a du nouveau?  

-Pas vraiment, répondit François. Tu as le dossier du crime?  

-Dans mon bureau...  

-Il me le faut. C’est urgent.  

Richard jeta un coup d’oeil dépité vers la photocopieuse en marche, et se dirigea d’un pas vif en direction de son poste de travail.  

-Quelle information tu cherches?  

-Juste les détails du crime. J’ai l’impression que ça pourrait m’être utile.  

-Pour évaluer l’état psychiatrique de la fillette?  

François ne répondit pas. Cette affaire était devenue une obsession, et l’élucidation du crime ne relevait pas de ses compétences. Il outrepassait son devoir afin d’assouvir son besoin de vérité.  

Une fois dans son bureau, Richard lui tendit l’épais dossier relevant tous les détails du crime.  

-Tu es sûr que tu veux voir ça?  

-Certain.  

François le prit et remercia l’enquêteur avant de se précipiter vers son propre bureau, deux étages plus bas. Il serait inutilement long d’attendre l’ascenseur; il prit donc l’escalier. Il commença à dévaler les marches, et releva la tête. Émilie se tenait debout sur le palier, quelques marches plus bas, le fixant de ses yeux vides. Son visage était aussi tâché de sang que la première fois ou il l’avait vue, dans la salle capitonnée.  

Foudroyé d’horreur, il trébucha et déboula les quelques marches qui le séparaient de la fillette. Il se cogna brutalement la tête contre le mur de ciment et se retrouva étendu de tout son long, désorienté. Au bout de quelques secondes, la panique le submergea de nouveau et François parvint à ouvrir les yeux. Il était seul.  

Furieux contre lui-même, il se leva péniblement, chancela un moment et alla percuter de nouveau le mur. Un éclair d’étourdissements lui brouilla la vue. François s’étendit sur le sol et attendit que la douleur lancinante s’atténue. Il sentit pour la première fois le liquide chaud qui coulait le long de son visage, sortit un mouchoir et se mit à essuyer frénétiquement le sang qui gouttait sur sa chemise.  

Cette petit folle n’allait pas gagner, elle n’aurait pas raison de lui!  

Il se releva brusquement et dévala le reste des marches, ouvrit la porte qui permettait d’accéder à l’étage et se précipita à son bureau. Une fois assis, il tâta son front afin d’évaluer les dégâts. Malgré l’abondante quantité de sang qui s’était répandue sur lui, la blessure semblait superficielle. Il s’épongea de nouveau le crâne et ouvrit le dossier avec précipitation. François était certain qu’un détail lui permettrait de tout comprendre, d’élucider cette affaire qui s’éternisait et qui prenait des proportions démesurées. Il avait même des hallucinations!  

La main tremblante, il tourna la première page qui n’était qu’un rapport du nom des victimes et une description du lieu du crime. Et il tomba sur les photos.  

La première était un plan éloigné, ou l’on apercevait une table renversée, des divans éventrés et une télévision à l’écran fracassé. Le sol était jonché de cadavres qu’il devinait sanguinolents et démembrés. Sur le mur du fond, un message avait été écrit en lettres rougeâtres: « La Mort ne repart jamais bredouille ». Le message était signé d’Émilie. François frissonna.  

Les photos suivantes étaient des gros plans de chacun des corps. Leurs poitrines avaient toutes été creusées au couteau, et le coeur sectionné. Le pédo-psychiatre se pencha et vomit dans la corbeille à papier. Il s’essuya la bouche d’un revers de main et parvint à tourner la dernière photographie. L’homme se retrouva devant le rapport du crime. Il était spécifié que le message avait été écrit avec le sang des cinq victimes.  

Un nouveau haut-le-coeur lui parcourut la gorge et il jugea préférable de s’en arrêter là. Il referma le dossier et soupira, le goût âpre de la bile imprégné sur sa langue. Au bout d’un moment de réflexion, il nota le message qui avait été écrit sur le mur et le relut. La solution se trouvait peut-être là, tapie dans l’ombre de ces six mots. Il le relut à l’envers, prit les premières lettres en tentant de former un mot cohérent, en vain. Il regroupa les dernières lettres de chaque mot, et obtint: « a-t-e-t-s-e ». Ce mot lui rappelait vaguement quelque chose... Il fit une recherche rapide dans la banque de données de son ordinateur, qui regroupait les casiers judiciaires. La recherche se termina et un message d’invalidité apparut à l’écran. François relut les mots, de plus en plus avide de trouver une solution. Il remania l’ordre des lettres pendant un moment, et tomba sur le mot « Tsesate ». Ce nom aux assonances italiennes lui disait quelque chose. François refit une recherche et étouffa un cri de surprise en voyant le résultat.  

Scénario :
une série Z thriller (animation) de Iris Armstrong

Charles Gregson

Annie Chusid
Sorti le 04 novembre 2028 (Semaine 1244)
Entrées : 2 189 405
url : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=20768