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Oz Films présente
Encre Noire

 

 

Londres, la brumeuse. La vapeur blanche s’élevait des bords de la tamise, glissait sur le pavé brillant et humide. La grisaille du ciel et l’atmosphère froide et morne donnait l’impression que même les rares rayons de soleil étaient teintés d’une lumière argentée. C’était des temps sombres, fallait-il le rappeler. Dans ce rempart, dernière résistance occidentale contre le nazisme, l’incertitude régnait. Les pierres ternies, témoignages de la grande Histoire, étaient en sursis ; nul ne sachant si elles seraient toujours debout le lendemain.  

 

Melville avait dû quitter Paris quelques années plus tôt. Il ne voulait pas quitter Londres. Étrangement, la dépression qui avait suivi son exil lui avait donné l’élan qu’il attendait depuis des années. Écrivain, il avait enfin trouvé une inspiration débordante. Depuis quatre ans, il noircissait feuille après feuille. Il avait écrit l’équivalent de six romans, dont trois étaient publiés. Avec un certain succès assez inattendu. Les exilés français avaient ainsi désigné leur auteur en terre d’accueil. Mais il y avait des milliers de pages, gardées jalousement. Avec des mots aussi sombres que l’encre qui les formait. C’était son chef d’œuvre, pour lequel les idées foisonnaient plus que jamais. Mais qui, en l’état, était invendable. Trop long, trop noir. Dans cette Londres grise et apeurée, nul n’avait besoin de désespoir.  

 

Le désespoir qui, pourtant, frappait Melville. Le désespoir d’avoir perdu son bien le plus précieux. Le désespoir noyé dans l’encre noire, noyé dans des phrases. Le désespoir qui le maintenant en vie. Pour lui rappeler un passé heureux. Où ils étaient deux. Main dans la main.  

Un passé qui s’éloignait chaque jour de plus en plus, à mesure que la brume s’emparait de la ville, et que les avions traversaient la Manche. L’exutoire de Melville, c’était sa plume, son encre, ses feuilles. Il y déversait son chagrin et sa colère. Il figeait aussi ses souvenirs. Derniers reliquats d’un visage doux et enjôleur, dont les traits se perdaient dans le flou de la mémoire. Était-ce finalement d’elle dont il se rappelait ? Était-ce vraiment elle qu’il décrivait à travers ses écrits ? Il éprouvait une certaine colère envers lui-même tant qu’envers la vie, de finir par douter de sa conviction la plus profonde, de son souvenir le plus marquant. La rage s’emparait de lui, ses yeux se remplissaient de larmes bouillonnantes alors qu’il sortait en furie du pub où il avait l’habitude d’écrire.  

 

Sur le chemin, il hésitait entre deux itinéraires. La route classique, qui le mènerait chez lui, ou l’alternative de la lâcheté, dont le terminus était le fond vaseux de la Tamise. A quoi bon rentrer et continuer un combat qu’il perdrait de toute façon ? Sa seule véritable raison d’être s’évanouissait dans la brume d’une ville qui n’était pas la sienne, dans un pays qui n’était pas le sien. Peut-être une vie qui ne devait pas être la sienne, en fin de compte. Le bord du quai était tout proche, les eaux calmes mais ô combien noires semblaient déjà le regarder, prêtes à l’accueillir en leur sein glacial.  

Ça prenait un courage immense, de loin plus difficile que de faire mourir un personnage dans un roman. Melville prit une grande inspiration, comme si la bravoure qu’il recherchait voletait quelque part dans l’air qui l’entourait. Il bascula son buste en avant, et pendant un instant il crut regarder droit dans l’abîme, celle-ci lui rendant son regard, droit dans les yeux. Il l’entendit même murmurer. Quelque chose de parfaitement inaudible, à cause du magma d’incertitude et de questions qui embrouillaient l’esprit de Melville.  

Mais la chute ne vint jamais.  

 

L’écrivain était allongé sur le pavé humide. Il contemplait le ciel ténébreux enfumé de blanches brumes. Il ne sentait plus rien grand-chose, ni sa respiration haletante, ni son cœur qui battait la chamade, ni ses jambes cotonneuses, etc. Un instant, il essaya de réfléchit à ce qui venait de se passer. C’était comme si un réflexe de survie l’avait repoussé en arrière, dans un ultime spasme. Et il était vivant.  

Une chevelure blonde, dont l’éclat contrastait terriblement avec l’ambiance qui régnait sur un quai Londonien en pleine nuit, apparut au-dessus d lui, encadrant un visage pâle et lisse, angélique. Melville comprit qu’il avait été sauvé, non pas par son instinct, mais par cette jeune femme.  

 

- Il n’est pas encore temps de mourir, Melville.  

- Qui… êtes…qui ?  

- Une personne qui vous veut du bien. Et je parle pour quelqu’un qui vous doit la vie. Et qui est profondément désolée pour ce qui a pu se passer. Pour ça… ce qui vient de se passer.  

- Non… non…  

- Ça peut être la fin de tout ceci, de tout ce désespoir. Si vous êtes prêt à…  

- Mon Dieu… Louise…pourquoi maintenant ?  

 

À ces mots, il tomba d’épuisement. C’en était trop. Il était passé de la Mort au Rêve en quelques secondes. Louise, sa Louise, lui revenait finalement. S’il avait basculé quelques minutes plus tôt, peut-être n’aurait-il jamais vécu ce moment. Il tomberait lentement vers les fonds sombres du fleuve. Au lieu de ça, se réalisait ce pourquoi il avait tenu jusqu’à présent. Dans son for intérieur, il savait que la seule et unique raison de sa survie, c’était elle, et l’espoir, aussi mince soit-il, qu’elle lui revienne tôt ou tard.  

C’était fait, il pouvait s’éveiller, et aimer à nouveau.  

 

De l’autre côté de la porte, sa vie vira de bord, radicalement. Elle se tenait là, devant lui. Titubant, aidé par Angélique, il s’avança vers elle. Il appela toute la force et l’énergie qui circulait en lui, réanimé, le cœur léger, pour fondre dans les bras de la femme qu’il avait toujours aimé. Les larmes chaudes des deux amoureux se mêlèrent, pour consacrer leur union rétablie.  

 

Mais le voile des ténèbres allait déjà se rebattre sur eux. Louise n’était simplement plus en sécurité en France, ni ailleurs en Europe. Excepté, peut-être, ici. Auprès de Melville, son dernier espoir. Elle était traquée par Vichy. Pour avoir commis l’irréparable erreur : résister. Mais pas une forme de résistance conventionnelle. Elle avait simplement refusé ce qu’on n’avait plus le droit de refuser, en tant que femme dominée. La nuit, avec un uniforme noir, couvert de galons. C’était ce que ces mêmes uniformes considéraient comme un droit désormais acquis, de par leur souveraineté sur les peuples occupés.  

Mais ce droit, Louise l’avait remis en cause. Et c’était déjà du domaine du miraculeux, qu’elle fût encore en vie pour venir demander l’aide de Melville, ici, à Londres.  

 

* * * * *  

 

Olen roulait en direction de Londres. Il voyagerait toute la nuit, dans la fraicheur et les spectres de la campagne anglaise. L’ordre entendu à la radio était très clair. En provenance du continent. De la police française.  

Retrouver la fille, par tous les moyens nécessaires. Tuer, s’il le fallait.  

 

 

 

Scénario : (1 commentaire)
une série B policier de Lawrence Hendrickx

Frank Mattis

Laurence D.

Daryl Curtin

Joan Hodge
Musique par Nicholas Ellman
Sorti le 04 janvier 2031 (Semaine 1357)
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