Laurence leva la tête de son bouquin et fit la grimace. Encore une bande de relou, des lascars qui parlaient fort en se lançant des "Yo !" et des "Frérots !" à tout va. Des biens malpolis qui l'empêchaient de se concentrer sur L'être et le néant de Jean-Paul Sartre. Laurence les fixa. Casquette, survêtements Adidas, basket au pied... La caricature de la racaille de Paname. Heureusement, elle descendait à la prochaine station de métro.  

Dans la rue, Laurence marchait fièrement. Elle avait de quoi. Bac+10, Laurence travaillait dans une ONG pour la défense des droits des filles en Afrique, en Asie et en Amérique. Laurence avait une grandeur d'âme, bossait ses 50 heures semaines pour 1 700 euros. Mieux que Sœur Theresa ! Laurence pensa déjà à sa soirée. Descente chez le Japonais d'en bas pour se prendre des sushis, plateau télé devant un Godard ou un vieux film américain des années cinquante en lisant Le Monde, le pied !  

Déjà 19h00 et Laurence est encore au boulot ! Douze heures d'affilées, mieux qu'un enfant de dix ans dans une usine Nike en Chine ! Hop, hop, hop, Laurence éteint son ordi, prend son sac et, hop, hop, hop, direction Métro !  

Dans le métro blindé, Laurence trouve une place assisse. Elle sort L'être et le néant mais elle n'arrive pas à se concentrer. En face d'elle, un noir la mate en souriant ! Agacée, Laurence se dit qu'il y a vraiment certains hommes qui n'ont pas de savoir vivre ! Encore un qui doit prendre les femmes pour des objets à assouvir ses fantasmes ! Laurence fait semblant de lire mais jette des coups d'œil en sa direction. Dans sa tête, Laurence se dit qu'il a vraiment un joli visage... Et puis, il est sacrément bien bâti... Dommage qu'il soit sans doute obsédé du sexe ! Immédiatement, Laurence se reprend et se dit dans sa tête qu’elle a de viles pensées !  

En se levant, Laurence rejoint la porte car son arrêt est le suivant. Elle le voit dorénavant de dos et rêvasse qu'il va se lever. Elle se demande s’il a de belles fesses ! Puis Laurence se reprend ! Qu'elle idiote elle fait ! Se laisser aller à des pulsions animales ! Elle se flagellerait lorsqu'elle aperçoit le noir qui se lève. Dorénavant à ses côtés, il lui sourit et lui lance :  

- On dirait qu'on descend à la même station !  

Comme une petite fille, Laurence hoche de la tête… et rougit comme une petite fille qui se serait fait pincer la main le pot dans la confiture ! Elle en est sûre, elle doit être rouge comme un piment ! Mais elle ne peut s’empêcher de trouver que la voix était agréable, chaude et grave ! Un homme, un vrai se dit-elle avant d'avoir honte de ses propres pensées.  

A Monoprix, Laurence erre face au rayon vin. Après cet épisode, elle a décidé de s'offrir un petit réconfortant avec son plateau de bouffe japonaise. Dans sa tête, Laurence se dit qu'elle est vraiment une conne à fantasmer sur un Africain dans le métro. En montant les escalators de la sortie, il était juste devant lui. Et mon dieu, elle avait rarement vu une si belle paire de fesse ! Puis, enfin dehors, il s'était volatilisé...  

Laurence pensait à tout cela en prenant une bouteille, regardant son étiquette, puis la reposant. En reprenant une autre. Bref perdu dans ses pensées... lorsque...  

- Mademoiselle, je vous conseille celle-ci. Un costière de Nîmes, idéal pour ses saveurs fruitées, le tout tirant sur la framboise. Remarquez, cela dépend de ce que vous mangez ?  

Lorsque Laurence se retourna, il était là. Un grand smille au visage. Charmant. Y avait pas à dire !  

Laurence avait réussi à lui dire qu'elle allait manger des sushis et Nestor - il s'appelait Nestor - lui conseilla un autre vin. Dans la file d'attente devant la caisse, ils échangèrent des propos sans intérêt. Laurence tentait surtout de pas trop le dévisager et de ne pas rougir.  

Et puis, quand ils sortirent dans la rue, les mots que Laurence espéraient furent prononcés :  

- Et si je vous invitais à boire un apéritif avant le dîner au café d'en face, vous ne seriez pas contre ?