Les oreilles de Vince chauffaient. Il n'avait aucun mal à s'imaginer en personnage de cartoon, le visage exagérément empourpré et la vapeur sifflant hors de ses pavillons. Mais dans les fait, il n'avait aucune envie de s'amuser de la scène. Pas quand son avenir et celui de ses plus proches amis était menacé.  

Menacé par une espèce de mannequin trop érudit, une brunette de film porno à lunettes Wayfarer, un cliché ambulant autant qu'une ordure finie. Exactement le genre de femme qui lui correspondait, tout bien considéré.  

Ce serait particulièrement vrai après qu'il eut terminé son plaidoyer. Vince se leva, fulminant. Et le poison jaillit.  

Le téléphone de Jacques Morel sonna.  

Les fenêtres donnant sur une Genève encore endormie étaient en contact avec le champ de bataille qu'était devenu Wall Street. Weiner & Associate avait reçu la visite d'un agent de la Fed, et la banque dans laquelle Morel était installé avait été évoquée, entre deux soupçons.  

L'ennui c'était que personne n'était censé être au courrant du petit voyage en Suisse des deux partenaires de Weiner, Vince et Jon. Ainsi, soit la Fed les avait déjà dans le viseur et les surveillait déjà avant le crash de Lehman, soit ils avaient été donnés. Et Vince ne voyait pas pourquoi on se serait intéressé à eux avant tout ce circque.  

Ne restait donc qu'une seule réponse.  

Guère la plus enchenteuse.  

Même si, comme c'était à prévoir, Morel feignait la suprise et l'ignorance.  

Vince rentrait chez lui, le rouge aux joues. Mais une fois passé le seuil de la porte, un autre monde et d'autres émotions s'ouvraient à lui. Là où Anne, sa femme,l'acceuillait avec un large sourire et lui offrait les détails sordides de ses patients psychotiques - rituel pour lequel Vince se délectait, sans raison particulière, comme un voyeurisme sordide - il n'y avait plus ce soir qu'un mobilier épuré et minimaliste, impecablement rangé et agancé de manière chirurgicalle. Un appartement impersonnel, pour servir de temple à la gloire de la solitude. Une ambiance froide, une mornitude de tous les instants, qui illustrient parfaitement la vie sentimentale que Vince venait d'entamer.  

Anne avait demandé le divorce, après que les preuves d'une aventure stupide de son mari lui furent montrées. La dirigeant associé de Weiner n'avait rien à dire. Parce qu'il n'y avait rien à en dire. Les preuves étaient là, la décision de Anne légitime. Il ne s'en prenait qu'à lui seul, pour l'idiotie totale de son acte.  

C'était une soirée arosée chez Weiner, où il avait proposé de raccompagner Kim, alors stagiaire, jusqu'à son deux pièce dans le Queens. Ce qui devait arriver arriva alors. Vince ne pouvait pas dire pourquoi, il ne savait pas ce qui le poussait à faire ça. Il savait ce qu'il avait, il savait ce qu'il n'aurait pas, et malgré cela, rien n'avait pu l'en empêcher. ll avait ressenti le devoir de le faire, d'aller au bout. Même s'il avait conscience qu'il risquait de tout détruire.  

Et c'était exactement ce qui s'était produit. Il avait tout détruit.  

Lui seul.  

Jacques Morel foulait pour la première fois le sol américain. D'habitude, c'étaient les américains qui venaient chez lui, et il n'avait que peu de raisons et d'occasions de sortir de Suisse, si ce n'était pour savourer le soleil et la faune du Kenya. Et encore, il y était chez lui, dans une réserve privée de plusieurs milliers d'hectares.  

Mais les temps que les Hommes de Finnance vivaient étaient des plus étranges, et plus rien ne se passait "comme d'habitude". Pour les affaires suisses, c'était tellement mieux ! Ces dizaines de PDG et de gros bonnets qui venaient trouver un refuge chaleureux et acceuillant pour leur fortune et leur parachute doré. La banque de Morel s'en frottait les mains, et le banquier se réjouissait personnelement de la tournures des évènements.  

Il avait rendez-vous à New-York avec l'agent Richman , de la Fed. Une tigresse bien connue et redoutée par Wall Street, dont les courbes et l'allure divinent n'ont d'égaux que son intransigence et sa réputation de toujours gagner ses combats. Mais du point de vue de Morel, il était du bon côté du champ de bataille.  

On lui avait offert sur un plateau d'argent une amnistie complète. Un associé bien avisé lui avait confié son petit plan: placer l'argent d'un cabinet d'investissement en suisse, faire passer l'argent, s'arranger pour être pris par le FBI dans les derniers voyages, se faire engager dans une procédure judiciaire par la Fed, collaborer, négocier, fabriquer des preuves, montrer patte blanche, renégocier, couler Weiner & Associate, avec l'aide d'un associé, mettre la gomme sur une seule personne, un infidèle, qui essaye de frauder en suisse, et finalement re-renégocier.  

Et gagner.  

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