Salut les furieux ! Today and once again, Fréquence Rock sur Sanderbrock FM, de 20h à minuit ! Ici pas de blabla, pas de parlotte, pas de problème de couples, de boulot ou d'érection, les vrais Rockeurs savent bander sévère ! Ouais ouais ouais ! ! !  

L'éternel lancement vulgaire de Sire Mac Rock faisait vibrer les quelques centaines de fans inconditionnels de l'émission. Tous les étudiants de la ville étaient branchés dessus. Les soirées de jeunes dans les apparts laissés dispo par les parents pour la nuit n'étaient plus animés par des CD ringards ou des playlist pouraves. A n’importe quel stop ou feu rouge, tu pouvais entendre la voix de Sire Mac Rock résonner dans les bagnoles qui passaient. SM Rock était carrément devenu une icone pour une génération que rien ne prêtait au rock.  

Des discours toujours plus trash heure après heure. L’émission était essentiellement animée par SM Rock, mais avec lui squattaient dans le studio deux co-animateurs en les personnes de Batman et Zitoune. Et si ces trois pseudos étaient connus, soit admirés soit détestés de tout le monde, personne n'aurais pu les reconnaître dans les rues.  

Ce que personne des trois animateurs avouait, et que pourtant tout les auditeurs savaient, c'est que pendant les quatre heures d'émission, le fil rouge consistait à vider le plus de bouteilles. Dans une brève annonce "Ce soir, c'est W" signifiait que la soirée était sous le signe du whisky. V pour vodka, P pour vin rouge, A pour l'alcool de fruit.  

Si les deux premières heures suivaient à peu près le planning que Sire Mac Rock avait établit dans l'après-midi, les deux dernières partaient généralement en vrille.  

Passée vingt-trois heures, les propos étaient de plus en plus hésitants, et les blancs de plusieurs minutes étaient monnaie courante, quand il n’y avait pas carrément des ronflements en bruits de fond. Ca partait de temps en temps en baston, souvent pour une chanson. I love Rock’n’Roll et son éternel débat. Selon SM Rock, l’original de The arrows eclipse complètement Joan Jett, mais ce n’est pas du goût de Batman qui lance les hostilité en même temps qu’il jette son verre sur son pote. Zitoune profite des bastons pour passer des musiques de son Haïti natal, et la baston gagne les trois protagonistes. Zitoune ne veux rien comprendre et s’insurge qu’on ne passe jamais du ukulélé dans l’émission, malgré les éternelles explications de ce que veut dire « Fréquence Rock ».  

« Qu’ils sont cons ces immigrés ! Retourne boire des cocktails sur ta plage Zitoune ! Et nous casse plus les couilles avec ton putain d’ukulélé ! »  

Si les Démocrates entendaient l’émission…  

Et les Démocrates entendirent l’émission…  

En l’espace de quelques semaines, un grand mouvement de protestations pointèrent du doigt les propos outranciers tenus par les animateurs. Incitations à la débauche, à la violence, à l’alcool, à la haine, au sexe sans le mariage ainsi qu’à la sodomie, et incitation à la libre pensée, sévèrement sanctionnée aux Etats Unis d’Amérique.  

Devant les lettres d’insultes, les menaces, les colis piégés et les appels anonymes de pervers sexuels, le directeur de la programmation décida un jeudi soir d’annuler l’émission « Fréquence Rock ».  

Tandis que Zitoune et Batman pétaient un plomb et tentait de tirer le plus possible de matos des locaux pendant qu’ils avaient encore les clefs, Sir Mac Rock restait sur place, le regard bas, vide.  

Ca ne devait pas finir comme ça.  

Pourquoi et comment l’opinion bien pensante et puritaine arrivait à détruire une idéologie comme le Rock… Pour SM Rock, il est vrai que c’était un boulot magique. On le payait pour écouter de la musique et picoler. Mais ce n’était pas son objectif.  

L’émission se terminera Dimanche, dans trois jours.  

SM Rock fit l’annonce de la suppression samedi soir, à minuit vingt-cinq, après un bon débordement sur leur tranche horaire. Et malgré les taux d’alcoolémie à tuer un mammouth, l’émotion était quand même là.  

Les visages fermés, les trois animateurs quittaient le studio d’enregistrement dans une tristesse qui était pas très Rock. Ou alors avec un gros côté Freddy Mercury.  

Personne ne se doutait du programme de Dimanche soir.  

Dimanche, 20h, prise d’antenne. Les trois animateurs sont là. L’annonce et là, sauf que le « once again » et remplacé par un « for the last time ». Si on cherchait bien, on pouvait trouver des sanglots dans la voix des trois amis à l’évocation de certains grands moments d’antenne.  

Dans les petits locaux vides d’une petite station de radio d’une petite bourgade américaine, on jouait le requiem du Rock, et bien qu’aucun ne l’aurait avoué, même des années, des décennies plus tard, même sur leur lit de mort, trois amis ont pleuré ce soir là. Des larmes silencieuses. Des larmes qui font briller les yeux. Des larmes qui te font sortir un chiftir crado de ton jean troué.  

Des larmes d’impuissance.  

Puis, pendant qu’un disque tournait, un brouhaha se fit entendre dans la rue. Batman alla à la fenêtre. Il resta immobile pendant dix secondes, puis appela ses deux amis.  

Des centaines. Peut être des milliers d’hommes, de femmes, de black, de white, de jeune de vieux étaient amassés devant les locaux de Sanderbrock FM. Et tous hurlèrent de joie quand les animateurs se montrèrent à la fenêtre. Les trois jeunes ne réalisaient pas ce qui était en train de se passer. Des dizaines de bagnoles hurlaient de leurs radios « Fréquence Rock » et de toute leur courte carrière, c’était le meilleur feed back qu’ils avaient eu.  

Quand Radiohead avait finit de chanter Creep, et que les trois animateurs étaient toujours à la fenêtre, un blanc sonore faisait taire toute les radios, et les centaines de fans hurlaient de continuer, de ne pas arrêter, d’envoyer foutre les patrons de radios, les biens pensants et biens penseurs, de continuer à vivre le Rock, d’entrer dans la Légende.  

Barricadé dans les locaux d’une petite station de radio, trois animateurs partirent pour battre le record de l’émission radiophonique la plus longue de l’histoire. Avec l’aide des fans qui bloquèrent la circulation d’une rue entière pendant plusieurs heures, puis plusieurs jours. Qui ravitaillaient en eau, nourriture et alcool trois potes qui n’avaient de commun que l’amour du Rock.  

Zitoune, Batman, SM Rock.  

Ils venaient de s’engager sans trop le savoir, sur un coup de tête, sur un chemin miné qui pourrait les élever au rang de roady, de vedette, de star, de héros.  

Ou de Légende.  

Bande Originale : Ian Dury - Sex & Drugs & Rock'n'roll  

Film participant au concours Musical