Le travail qu’il occupe comme standardiste dans une administration le satisfait, lui qui est aveugle de naissance.  

Que peut-il espérer de plus ?  

La maigre solde qu’il touche lui paye le loyer et lui procure ce dont il a besoin. Dans l’ensemble, il n’a rien et ne manque de rien.  

En plus, ses collègues de travail sont généreux avec lui. Ils ne manquent jamais de l’inviter à de bons dîners, ni de lui faire des dons, ce qui lui donne la possibilité de faire des économies.  

Il a l’habitude une fois son travail accompli, de faire une petite promenade afin de se changer les idées et de respirer un peu d’air frais avant d’entrer chez lui.  

Par habitude, il s’assoit sur un banc le long d’une artère où la circulation est importante. Il ne voit rien mais il se plait à entendre le bruit des voitures et même de temps en temps entendre les engueulades entre certains conducteurs. Et puis il y a des passants qui ne manquent pas de lui donner de l’argent alors qu’il ne demande rien.  

Mais ce qui lui plait le plus, c’est le bruit des talons sur le trottoir, et les voix féminines qu’il entend. La cécité aidant, il a développé ses sens et grâce à eux il a appris à reconnaître une belle femme au bruit de ses pas, de son odeur et du son de sa voix qu’il mémorise et il leur crée un corps selon sa fantaisie d’imagination. Il ne sait pas à quoi devait ressembler une jolie femme, mais son instinct et ses expériences l’aident à les imaginer. Il se souvient de chacune des fois où il a eu la chance de toucher le corps d’une femme : la fermeté des fesses, la lourdeur des seins, la douceur de la peau, la finesse des cheveux, l’odeur…Tout ça, il s’en souvient.  

Le samedi est son jour favori, il y a foule. Des gens se promènent, ce qui remplit sa bourse et sa tête. Comme à l’accoutumée, il s’installe sur son banc fétiche et se fit à son instinct et à son ouïe.  

Soudain, un bruit prend le pas sur les autres. Il n’a pas fait attention à la voiture qui s’est arrêtée à quelques mètres de lui, ni lorsque la portière s’est ouverte. Mais les sons des talons qui se rapprochent de plus en plus de lui attirent sa curiosité.  

Les pas s’arrêtent et une main douce se pose sur son épaule.  

- Bonsoir, lui dit une voix féminine.  

- Bonsoir madame, dit-il  

Au son de la voix il pense que la dame doit être très belle et jeune.  

- Avec tout le respect que je vous dois, j’aimerais vous faire un don un peu spécial. Mais j’ai peur que vous refusiez ce bonheur.  

Perplexe, ne sachant que dire, il bégaye un vague « Merci Madame ».  

La dame le prend par la main, le guide vers la voiture.  

Quelques minutes plus tard, la voiture s’arrête. La femme l’aide à descendre et le fait monter chez elle. Instinctivement, il sait que l’appartement respire la richesse. Cela n’a rien à voir avec chez lui ou n’importe quel autre appartement où il a pu aller.  

Il y a une douce musique, qui l’apaise. Elle lui apporte à manger et à boire. Il se régale comme il ne s’est jamais régalé. Elle l’encourage à manger avec des paroles douces. Une fois terminé, elle le guide au lavabo pour se laver puis l’amene dans une chambre et le fait s’asseoir sur un lit.  

Il n’a même pas eu le temps de se demander ce qu’il fait là qu’il sent le corps nu de la femme se coller au sien. Il ne riposte pas et se laisse faire. La femme le pousse au fond du lit et s’aplatit entièrement sur lui, des lèvres sensuelles, pleines de désir s’écrasent sur les siennes. La partie ne fait que commencer…  

Ceci fait, la femme le ramène à l’endroit où elle l’a ramassé. Elle le quitte sans oublier de lui donner de l’argent et de le remercier pour ce moment.  

Il retourne chez lui, regrettant d’avoir fait un péché impardonnable, se purifie, se prosterne et prit Dieu de lui pardonner.  

Il jure par les saints de ne plus commettre ce péché et de ne jamais retourner à ce banc. Mais le samedi suivant, il a beau résisté, ses jambes le guident au même endroit. Son cerveau espère qu’elle ne viendra pas, mais son corps veux autre chose.  

Il le sent.  

Son cœur ne fait qu’un bond quand il reconnait le bruit de la voiture. Ils vont encore une fois chez la dame. L’acte d’amour est inoubliable, mais cette fois il a pris les commandes. C’est lui qui dirige l’acte avec enthousiasme et amour. Il joui comme il ne l’avait jamais fait dans sa vie. De retour chez lui, à nouveau la purification, la prosternation et le pacte avec Dieu de ne jamais refaire ce péché.  

Le samedi suivant, il alla une fois de plus à son banc. Cette fois, il la veut, il la désire. Ce n’est plus seulement ses jambes qui le guident, mais aussi son cœur et son besoin d’amour qui l’obligent à y aller, avec plein d’idées dans la tête. Il veux les mettre en œuvre avec la belle dame, il veux aller encore plus loin avec elle.  

Comme à son habitude, il s’assoit sur le banc et attend. Plusieurs minutes passent, la femme ne vient pas, puis les heures, toujours pas de femme le soir. Á regret, il quitte le banc avec l’espoir qu’elle vienne le samedi prochain. Peut-être a-t-elle été contrariée par quelque chose d’imprévu ! Une fois chez lui, il se met à penser à tout ce qu’il souhaite lui faire. Il est très excité, et se dit que la prochaine fois qu’il la verrait, il lui ferait connaître des choses auxquelles elle n’avait jamais pensé. Son imagination est très fertile.  

Mais la femme ne vient ni le samedi suivant ni celui d’après…  

Cette femme hante ses esprits jusqu’à le rendre fou. C’est à ce moment là qu’il décide de tout faire pour la retrouver, il retrouvera cette femme coute que coute, même s’il se trouve dans l’incapacité de la décrire. Après tout, c’est un aveugle, que peut-il espérer de plus ?