"Combien hier soir?"  

Herbert Natas se tient droit comme un I dans son indéfectible costume que les années ont un peu terni, mais dont la classe reste intacte.  

Il regarde son petit chef-comptable assis devant le livre de comptes. Le petit homme, de jour comme de nuit, ne quitte jamais son large chapeau. Il relève la tête vers son patron. Son absence de nez, laisse la place à deux larges trous trônant au milieu de son visage.  

"83%"  

83%, c'est un score honorable, mais il doit y avoir moyen de faire beaucoup mieux, il va falloir mettre les bouchées doubles ce soir.  

"Merci papa, mais c'est dommage que tu ne viennes pas avec nous!"  

"Non, non, je vais rester dans les parages, à regarder les animaux. Amusez-vous mes chéries!"  

Pierre [Yvan Ohé] embrasse sa femme Jade [Amanda Jagger] et sa fille Lucy [Ezra Reviglio].  

Voilà plus de 15 ans qu'il n'a pas mis les pieds dans un cirque. Un peu normal après les évènements traumatisants qu'il a vécu avec sa soeur Lili il y a de nombreuses années.  

Sa soeur, il ne l'a pas vu depuis, ils ont coupé les liens, sûrement parce que se voir ferait remonter à la surface des souvenirs qui sont mieux enfouis là où ils sont.  

Et il part jeter un oeil aux animaux.  

Le public est déjà en place tout autour de la piste, ont sent une saine excitation parcourir les nombreux spectateurs de tous ages, cela promet un beau spectacle!  

Lucy et sa mère viennent s'asseoir juste à l'entrée de la piste, là, elles seront idéalement placées pour admirer le spectacle.  

Les projecteurs s'allument enfin sous les applaudissements et la musique débonnaire de l'orchestre.  

Le maître de cérémonie [René Elliott] apparaît magistralement.  

"Amis humains, bonjour!"  

Les applaudissement redoublent d'entrain.  

"Bienvenue au cirque Freculi! Je me présente, Herbert Freculi, je suis très fier ce soir de vous présenter notre magnifique spectacle, qui, j'en suis sûr vous fera frissonner.....de bonheur!"  

Mais place au premier numéro, j'ai nommé «Hamelin et ses fils»!!  

Pierre parcourt lentement l'allée où sont disposées les cages, lorsqu'il aperçoit une affiche du cirque. « Cirque Freculi « avec en fond, derrière le dessin du tigre et des jongleurs, une silhouette qu'il croit reconnaître. Un grand homme en costume.  

C'est impossible, ça n'est pas lui!  

Il court vers la caisse, mais tout est fermé, impossible d'entrer par là.  

Il fait le tour du chapiteau, et, comme des années auparavant, trouve un pan de la tente un peu ouvert. Il s'y faufile, mais c'est pour s'apercevoir que des larges rideaux de fer entourent les gradins, baissés cette fois dès le début du spectacle.  

Un homme en costume de moyen age, une flûte à la main, fait son entrée sur la piste. Il porte la flûte à sa bouche, une simple note, et un groupe d'une trentaine de rats apparait et vient se positionner à ses pieds.  

Un frisson parcourt l'assistance.  

Mais bien vite, la tension retombe, les rats faisant une série de numéros tous plus habiles les uns que les autres, courant sur des cerceaux, grimpant à une corde puis sautant sur un trampoline, parvenant même, sous les applaudissements des enfants à faire un numéro de voltige.  

Le spectacle se termine avec Hamelin les bras écartés en guise de salut, tous les rats recouvrant pratiquement son corps.  

Applaudissements.  

"Et on applaudis bien fort nos amis les rats! intervient Herbert Freculi. Je pense que vous serez d'accord avec moi les enfants, mais cela mérite une petite récompense non?"  

"Ouiiiiiiiiiiii!" s'exclame le public visiblement conquis.  

"D'accord!", et le grand homme claque des doigts.  

Les rats, en une fraction de seconde commencent à mordre le corps de Hamelin qui pousse un cri effroyable.  

Silence dans l'assistance.  

En moins d'une minute, le corps d'Hamelin est entièrement dévoré, les os nageant dans une mare de sang.  

"Et on applaudis bien fort nos amis!" Lance Herbert Freculi dans un large sourire.  

De nombreux spectateurs se lèvent, prêts à quitter le cirque.  

Freculi, dans un geste d'une rapidité inouïe, soulève par le col la petite Lucy qui était positionnée juste à côté de lui et lui plaque un révolver sur la tempe. Jade, la mère, est pétrifiée d'effroi.  

"Messieurs dames, je vous demande de rester en place, vous ne voudriez pas que cette pauvre enfant soit privée d'un magnifique spectacle par votre faute! Si c'était le cas, sachez que c'est votre propre enfant qui pourrait suivre!"  

Un vent d'effroi traverse la salle. Les spectateurs se rassoient doucement.  

Un cri déchire l'atmosphère: "Noooooooon, lâche-la espèce de salauds!"  

C'est Pierre qui crie de derrière le rideau de fer, cri mélange de terreur et d'impuissance.  

"Oh, reprend Herbert Freculi, je crois que nous avons un intrus. Entrer sans payer c'est interdit, vous risquez des sanctions mon ami!"  

Et deux bras puissants saisissent soudain Pierre par derrière.  

"Et le spectacle continue, les enfants applaudissez bien fort nos clown Démignon et Belzébulle!"  

Et deux clowns apparaissent en courant, sous une une musique mélangeant fausses notes et air ringard.  

Belzébulle un chapeau avec une large fleur sur la tête, fais le tour de la piste: "Oh, mais il y a plein de beaux petits enfants ce soir, je sens que je vais me faire un bon casse-croûte!"  

Un vent de terreur parcourt le public.  

Démignon interrompt son collègue "Non, tu ne vas quand même pas manger ton public! Il n'y aura plus personne pour nous applaudir!"  

"Oh juste un ou deux, Dém répond Belzébulle, ils ont l'air si tendres!"  

"Non, pas question!" Et il sort de sous son manteau une énorme hache, dont on ne sait comment elle tenait sous le vêtement.  

"Tu ne me fait pas peur!" Et Belzébulle appuie sur une poire lançant un jet d'eau depuis la fleur de son chapeau. Mais ce n'est pas de l'eau, mais de l'acide!  

L'acide vient attaquer le visage de Démignon dont le visage se déforme soudain, il pousse un large cri.  

De colère, il soulève sa large hache et vient l'abattre sur l'épaule de son collègue. Le bras se détache dans un jet de sang.  

La suite est une bataille acharnée, chaque clown sortant une arme d'on ne sais-où. Bataille qui se finit dans un bain de sang, les roadies débarrassant la piste les deux corps des deux clowns sans vie.  

Clap, clap clap.  

Seul l'applaudissement de Herbert Freculi casse le lourd silence.  

"Bon, un peu de calme à présent, la musique adoucit les mœurs n'est-ce pas? Je vous demande d'applaudir notre duo de musiciens «Ludwig et Amordéus»!"  

Deux musiciens en queue de pie apparaissent, l'un porte un violoncelle, l'autre une valise.  

Ils font un salut.  

Les roadies apportent un homme bâillonné et ligoté sur une chaise.  

Pierre.  

Ils lui enlèvent le bâillon, Pierre en profite pour s'exclamer:  

"Libérez-moi espèces de pourris!"  

Mais Ludwig, entame un air au violoncelle.  

Amordéus sort un couteau de sa valise, et le plante dans la main de Pierre qui laisse échapper un cri.  

La scène se poursuit ainsi, les cris de Pierre bizarrement en harmonie avec la musique émanant du violoncelle. Symphonie macabre.  

La musique va crescendo, les coups de couteau portés plus violemment, les cris plus forts.  

Des coulisses, Herbert se tourne vers son chef-comptable:  

"Je pense que ce soir nous allons faire un gros score, nous devrions récupérer au moins 90% d'âmes. Il y aura quelques morts comme d'habitude, mais si nous faisons bien attention, nous devrions en faire signer pas mal. L'âme humaine, c'est comme un bon steack, une fois qu'on l'a attendrie, rendue molle, on en fait ce que l'on veut."  

Dans un coin sombre des gradins, une ombre se redresse, Lili, la soeur de Pierre, qui à grand peine, à réussi à se retenir d'intervenir pour l'instant, mais c'est l'heure, elle doit agir à présent, c'est son plan...