Un scénario de Sonia Loïs, avec :  

- Chuck Beck : Julien  

- Heather Bregman : Ilyanna  

- Leila Baccarin : Awen  

- Pavel Ferris : Gabriel  

Le téléphone portable vibrait sur la table du salon. À chaque sonnerie, le mobile se déplaçait un peu plus sur son socle. Une dizaine de sonneries, puis le correspondant se lassa. Et à peine quelques secondes plus tard, on rappela. Finalement conscient que quelqu’un essayait de le joindre depuis dix bonnes minutes, Julien arriva en courant dans sa salle à vivre, attrapa son minuscule Samsung et regarda qui l’appelait. L’écran lumineux affichait « Wee ».  

Les sourcils froncés, Julien se demanda ce que pouvait bien lui vouloir Awen pour lui téléphoner avec autant d’insistance. Ne savait-elle pas que sa femme risquait d’avoir des soupçons ? Il prit l’appel d’un geste légèrement impatient.  

"- Bon sang, je t’ai déjà dit de ne pas appeler comme ça ! Heureusement qu’Ilyanna est sortie, qu’est-ce qu’elle aurait dit si…  

– Ilyanna peut aller au diable, aujourd’hui ! C’est le plus beau jour de ma vie !"  

La voix d’Awen tremblait de larmes de joie. Une vague amoureuse déferla dans la poitrine de Julien, qui oublia aussitôt toute sa colère et ses reproches. Bien sûr, il était amoureux d’Ilyanna – sinon, il ne l’aurait pas épousée –, mais Awen avait tout ce qu’il manquait à sa femme.  

"- Je suis enceinte !" s’écria sa jeune maîtresse à l’autre bout du fil.  

Éberlué, Julien tira machinalement une chaise avant de se laisser tomber sur son siège, le souffle coupé. Comme s’il était soudainement monté sur un ring et qu’un catcheur s’était chargé de lui vider l’estomac avec le meilleur coup de poing de l’hémisphère Nord.  

"- Tu quoi ?"  

Il aurait voulu se mettre debout pour aller ouvrir la fenêtre et respirer un peu, mais la partie inférieure de son corps venait de se mettre en grève.  

"- Mais, il est de qui ?  

– De Hugh Grant…  

– Non !? Tu plaisantes ?  

– À ton avis ? Il est de toi. Je ne fréquente pas plusieurs hommes à la fois, moi."  

Julien raccrocha, complètement paniqué.  

"Bon sang de chiotte, je vais avoir un gosse à moi…", se dit-il, effondré.  

"Bon sang de chiotte, mon gosse à moi !" se répéta-t-il, soudainement extatique en réalisant que le pommier de leur amour commençait à donner des fruits.  

À la vitesse de l’éclair, il composa le numéro d’Awen, eut le temps de faire quelques bonds de joie dans sa cuisine avant qu’elle ne décroche, et quand ils furent en ligne, ils hurlèrent leur bonheur à qui mieux mieux dans le combiné. Au final, Julien promit d’accourir chez elle pour fêter la nouvelle et ils se séparèrent difficilement de leurs téléphones.  

Le pas léger, le jeune homme attrapa une veste, son portefeuille et un flacon de parfum avec lequel il se rafraichit l’haleine. Et quand il posa la main sur la poignée de la porte, quelqu’un ouvrit.  

"- Oh ! Pardon !" s’exclama une voix féminine paniquée en remarquant que le nez de Julien avait fait connaissance avec le coin de la porte.  

"- Tu vas bien ?  

Ilyanna éclata de rire en entendant la voix nasale de son époux qui se tenait le visage comme s’il avait peur que sa face ne tombe sur son parquet. Plus elle riait et plus il maugréait, mais plus il râlait et plus elle était hilare. Quand ils furent tous les deux remis de leurs émotions respectives, Ilyanna l’embrassa dans le cou avec un air étrangement réjoui.  

"- Pourquoi cette bonne humeur ?" sourit-il poliment en mourant d’envie de la quitter pour aller voir sa maîtresse.  

"- J’ai une grande nouvelle à t’annoncer…"  

Le sourire de Julien retomba aussi vite qu’il était venu, sentant à plein nez – ou du moins avec les vestiges de ce qui avait été son nez avant l’arrivée de sa femme – que cette grande nouvelle risquait de le retarder.  

"- J’ai reçu les résultats de ma prise de sang et… Ça y est, mon amour, ça y est !! Je suis enceinte !"  

Tout ce que Julien réussit à dire fut "Seigneur, c’est impossible". Ilyanna crut que c’était sa façon d’être heureux et lui sauta au cou. Pendant qu’il se laissait embrasser, à la fois envahi par l’allégresse et une envie de vomir, il se demanda s’il ne s’agissait pas d’un complot des deux femmes pour l’obliger à faire un choix. Se connaissaient-elles ? L’épouse avait-elle découvert la maîtresse ? L’une était-elle jalouse de l’autre ou vice-versa ? Mais Ilyanna pleurait presque de joie dans son cou. Awen avait presque pleuré de joie au téléphone elle aussi : aucune des deux ne jouait la comédie.  

Dans l’immédiat, Julien ne vit que deux solutions : la fuite ou le suicide. Mais il n’avait pas besoin d’être très futé pour se rendre compte qu’il s’agissait de deux mauvaises solutions. Après tout, il s’agissait d’excellentes nouvelles. Quoi de plus beau pour un couple que d’avoir un enfant ? Ni Ilyanna ni Awen ne méritait de se retrouver seule avec un petit être à élever en mères célibataires… Quant à l’avortement, hors de question !  

Dès le lendemain, Julien avait pris sa décision : il serait le père de ses deux enfants. Mais il comptait bien cacher la grossesse de sa maîtresse à sa femme, mais également celle de sa femme vis-à-vis de sa maîtresse. Non, il n’entrerait pas dans cette catégorie d’hommes qui abandonnait les femmes après un ébat trop bien réussi !  

En se disant cela, il trouvait sa décision particulièrement noble.  

Et courageuse.  

Mais également particulièrement stupide.