Le reflet de la lune luisait dans le regard fixe d'un corbeau dont le croassement retentit au coeur d'une cité en ruine. Les bâtiments délabrés s'étaient éteints de toutes formes d'énergie depuis longtemps, laissant place à la végétation sinueuse. Dans cette mégalopole spectaculaire qui fit les heures glorieuses de l'ère cybernétique ne subsistait plus la moindre âme humaine à l'inverse d'une faune qui florissait à nouveau. Le sol fut un temps jonché de millions de cadavres humains que la putréfaction eut le temps de transformer en tas d'ossements. Le bruit des cités s'est éteint et ne laissent désormais place qu'aux quelques fracas de ruines s'effondrant au lointain.  

"Le silence..."  

Au delà des zones urbaines, la nature commençait à reprendre ses droits et certains territoires avaient déjà été effacés de toute trace humaine. Ce processus avait pris du temps, bien plus qu'il n'en aura fallu pour que l'espèce humaine disparaisse. En surpopulation extrême, la croissance technologique rendit la survie de n'importe quel être humain dépendant des nombreux médicaments ingérés. Un défaut mis en évidence par les experts qui s'attendaient un moment ou un autre à ce que la faille se produise.  

"Il en suffit d'un..."  

Il suffit d'un germe suffisamment résistant pour que rien ne soit en mesure de l'entraver. L'humanité avait affronté plusieurs formes de pandémie si bien qu'elles devenaient toutes plus violentes les unes que les autres. S'armant d'une batterie spectaculaire de médicaments, ils n'imaginèrent pas que ceux-ci provoqueraient leur déclin. Le mal devint un remède, le mal devint un vaccin, le mal devint obligatoire. Et finalement, le mal se déclencha.  

"La mort, grande virtuose..."  

Le virus rendu inopérant par la vaccination ne manquait que d'un facteur pour retrouver son intensité totale, une irradiation solaire accrue. Or, le 15 septembre 2782, l'humanité s'apprêtait à recevoir cette sombre bénédiction solaire. L'éruption solaire qui s'était déroulée 27heures auparavant avait projeté une quantité nucléaire spectaculaire dans le vide sidéral en direction de la Terre. Affaiblie par la pollution, l'irradiation atteint l'atmosphère sans encombre et l'humanité toute entière respira sa mort.  

"Cela ne prit qu'une semaine." pensait P8XZ-934 (Horacio Winstone) en scrutant le crâne blanchi et soigné par ses soins. L'unité de soutien robotique avait vu 87 révolutions solaires se dérouler depuis la Faille. Il eut le temps de rencontrer d'autres unité de soutien, d'en voir s'éteindre par négligence. Depuis quelque temps il n'en voyait plus, mais il continuait toutefois ses missions routinières. La réparation des derniers conduits énergétiques qui alimentent le bâtiment de survie cryogénique. C'était sa tâche principale, mais il devait aussi penser à sa propre survie et à analyser de temps en temps les données atmosphériques.  

Il se souvenait des premières semaines où les unités de soutiens n'avaient reçu aucun ordre à exécuter. En l'absence des hommes, les centrales énergétiques autonomes ne tiendraient pas longtemps. Les ressources énergétiques principales demandaient la présence de l'Homme pour fonctionner correctement. La Question fut posée : Que voudrait l'Homme ?  

"Survivre"  

Evidemment, la survie de l'homme était primordiale. P8XZ-934 avait pour mission de maintenir ce bâtiment de survie cryogénique en état ainsi que ses occupants. A cause des multiples pannes électriques, plusieurs cellules cryogéniques dépérirent, mais la mission de l'unité de soutien robotique restait un succès. L'homme avait survécu puisqu'il restait une cellule cryogénique opérationnelle. P8XZ-934 avait lu que "tant qu'il restait de la vie, il restait de l'espoir". Ne comprenant pas la notion d'espoir, il en transforma le terme pour l'assimiler.  

"Tant qu'il restait de la vie, Ils pourraient se recréer."  

Il passa un dernier coup de brosse sur le crâne qu'il avait récupéré et le rajouta à sa collection. Aux côtés de l'armoire des crânes se trouvaient d'autres ossements classifiés ainsi que quelques étranges créatures faites d'ossements imbriqués les uns dans les autres. C'était ses créations à lui, ce qui le posait dans une interrogation à son tour : était-il également capable de créer. Il attendait le réveil de cette jeune femme pour lui poser la question. Tout en y pensant, il remarqua que la séquence de sept jours s'achevait et qu'il devait vérifier la qualité atmosphérique.  

Les derniers capteurs avaient indiqué une irradiation rémanente de 0,0001%. C'était infime mais potentiellement suffisant. Le réveil devait se faire après que la Terre se soit naturellement purgée. Quelle ne fut sa surprise en observant les capteurs de se voir récompenser.  

"C'est aujourd'hui !"  

Il n'en revenait pas et exécuta l'analyse plusieurs fois avant d'être persuadé du résultat. L'air était finalement sain, il était temps de réveiller les survivants cryogéniques ! C'est en tout cas ce que doivent faire les autres unités de soutien robotique. Dans son cas, il n'avait qu'un seul survivant à réveiller. Sur les 2000 cellules de cryogénie, une seule parvenait à être encore alimentée par la source d'énergie autonome de la ville. C'était mieux que rien, ce n'était pas un échec. P8XZ-934 enclencha la procédure, le réveil prendrait du temps, il ne fallait pas qu'il échoue.  

- Trois jours plus tard -  

Le corps de la jeune femme (Vivy Thamine) remuait, ses paupières s'agitaient et finalement s'ouvrirent pour découvrir ce qui fut autrefois un visage robotique. Elle hurla de frayeur et tenta de s'échaper mais ses membres étaient maintenus attachés. P8XZ-934 tenta d'effectuer des mimiques sociales mais il n'avait pas envisagé que son état de délabrement avancé pouvait provoquer une peur cauchemardesque pour l'être humain.  

"N'ayez pas peur je suis votre dévoué !" se contentait-il de dire avec autant de calme que possible.  

"F-F-F-Foutez-moi le camp ! Cass-ss-ssez vous ! Put-t-tain" bégayait la jeune femme entre deux hurlements avant de voir le robot s'exécuter. Il s'éloigna de plusieurs mètres jusqu'à ce que la jeune femme cesse de hurler. Celle-ci pencha la tête vers lui pour mieux le regarder et son expression se transforma en surprise.  

"Vous êtes un robot ?"  

"Oui, je suis votre dévoué !"  

"Quel est votre fonction ?" demanda la jeune femme avec dédain.  

"Je suis une unité de soutien robotique chargé de la survie des cellules cryogéniques."  

"Oh... c'est vrai" dit la jeune femme dans un souffle, se rappelant des commentaires de mission qu'on lui avait fourni avant cryogénisation "... mais pourquoi n'est-ce pas le chef de service qui nous a réveillé ?"  

"Il... est absent." répondit le robot en se tordant les poignets mécaniques  

"Absent ? Bon, mais dans ce genre de procédure ce devrait être le supérieur cryogénique qu'il faut réveiller en premier."  

"C'est ce que j'ai fait."  

Le sourcil de la jeune femme se releva. Elle n'était qu'une civile dans cette unité militaire de survie cryogénique, une simple scientifique. Ca ne faisait d'elle la supérieure de personne. Le robot aurait-il un dysfonctionnement ? Vu son état, cela semblait possible. Puis elle commença à remarquer les lumières clignotantes et les différents révélateurs de soucis électriques. Les fissures dans les murs ne laissaient rien présager de bon non plus.  

Prise d'inquiétude, elle se tourna de nouveau vers l'unité de soutien robotique.  

"Robot, raconte moi ce qu'il s'est passé."  

Le regard sévère de la jeune femme n'envisageait pas encore ce qu'il s'était produit durant ses années de cryogénies.  

- Un script signé Kelly Mc Anena -