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Well Walling Production présente
La Contrebasse

 

Une affiche de Frehan.  

 

Un scénario de Sonia Loïs, avec :  

- Lara John : Victoire  

- Amaury Jodorowsky : Friederick  

 

 

 

La lourde contrebasse était rangée dans son étui. Victoire se préparait à quitter la grande salle de l’Opéra Garnier mais le chef d’orchestre lui posa une main sur l’épaule. L’homme lui tendait plusieurs pages de partitions. Du coin de l’œil, la femme put lire l’intitulé ; “Kontrabaß erster Solist : Premier soliste de contrebasse”.  

« Félicitations » dit simplement le chef d’orchestre. « Vous voici devenue la plus grande contrebassiste de Tout Paris. »  

D’abord, Victoire resta interdite devant les feuilles qu’on lui tendait. Puis elle réalisa qu’on venait de la choisir, elle, pour être la première soliste dans l’orchestre du plus grand opéra de Paris. Soliste dans un des plus beaux orchestres du monde.  

Alors qu’elle était issue d’une famille moyenne et qu’elle avait dû gravir, seule, un millier d’échelons pour parvenir jusque là, on consacrait enfin ses efforts. L’orchestre reconnaissait sa valeur.  

Une pointe de fierté gonfla sa poitrine mais ses yeux devinrent humides. La fatigue et la pression de toute une vie déferlèrent en elle et elle éclata en sanglots.  

« En effet, Mademoiselle Rebam, vous pouvez pleurer, car vous avez ici près de quatre cent mesures à savoir à la perfection pour demain matin. L’opéra de Wagner ne tolèrera aucune erreur.  

– Je n’en ferai aucune.  

– Je l’espère pour vous. Plusieurs de vos collègues connaissent déjà cette partition par cœur. Il ne tient qu’à vous de garder la place que je vous offre. Je n’aurai aucun mal à vous faire remplacer si vous ne répondez pas à mes attentes. Tout cela est-il bien clair ?  

– Limpide, oui. »  

Victoire prit sa partition et hissa son lourd instrument sur son épaule. D’un coup d’œil discret, elle regarda l’heure à son poignet : pratiquement vingt-trois heures. Inutile de rentrer chez elle pour répéter, elle ne ferait que perdre son temps. Elle trouverait bien un local dans l’opéra pour répéter toute la nuit.  

 

Le lendemain, Victoire luttait autant contre la fatigue que contre l’anxiété. Un nœud dans son estomac l’empêchait d’apprécier la musique qu’elle était en train de faire. Ses yeux épuisés allaient vite sur la portée et elle craignait de mal lire les notes serrées qui étaient écrites dessus. Plus que quelques mesures et elle pourrait se vanter d’avoir réussi sa partie dès la première répétition.  

« Appassionato, appasionato ! » criait le chef d’orchestre sans cesser de battre la mesure avec véhémence.  

Victoire redoubla d’efforts pour répondre à sa demande. Jouer passionné. Comment jouer appassionato quand sa carrière dépendait de son application ?  

« Bien ! Legato ! Legatissimo ! »  

Lier la fin, pour que chaque note coule derrière sa sœur et laisse à l’oreille une douce sensation mielleuse et fluide. Un dernier crescendo et enfin, tous les autres instruments se joignirent à elle pour achever l’acte. Le nœud disparut d’un seul coup et Victoire retrouva enfin le plaisir de jouer simplement. Les yeux fermés, elle se laissait porter par des suites d’accords qu’elle connaissait sur le bout des doigts.  

 

Alors qu’ils allaient achever le morceau, quelqu’un fit éruption dans la salle et interrompit tout. Beaucoup de grognements de protestations s’élevèrent. Victoire elle-même se sentait infiniment déçue de devoir arrêter avant la fin un travail qui aurait pu être parfait. Son état de fatigue la rendait irritable et la moindre contrariété lui semblait être la fin d’un monde.  

« C’est pour quoi ? » aboya le chef d’orchestre, aussi tendu que ses musiciens, à l’adresse de la nouvelle venue.  

« Coup de fil urgent pour Mademoiselle Victoire Rebam à la réception. »  

Victoire blêmit.  

« Ça ne peut pas…  

– Urgent. Vous devriez vraiment venir, Mademoiselle. »  

La femme s’excusa platement auprès de tout l’orchestre et se hâta, à la fois furieuse et honteuse. Quelques minutes plus tard, la réceptionniste lui tendait le combiné du téléphone.  

« Un quart d’heure que ce type occupe notre ligne, je vous prierai d’être brève et de faire en sorte que vos coups de fils personnels ne deviennent pas une habitude.  

– Pardon. Merci. »  

Dès qu’elle eut l’oreille posée sur le téléphone, elle entendit une voix qu’elle connaissait bien. Son cœur et son estomac se serrèrent.  

« Friederick ?  

– Victoire ! »  

Elle avait oublié l’accent si particulier de Friederick quand il prononçait son nom. Son ex-mari était allemand et il n’avait jamais réussi à prononcer le nom de son ancienne compagne correctement. Victoire devenait “Fiktoare” entre ses lèvres. Et elle avait toujours aimé ça. Même après leur divorce. Comme il ne parlait pratiquement pas français, elle passa à l’allemand pour lui.  

« Je peux savoir pourquoi tu appelles ici ? Tu veux me faire virer ?  

– J’ai essayé d’appeler chez toi hier. J’ai essayé toute la journée. Tu n’as jamais répondu. Alors je me suis dit qu’en appelant ici… »  

Evidemment. Elle avait constamment fait passer son travail avant tout le reste. Même du temps de son mariage, elle passait ses journées à l’opéra pour travailler inlassablement.  

« Bon, qu’est-ce que tu veux ?  

– C’est ton fils.  

– Bastian ? Quelque chose ne va pas ?  

– Il est décédé hier matin. »  

Un long silence s’installa entre eux.  

« J’ai appris récemment qu’il se droguait. Visiblement, il a fait une overdose. D’après un médecin, on lui aurait donné de l’héroïne trop pure et… »  

Un sanglot étouffé emporta la fin de la phrase. Friederick semblait au bord du désespoir. Victoire, elle, se sentait étonnamment vide. Mais ce n’était pas la tristesse d’une mort qui l’envahissait : c’était la sensation d’avoir perdu un fils qu’elle n’avait jamais connu.  

Trop absorbée par son travail de musicienne, elle avait négligé son rôle d’épouse puis de mère. C’était à cause de ces absences que Friederick avait demandé le divorce. Son ancien époux avait emporté avec lui leur fils de trois ans qu’elle n’avait pratiquement plus revu depuis.  

« Il n’avait que seize ans… » murmura Victoire.  

« Il en avait quinze » rectifia amèrement l’homme.  

Aurait-elle mérité le titre de la plus mauvaise mère du monde ? Si on lui avait demandé la date de la naissance de Bastian, elle n’aurait même pas été sûre de sa réponse. Une mauvaise mère contrebassiste au sommet de sa carrière.  

« Ses funérailles ont lieu après demain.  

– Je n’y serai pas. Je joue Wagner, après demain. Je suis passée soliste. Je ne peux…  

– C’est ton fils, Victoire ! Ton fils, putain ! As-tu seulement idée du mal que tu lui as fait avec cette stupide contrebasse ? Il n’a vu sa mère que deux fois dans sa vie et tu refuses même de venir rendre hommage à son corps ? Tout ça pour un solo de Wagner ?  

– La contrebasse, c’est toute ma vie. »  

Victoire raccrocha pour ne pas entendre sa réponse. Mais elle savait bien que Friederick aurait eu raison en lui disant que faire sa vie avec une contrebasse était vide de sens. Au moindre faux pas, elle n’aurait plus rien. La contrebasse ne serait pas là pour l’aimer quand elle serait en fin de carrière. La fin de la vie de son fils lui faisait soudainement réaliser à quel point elle n’avait pas eu de vie. Friederick avait réclamé le divorce, mais elle n’avait pourtant jamais cessé de l’aimer. Et jamais il n’avait refait sa vie avec une autre.  

Mais abandonner le plus beau rôle de sa carrière ? Alors qu’elle avait mit toute une vie pour atteindre ce but ? Une vie bien vide, mais toute une vie quand même. Victoire avait tout sacrifié pour en arriver là. Mais après ce coup de fil, elle n’était plus sûre de rien. Paris ou Berlin ?  

« Du kannst noch einmal leben, Victoire » lui aurait dit Friederick. Tu peux vivre encore une fois.  

 

Elle retourna dans la salle de répétition en marchant comme une âme perdue. Le chef d’orchestre lui lança un regard profond quand elle fut de retour.  

« Quelque chose ne va pas, Mademoiselle Rebam ? Vous avez quelque à nous dire ? »  

Elle marqua un temps de pause.  

« Oui, Monsieur. Quelque chose d’important. »  

Scénario : (4 commentaires)
une série B dramatique de Sandy Scuter

Amaury Jodorowsky

Lara John

Adrien Flanagan

Estelle Green
Musique par Kristen Rosenmeyer
Sorti le 08 août 2020 (Semaine 814)
Entrées : 17 932 797
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