Jay positionne le petit tabouret de bois bien précisément. Il pose un pied, puis un autre dessus, et se retrouve debout en équilibre. D'une main décidée il attrape l'épaisse corde et glisse sa tête à l'intérieur de la boucle. Puis, un mouvement sec, il donne un coup de pied dans le tabouret qui va valdinguer quelques mètres plus loin. Son corps balance lentement pendant quelques secondes, avant de s'immobiliser définitivement.  

Il sourit.  

Quelques jours plus tôt.  

"Putain de GPS!" voilà plus d'une heure que Jay [Tony Truant] a l'impression de tourner en rond, et d'après le boitier censé lui indiquer le chemin, il se trouve au milieu d'un champ.  

Il l'a pourtant mis à jour avant de partir, et il est bien sur une route, mais que le GPS ne semble pas connaître. Il attrape nerveusement une carte routière dans sa boite à gant, et après l'avoir dépliée, il doit se rendre à l'évidence, il se trouve sur une route qui n'est indiquée nulle part, et pas un village ou un hameau à moins de 30 kms. Et bien évidemment, sa jauge à essence est dangereusement basse.  

Il avance lentement, une main sur le volant, un oeil sur la carte, lorsque son attention est attirée par un mouvement sur le côté. Il lève les yeux, quelque-chose semble agiter l'eau d'une petite mare à quelques mètres de la petite route.  

Il pile et descend précipitamment de la voiture, ça n'est pas un poisson, beaucoup trop gros.  

Arrivé au bord de la mare, il n'hésite pas un instant, c'est le bras d'un enfant qui s'agite hors de l'eau trouble, il plonge.  

Jay ressort de la mare quelques instants plus tard, une petite fille [Melinda Cohen] dans les bras.  

D'où peut bien sortir un enfant, à un endroit comme celui-çi, si loin de tout?  

Il la dépose sur le siège arrière de la voiture, et reprend le volant. Quelques mètres plus loin, au détour d'un virage, un panneau apparaît, comme caché derrière des branchages, «Harmonylane». C'est un vieux panneau de bois, le nom de la petite ville y a été inscrit maladroitement à la peinture.  

Jay jette un coup d'oeil à la carte routière, pas la moindre trace de ce village!  

C'est un petit bourg aux maisons de pierre presque désert, seuls quelques passants arpentent lentement les trottoirs poussiéreux.  

Malgré l'absence de collines alentour, cet endroit doit pourtant être abrité, pas une trace de vent, les quelques arbres qui bordent la rue sont figés dans un immobilisme presque irréel.  

Un chien anorexique traverse la rue en courant devant la voiture de Jay.  

Le jeune homme se stationne devant l'enseigne d'un bar, un des rares magasins de la ville, avec, un peu plus loin une sorte de petite épicerie. Le jeune homme descend de la voiture, la petite fille trempée dans les bras.  

Plusieurs habitants arrivent en courant, dont Brad, le patron du bar.  

"Jodie, que lui est-il arrivé?" demande le vieil homme en arrachant presque l'enfant des mains de Jay.  

C'est alors que la petite fille se réveille lentement et parvient à articuler quelques mots,  

"Il... il m'a sauvé la vie", et elle se rendort.  

Plusieurs heures ont passée, le patron du bar à proposé des vêtements secs à Jay, ainsi qu'un bon café. Jodie, la petite fille, les cheveux secs et changée entre dans le bar et vient s'asseoir en face de Jay.  

"Je vous remercie beaucoup, Monsieur, vous m'avez sauvée", commence Jodie  

"C'est rien, appelle-moi Jay"  

"Je veux vous remercier, et ma mère aussi!"  

A ces mots, Brad, le patron, lève les yeux de derrière le comptoir, pose le torchon avec lequel il essuyait ses verres, et contourne d'un pas rapide le bar pour se poster, l'air contrarié face à la table de Jay et Jodie.  

En un instant, les quelques clients présents les rejoignent et viennent encadrer Brad. Le patron prend la parole:  

"J'ai bien entendu Jodie?"  

"Oui, ma mère veut le remercier de vive voix!" répond la petite fille d'un air provocateur  

"Tu sais très bien que la loi nous l'interdit, c'est un étrang..." et Brad s'arrête soudain, comme s'il écoutait le vent souffler à ses oreilles.  

Il reste un instant interdit, sans dire un mot, comme plongé dans ses pensées. Les 3 ou 4 clients autour de lui ne bougent pas non plus. Enfin, il lâche à regret:  

"Ok, comme vous voulez..."  

Il s'approche de Jay, tend le bras vers lui, et passe la paume de sa main sur les yeux du jeune homme, du haut vers le bas.  

Jay croit voir un éclair lumineux d'un blanc étincellant.  

Sa vue met quelques secondes à se rétablir, il a toujours Jodie assise en face de lui, mais étrangement, Brad a à présent une dizaine de personnes autour de lui. Et assises aux tables du bar qui était jusqu'à présent presque vide, de nombreux clients semblent profiter du lieu.  

Mais les quelques clients qui semblent «apparus» comme par enchantement, ont un aspect un peu étrange, anachronique.  

"Bienvenue à Harmonylane la bien nommée, Jay!" lui dit Brad.  

Brad ne comprend pas trop ce qui lui arrive, il jette un coup d'oeil à l'extérieur, par la large vitre, et à présent, les rues du village semblent beaucoup plus animées. De nombreux passants vont et viennent dans la rue, un chat traverse la rue à toute vitesse, avec à ses trousses le chien anorexique aperçu auparavant.  

Et tous ces gens paraissent bien étranges. Certains sont habillés de costumes dignes des années 50, quelques cowboys déambulent nonchalement, croisant un hippie ou un rocker en blouson de cuir.  

"Qu'est-ce que c'est que cette ménagerie?" lance Jay n'en croyant pas ses yeux.  

"C'est Harmonylane, l'endroit où les morts vivent en harmonie avec les vivants" lui répond en souriant Jodie.  

Jay reste sans voix pendant de longues secondes, son esprit ne pouvant analyser ce qu'il voit.  

Et soudain, le groupe de personnes qui entouraient Brad s'écarte, et laissent le passage à une jeune femme à la chevelure de jade, et aux yeux d'un bleu étincelant. Wanda [Pamela Cooder], la mère de Jodie. Décédée quelques années auparavant.  

Ca n'est qu'une impression, mais Jay pense qu'il la connait, que durant toutes ces années il l'attendait.  

"Monsieur, dit-elle au jeune homme, je tenais à vous remercier d'avoir sauvé ma fille, l'heure n'est pas encore venue qu'elle me rejoigne."  

Jay ne parvient pas à esquisser la moindre phrase, comme hypnotisé par le regard profond de la mère de Jodie.  

"Maintenant que tu l'as remercié, tu sais ce qu'il nous reste à faire Wanda, Nous débarrasser de lui!"  

La voix vient du fond de la pièce.  

Un homme est assis nonchalamment sur une des tables, son regard noir semble transpercer Jay. C'est visiblement un indien. Sa voix est grave et l'on pourrait croire qu'un écho résonne à chacune de ses phrases.  

Cet homme, c'est Ohanzee [Stanley jezek], le véritable chef de la petite ville. Oh, il y a bien un maire, mais son autorité n'est que de façade. C'est Ohanzee, l'ancien, qui tire les ficelles. C'est lui qui dicte les lois et les fait respecter. Et la loi est formelle, "seuls les enfants d'Harmonylane peuvent vivre à Harmonylane". La ville est interdite aux étrangers.  

Ohanzee se lève, tend un bras en direction Jay qui sent soudain comme un étau lui enserrer le coeur. Il va suffoquer.  

"Non! Il ne mérite pas cela!" crie Wanda en se positionnant entre Ohanzee et Jay, comme un écran protecteur.  

La pression sur Jay semble se relâcher. Alors que sa mère lutte avec le «vieil« indien, Jodie attrape Jay par la manche et l'entraine au dehors.  

Jay, tout en continuant à courir dans la rue, tourne la tête vers Wanda.  

Pourvu qu'il ne lui arrive rien...