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Big Bear Movies présente
Mime

Le rideau se lève lentement.  

La scène est vide, seule la lueur triste d'une lampe anorexique tente péniblement de transpercer l'obscurité ambiante.  

Le silence.  

Comme évoluant dans une autre dimension, dimension au temps ralenti, Ben ( Ivan Harrison ) s'avance. Son visage poudré de blanc ne laisse transparaitre aucune émotion. Son corps longiligne est moulé dans un collant sombre, informe. Ben évolue avec la grâce d'un danseur, chacun de ses mouvements est décomposé à l'extrême. On devine les heures passées devant la glace à chercher le geste juste, l'effet qui fera mouche, qui fera autant travailler l'imagination du spectateur, qu'il ne montrera vraiment.  

Les projecteurs viennent chasser la faible ampoule, « laisse-faire les pros « semblent t-ils dire. Et la lumière inonde la scène. Ben fait une révérence, que l'on croirait tirée d'un autre temps.  

Quelques maigres applaudissements, venant des 2 ou 3 tables occupées, se font entendre.  

Le spectacle peut commencer.  

 

..  

« Il est pas question que je t'en resserve un autre Luc, t'es déjà chargé comme un mulet.  

«Putain, Gérard, t'as aucune pitié, t'as vu la journée que je viens de passer? Je...je sais même pas où je vais crécher ce soir, j'ai laissé ma carte bleue dans l'appart. Et il est hors de question que j'aille encore affronter ma femme, enfin, mon ex-femme.»  

« Si t'es vraiment trop dans la mouise, tu peux dormir cette nuit dans le bar. Mais demain, tu te trouves une chambre d'hôtel.»  

« Ok, Gérard, t'est un frêre pour moi, allez, un petit dernier, pour fêter ça!»  

 

..  

Ben est à présent assis.  

Sauf que sous lui, il n'y a pas de chaise.  

Les quelques spectateurs présent se demandent comment il parvient à garder l'équilibre dans une telle position. Ses jambes font presque un angle parfait, et on se demande où il a pu loger son centre de gravité pour ne pas tomber à la renverse.  

D'une main assurée, il attrape un verre invisible, boit une gorgée d'un liquide imaginaire et repose le verre sur une table invisible elle aussi.  

Son visage prend une expression étranglée, comme si le liquide qu'il venait de faire semblant d'avaler était de l'eau de feu, au sens littéral du terme. Il tousse. Alors que ses mouvements étaient jusqu'à présent contrôlés, ils semblent à présent totalement exagérés. Ils "semblent" seulement, tout est sous contrôle.  

Puis il tente péniblement de se lever, appuyant ses deux mains bien à plat sur la table imaginaire.  

 

..  

« Je sais, j'ai merdé. Mais t'aurais résisté toi, à une petite jeune de 20 ans prête à te faire découvrir des trucs que tu vois que dans les films? J'suis un homme, merde. Les femmes ça comprend rien. Je voulais pas casser mon mariage, juste un petit coup de canif dans le contrat. "Changement d'herbage réjouit les veaux" comme disait mon grand-père»»  

« Ouai, mais t'aurais peut-être pas du aller t'en vanter partout!»  

 

..  

Ben marche à présent sur la pointe des pieds, mimant l'homme qui rentre tard mais ne veux pas réveiller sa femme.  

Il s'avance devant un paravent qui a été déposé au milieu de la scène. Son personnage enlève discrètement ses vêtements avant d'aller au lit.  

Ben passe de l'autre côté du paravent et commence à mimer la femme qui vient de se réveiller et se met à crier après son mari.  

Il saute de l'autre côté du paravent et se positionne penché en arrière, le corps à l'oblique, défiant à nouveau la loi de l'apesanteur, comme si les cris de la femme avaient tant de force qu'ils repoussaient en arrière le mari.  

Ben joue à présent tour à tour les deux personnages, alternant la femme en furie, à droite du paravent, et le mari apeuré, sur la gauche.  

La femme s'énerve, fait de grands gestes et lance un objet ( un livre? la lampe de chevet? ) à son mari qui l'évite d'un mouvement exagéré.  

Le numéro est réglé à l'extrême. Ben passe d'un côté à l'autre du paravent avec une telle rapidité que cela paraît irréel.  

Il mime à présent une bagarre entre la femme et son mari. Il s'attrape par le cou, le bras à moitié caché par le paravent, donnant l'illusion que le mari est en train de se faire étrangler par sa femme. Le vieux coup de la main qui étrangle.  

Sauf que l'expression sur le visage de Ben n'a rien de comique. Son regard fuit derrière des yeux exorbités. Il est le mari en train de se faire étrangler. Derrière le fard blanc, son visage prend un teint rougit. Les quelques spectateurs sont comme hypnotisés devant tant de réalisme.  

 

..  

«Merde Luc qu'est-ce qui t'arrive?  

Gérard, le patron, passe devant le bar sans trop savoir ce qu'il va pouvoir faire.  

Son client est soudain pris d'une sorte de crise.  

Luc est comme sous l'effet d'une attaque d'asthme, les yeux révulsés. Il ne semble ne pas pouvoir retrouver son souffle, un filet de bave pointe au bord de ses lèvres.  

Il s'écroule sur une chaise qui trainait là. Dans un spasme, son bras vient balayer les quelques verres laissés sur une des tables.  

Le corps tout entier de Luc est secoué, comme soumis à un tremblement de terre intérieur.  

Il se tortille et gigotte, à la manière d'un ver de terre qui sait qu'on va bientôt lui enfoncer un hameçon à travers du corps.  

Mais ce qui choque le plus Gérard, bien qu'il ne sache si ce qu'il voit est réel, c'est qu'au niveau du cou de Luc, la peau se plisse, comme si une main invisible étreignait son client.  

Le patron du bar se jette sur le téléphone pour appeler le SAMU, mais il est déjà trop tard, une goutte de sang commence à perler de la narine de Luc.  

 

..  

Ben referme le col de son manteau, et repart dans la nuit le long de la petite ruelle qui le ramène chez lui.  

Il sait que cette nuit encore il a fait une victime. Une victime inconnue, probablement innocente.  

Il sait que chacun de ses spectacles coute la vie à quelqu'un quelque part. Mais il ne peut rien faire contre ça, il ne peut même pas s'arrêter de jouer.  

Il a besoin, un besoin vital de faire le mime, quoi qu'il en coûte.  

Il se dit qu'il est une sorte de vampire, un vampire au service de l'art.  

Il faut qu'il trouve comment arrêter ça.  

 

 

Scénario : (3 commentaires)
une série Z dramatique (fantastique) de Diane Davies

Ivan Harrison
Sorti le 13 septembre 2019 (Semaine 767)
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