Ma Laura. Jamais je n’ai été si loin de toi. Je profite de la nuit pour t’écrire. Je ne sais pas quand le courrier partira. J’espère que ma lettre arrivera avant la probable missive du ministère des armées qui t’annoncerait ma mort de héros. Des héros, on en a environ une trentaine par jour. Il y a certains héros que l’on ne récupère même plus. On enjambe, on trébuche, on se sert des héros comme bouclier parfois. Le mot en quatre lettres qui arrive après la vie est banni ici. On laisse place aux héros. Chaque fois que je monte aux premières lignes, la puanteur des héros m’est plus insupportable que le gaz moutarde des Bosch. C’est la pire des corvées sur cette terre que de monter au front. Le sergent nous a conseillé de nous trouver une bonne raison de tirer. Pour garder nos esprits pas trop bouffé par les remords des meurtres. David et Jean, et beaucoup d’autres même, se disent que si c’est pas nous qu’on les tues, ca sera eux qui nous transformeront en héros. Le sergent lui, y cherche un moyen d’avoir une sardine de plus sur ses galons, de redevenir un de ces héros qui sont encore vivant. On en cherche encore… Mais moi, ma raison, je l’avais depuis que j’ai embarqué dans la bétaillère qui m’a jeté ici, dans la boue des tranchées. Et quand je ferme un œil et garde l’autre ouvert derrière le viseur, je ne vois plus un immense champ désert avec des barbelés, et des silhouettes lointaines.  

Non  

Je te revois.  

Ton dernier regard. Tes larmes que tu as essayé de retenir. Ta petite robe qu’on était partis acheter ensemble. Ta main droite qui retira les barrettes de tes cheveux, les laissant voler dans le vent et la poussière. Merci de t’être souvenu de ça. Tu as de si beaux cheveux, pourquoi les attacher ? Puis tu te retournes, parce que tu ne veux pas que je te vois pleurer. Puis je pleure, parce que je ne sais pas quand je te retrouverai. J’espère que tu ne m’a pas vu. Je sens une main compatissante sur mon épaule. Plus tard, je serais ami avec ce David.  

Je presse la gâchette. J’ai fait un héros.  

Je te revois.  

Ton visage si fatigué, si douloureux, mais si heureux. Puis je vois notre enfant. Ma mère m’avait regardé de façon horrible quand je suis arrivé à la ferme. Un enfant hors mariage, c’est très mauvais. Mais tu n’en voulais pas du mariage, alors je n’en ai pas voulu. Et je vois notre enfant. Je ne sais si c’est un garçon ou une fille, mais il te ressemble tellement. Il a le même visage remplit d’amour que sa mère. Je souris et te regarde. Et toi… toi… tu es si belle… Tu es…  

J’ai fait un autre héros.  

Je te revois.  

Tes yeux incertains. Ta certitude que ce que l’on est en train de faire est mal. Mais ton envie de continuer. Ces étincelles qui illuminent tes yeux. Jamais personne auparavant ne m’avait regardé avec ce regard. J’en viens à en avoir peur. Nous nous embrassons. Je caresse ta joue. Et ton père entra dans ta chambre. Il se jette sur moi et tu cris. Il me frappe. J’ai mal.  

J’ai mal…  

Je crois… Je crois que je suis devenu un héros…  

J'entends David qui cri mon nom. Quelqu'un me tire par les épaules.