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Un poème sur le bout de la Langue

 

1894 – France profonde.  

 

Assis au pied de l’arbre, Lise (Trudie Gorman) et Henri regardent le ciel. Ciel bleu profond à moitié couvert de nuages blancs d’un rare éclat. Aucune envie de parler, de rompre ce silence qui dure depuis maintenant quelques minutes.  

 

Loin de la civilisation, loin de la « masse populaire » comme dit Henri. Loin de ceux qui les ont rejeté quand Lise leur a annoncé qu’elle était enceinte. Mais c’est pas grave. Ils sont résolus à vivre sans eux, seuls, ensemble. Henri est poète et il a de l’argent. Un peu pour l’instant, mais sa carrière est prometteuse. Ils s’installeraient dans une ville inconnue, commenceraient une vie nouvelle. Ils iraient dans des endroits qu’ils n’ont jamais osé imaginer.  

 

Un petit cri de douleur soudaine. Contractions. Lise se tient le ventre des deux mains. Henri se retourne, surprit, heureux, inquiet.  

 

 

-8 ans plus tard, Paris-  

 

 

L’homme semble prêt. Lise l’est aussi. Il lui dit d’approcher, elle le fait. En huit années, pas une seule fois elle ne s’est vraiment amusée. Pas une seule fois elle a éprouvé le moindre plaisir. L’homme la saisit, la retourne doucement et appuie sur sa tête pour qu’elle se baisse en avant. Il fait ce qu’il veut, ce qu’il a besoin de faire. C’est assez court, cinq minutes. C’est bien, c’est rentable au moins, un peu… L’homme s’en va, il a payé.  

 

Lise sort de la chambre et laisse échapper un soupir. Charles-Henri (Bernhard Peter Best) court partout dans la maison. Maison close. Il s’amuse seul, s’imaginant probablement poursuivi par une horde de loups-garous. Lise, elle, s’amuse moins, faute de choix. Le prochain client est un habitué, il a réservé. Quand elle est occupée, c’est les autres femmes qui s’occupent de son petit garçon. Les soirs où toutes les femmes sont occupées, il s’occupe tout seul. Il fait des bêtises, il s’essaye à la vie.  

Une fois, il est sorti sans que personne s’en rende compte. Dehors, il s’est senti grand. Et si il y avait des loups-garous ? Il est vite rentré à l’abri avec toutes ses mamans.  

 

Charles-Henri est précoce, un peu. Il ne voit pas beaucoup les autres enfants. Son seul contact avec le monde extérieur, c’est ces gros messieurs qui le tapotent dans le dos quand ils montent accompagnés à l’étage. Enfin, ils sont pas tous gros, mais c’est le sentiment qu’ils expriment à Charles-Henri.  

Il ne sait plus vraiment qui est sa vraie maman. Il est amoureux en cachette de Ginette, c’est celle qui commande les autres. Elle est drôlement jolie, puis elle s’occupe bien de lui, elle a plus de temps libre que les autres. Et chaque fois qu’elle monte à l’étage, c’est avec un monsieur plus gentil que les autres qui lui offre des bonbons, des sucettes.  

 

« Charles-Henri ! Viens avec moi, on sort ! » crie Lise dans l’escalier. Le petit rapplique en quatrième vitesse. Ils sortent, ils vont se balader. Loin de la civilisation, loin de…  

Lise n’aime pas se souvenir. La haine se mêle en elle à l’amour qu’elle porte pour Henri. Il est parti le lendemain de la naissance de son fils. Des larmes coulent toujours sur ses joues lorsqu’elle passe devant cet arbre qui ressemble beaucoup à celui d’il y a 8 ans. Mais aujourd’hui, pas de nuages, le ciel est dégagé. Il manque une pièce au tableau.  

 

Adossée à l’arbre, elle fixe l’horizon. Dégoût. Sa vie, son futur, tout est noir. Même son passé, au fond… Son présent est plein de la crasse qui hante la maison dans laquelle elle travaille. Elle ne peut même pas comprendre comment elle en est arrivée là. Elle ne veut pas voir en face que sans ses parents et son fiancé, elle n’est plus rien. Rien. Elle n’a rien réussi à faire.  

Le calme est perturbé par Charles-Henri qui passe en courant et criant devant elle, brisant l’horizon. Oui, c’est vrai, elle a Charles-Henri, son fils. Elle l’aime mais doute que ce soit réciproque. Un jour il comprendra de quoi vit sa mère et le dégoût s’emparera de lui aussi. Il la quittera probablement. Alors, elle pourra mourir, comme on dit.  

 

Absurdité de la pensée. Lise ne peut même pas concevoir ce qu’est la mort.  

 

De retour au travail. De retour avec les loups-garous pour Charles-Henri. Un homme entre à pas discrets dans la maison close. C’est Henri. Il est accueilli par Ginette. Elle lui demande s’il veut du café.  

« Non. Non… Je… je veux juste voir une femme. » dit-il timidement. Ginette sourit.  

 

Henri a changé. Il est mal vêtu, il a le regard fuyant.  

 

Il montre du doigt Lise après que Ginette lui a demandé laquelle il veut. Sa voix tremble et les mots ont peine à sortir de sa bouche : « Celle-là » dit-il. Lise se lève, le prend par la main et l’emmène vers l’étage. Henri n’en revient pas, elle le tire par la main dans les escaliers, comme un enfant. Arrivé dans la chambre, elle se dénude et s’offre à lui. Il ne peut s’empêcher de la saisir dans ses bras, de lui faire l’amour alors qu’il aimerait juste lui parler. Les mots ne viennent pas, même après.  

Lorsqu’il sort, il reste figé devant le petit garçon qui lui fait face. L’enfant le regarde dans les yeux, comme s’il attendait quelque chose de lui. En réalité, il espère un bonbon. Mais Henri se détourne et part précipitamment. La sortie, vite, il a chaud !  

 

 

-3 jours après-  

 

 

Lise tient cette lettre qui est arrivée pour elle, ici, à la maison close. La première depuis huit ans. Elle ose espérer, mais elle ne sait même pas quoi.  

Ses bras trembleront, son cœur battra plus fort que jamais, et ses yeux ne se fermeront pas jusqu’à ce qu’elle finisse ce papier de bonheur.  

 

Ma chère Lise,  

Voilà huit années que j’ai peiné, huit années que j’ai tourné en rond. J’aurais aimé revenir plus tôt, mais la honte m’en empêchait. Le destin l’a fait, pourtant, et le jour où je me suis retrouvé devant cet arbre où notre enfant est né, près de Collet notre village, je n’ai pu que pleurer. Pleurer ton absence, pleurer mon départ, ma peur.  

Depuis huit ans, je n’ai rien écrit. Manque d’inspiration. Manque d’envie, de vie. J’ai toujours eu un regret, un poème sur le bout de la langue qui ne sortait jamais, comme bloqué au plus profond de ma gorge.  

Je t’ai cherchée longtemps, ignorant où tu étais partie. Il y a trois jours que je t’ai trouvée, et mon cœur a brûlé quand je t’ai touchée. Le tiens restait d’un froid de pierre, tu ne m’as pas reconnu. C’était peut-être mieux. Nous avons fait l’amour et je suis parti. Aujourd’hui je t’écris et veux que tu me reconnaisses. J’ai vu notre enfant je crois, comment s’appelle-t-il ? Tu me répondras ce soir, quand je viendrai te chercher. Nous partirons ensemble, qu’en penses-tu ?  

Tu me répondras ce soir…  

 

Ton Henri qui t’aime.  

 

 

Scénario : (2 commentaires)
une série Z sentimentale (dramatique) de Quentin LGD

Bernhard Peter Best

Trudie Gorman
Sorti le 19 novembre 2016 (Semaine 620)
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