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Production Riri3 et Neveu Associé (PRNA) présente
Vivre libre ou mourir

Lorsque Antoine est entré au café de la mairie, j’étais au zinc en train d’achever un énième petit noir. Il était en avance et son regard annonçait quelque chose d’aussi effroyable que le fait-divers du Progrès, un bébé de vingt mois mort dans une baignoire d’eau bouillante. Un accident selon la mère que les enquêteurs devaient confirmer. Mais la nouvelle qu’Antoine apportait avec lui ne prêtait pas à pareille hésitation : Hugues Pagan, député social-démocrate de la deuxième circonscription du Rhône, avait été retrouvé à son domicile, une balle en pleine tête, par la femme de ménage. J’ai déposé Le Progrès sur le comptoir et j’ai tenté de dissimuler du mieux possible ma stupéfaction. Alors que nous traversions la place Sathonay pour rejoindre le commissariat, les souvenirs m’ont submergés. Ceux des années de rêve et de poudre…  

 

 

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Je revois le visage de Pagan lorsque le cercueil de Pierre Goldman s’est évanoui dans le trou d’un caveau du cimetière du Père Lachaise, écrasé de douleur, pleurant son compagnon d’arme lors d’une guérilla menée au Venezuela une dizaine d’années auparavant. Quand a moi, j’évacuais ma souffrance en triturant l’édition du jour de Libération où Serge July exorcisait ses reniements à grands coups de trémolos dans l’éditorial. Il était là. Ils étaient tous là, les Debray, les Geismar, les Kouchner, les Péninou, présents comme dans une cérémonie du souvenir, à un combat qui n’était plus le leur. Nous, nous y croyions encore.  

 

Avec Michel Corvier, Hélène Le Dantec et Paul Vergue, nous sommes allez éponger notre soif de vengeance à la brasserie Bofinger, près de La Bastille, le quartier général de notre journal de combat, Vérité. La veille de l’assassinat de Goldman par les nervis de l’Etat français, le 20 septembre 1979, elle avait été le rendez-vous de la réunion du réseau d’aide de l’ETA que nous soutenions. Grâce à Hélène, les moyens logistiques pour faire parvenir les armes à Pampelune étaient prévus et Goldman, juché sur une table, donnait les dernières consignes aux volontaires pour cette mission derrière les lignes ennemies.  

A la même table, à une semaine d’intervalle, nous buvions un demi, incapable du moindre geste, du moindre mot. Seul Pagan, penché sur son bloc note, écrivait ce qui allait devenir l’article de la « une » du mois d’octobre. Un papier intitulé « Vivre libre ou mourir »…  

 

 

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Lorsqu’on a débouché sur la place Colbert après avoir zigzagué dans les ruelles à sens unique des pentes de la Croix-Rousse, j’ai pas eu le temps d’aller prendre un remontant à La Fourmi Rouge. Nous étions à la bourre et le légiste avait déjà bipper deux fois mon portable. J’en aurais eu bien besoin pour affronter le présent qui avait la saveur des années de plomb. Echoué sur le canapé, Pagan souriait, un ultime défi bien dérisoire. Sur la table du salon, une bouteille de whisky à moitié vide trônait devant un verre unique, entouré d’articles traitant de Pierre Goldman, dont la « une » d’un France-Soir d’avril 1970 qui clamait « L’assassin des pharmaciennes arrêtés ». C’est Antoine qui m’a sorti de mes réminiscences. Il tenait un papier où était inscrit en caractère d’imprimerie, « Vivre libre ou mourir – Guesgan ». Le pseudo de Pagan à Vérité.  

 

En ouvrant la porte de Boul’Dingue, je trouvais Corvier en train de séduire une jeune théâtreuse en lui retraçant la bio de Daeninckx. Je pris mon mal en patience en feuilletant un polar pris dans le rayon Hard-boiled. Visiblement, la mort de Pagan le cueillit à froid, preuve que la nouvelle ne tournait pas en boucle sur France Info. Comme je l’avais espéré, Corvier avait conservé la collection de Vérité. Etalée sur son bureau, la « une » d’octobre 1979 me confirmait ce que je soupçonnais déjà. L’article n’était pas signé comme c’était la coutume pour celui de la première page.  

Par contre, la photo qui trônait au dessous de l’article m’était complètement sorti de la tête…  

 

 

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Nous étions fier du résultat obtenu, que nous contemplions dans le laboratoire photo de Paul Vergue de son minuscule appartement du XIIe arrondissement de Paris. En première ligne sur le cliché noir et blanc, assis, bras tendus et poing fermé, Michel Corvier impassible, Paul Vergue les cheveux en bataille et moi, l’air ailleurs face à l’objectif. Perché sur un banc, Hugues Pagan faisait le même geste en souriant, seule Hélène Le Dantec tranchait dans le décors en faisant le « V » de la victoire. Derrière nous, la place de l’Abbé Georges Hénocque était déserte et silencieuse, celle là même où s’était écroulé le corps de Pierre Goldman quelques jours auparavant.  

Pendant que Vergue s’attaquait à la composition de Vérité sur sa Lynotype, Corbier nous racontait l’affaire des diamants de Bokassa mettant en cause Valery Giscard d’Estaing qu’il tenait d’un camarade qui faisait des piges au Canard Enchaîné et qui allait être publiée prochainement. L’excitation nous gagnait, Hélène affirmant qu’il fallait profiter de l’affaire pour faire chuter le gouvernement Barre par la force.  

C’est ainsi que Vergue eu l’idée de mettre à côté du logo du journal la citation de Montesquieu dans les Lettres persanes, « Depuis l’invention de la poudre, il n’y a pas de places imprenables »…  

 

 

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Sur la passerelle Saint-Vincent qui me ramenait au commissariat, je songeais à mon pitoyable interrogatoire, à ces fausses questions anodines, posées à Corvier, devant deux ballons de rouge à une terrasse derrière la cathédrale Saint-Jean. L’ayant senti, Corvier avait pris les devants. Il était parvenu à la même déduction que moi : seul quelqu’un de Vérité avait pu faire le coup. En passant devant Radio Canut, la radio anarchiste, rue Sergent Blandan, son fronton qui affirmait « la plus rebelle des radios » me semblait bien naïf et gentillet, à mille lieux des années de poudre qui me revenaient en pleine figure.  

 

Dans le commissariat, je retrouvais Antoine qui mettait de l’ordre dans les rapports qu’il venait de taper sur l’affaire Pagan. En sourdine, France Info débitait une litanie d’informations vites énoncées et aussitôt oubliées malgré leur répétition, une monotonie qui fut rompu par le flash de 21h00 : Paul Vergue, directeur de publication du quotidien national de centre-gauche Le Matin avait été abattu d’une balle en pleine tête dans les locaux même de la rédaction.  

Ce n’est qu’à l’aube que Grumbach m’a rappelée. Nous étions issus de la même promotion de l’école nationale supérieure de police pour devenir commissaire. Lorsqu’il m’appris qu’un papier avait été retrouvé dans la poche de Vergue, j’aurais presque pu lui dire son contenu. « Depuis l’invention de la poudre, il n’y a pas de places imprenables »…  

 

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Réalisateur : Riri2 – Premier rôle masculin : Clement Dolby (rôle du narrateur) – Premier rôle féminin : Summer Hemmings (rôle d’Hélène Le Dantec) – Scénariste : Riri2 - Musique : Leonard Froese - Affiche : Charlotte Cauwet – Studio : Studio Riri (série Z) – Producteur : Riri2 – Distribution : Nous avons les mains rouges - Production : Production Riri3 et Neveu Associé (PRNA)

Scénario : (3 commentaires)
une série Z policier de Riri2

Clement Dolby

Summer Hemmings
Musique par Leonard Froese
Sorti le 31 janvier 2015 (Semaine 526)
Entrées : 3 914 988
url : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=11921